Vaccins, couvre-feu, Amazon… Comment les débats autour du Covid-19 risquent de faire tourner au vinaigre le repas de Noël (et comment éviter l’embûche)
Doigté et diplomatie suffiront-ils à régler en douceur les conflits d'une année compliquée ? Rien n'est moins sûr.
Réveillon sous Covid, querelles sous le boisseau ? Pas certain, hélas. Entre tonton Léon que vous avez invité (il habite à trois pas), et votre volcanique rejetonne Eudoxie, incrustée au foyer depuis le confinement, les sujets à déminer ne manqueront ni à Noël ni au Nouvel An. Pas plus que lors de vos goûters, dîners, apéros Zoom et autres discussions familiales tournant à la foire d'empoigne sur WhatsApp. Même mamie Marceline s'y est mise, maniant tour à tour l'algarade et le déluge de cœurs avec une vivacité étonnante pour ses 80 printemps.
Tour d’horizon de quelques thèmes de conversation inflammables autour de la pandémie et des tentatives pour les désamorcer...
Attestation : "135 euros d'amende parce qu'on ne porte pas de jogging !"
La polémique. "Si j'ai bien compris, avec le couvre-feu, la folie furieuse des attestations va continuer entre 20 heures et 6 heures du matin ?", s'étrangle tonton Léon. Vous le voyez venir, il va rabâcher sa rancœur après s'être vu infliger, au printemps, une amende de 135 euros pour avoir oublié son sésame en allant acheter du pain. Sans oublier une autre, frôlée à l'automne pour port approximatif du masque, largement descendu sous le menton. Du coup, il ne vous fait grâce d'aucun de ces scandales dont sa page Facebook est friande : "Ils ont même collé une prune à un journaliste parce qu'il ne portait pas de jogging (alors qu'il avait coché la case "sortie pour activité physique !")", s'étouffe-t-il à moitié. Un verre de champagne plus tard, l'indignomètre monte encore d'un cran : "Et cette dame atteinte d'Alzheimer qui avait mal daté son attestation (en mai à Luxeuil-les-Bains, Haute-Saône) ? Cent-soixante-six euros d'amende ! C'est ce qu'ils ont de pire comme délinquant dans la région, une septuagénaire qui fait ses courses chez Auchan ?"
Comment s'en sortir ? Délicat, car cette bureaucratie tatillonne vous exaspère autant que votre oncle. Et, avez-vous noté, elle fait rire jusqu'à nos voisins allemands abasourdis de cette inventivité, au point que le journal Die Zeit a rebaptisé "Absurdistan" cette France où "il faut remplir une attestation pour aller chercher les enfants à l'école ou acheter du sirop pour la toux". Mais n'ayant pas envie de voir tonton Léon poursuivre ses fulminations toute la soirée, vous embrayez en douceur. "Tu sais, on n'est pas tout seul en Europe. D'autres pays gravement touchés par l'épidémie font pareil, comme nos voisins italiens. Et à propos d'Italie, tu veux goûter le prosecco ?"
Le docu "Hold-up" : "S'il est censuré partout, ce n'est pas pour rien !"
La polémique. Léon prend le prosecco, mais esquive la diversion. Il n'en démord pas, l'épidémie n'est qu'une grippette pour laquelle on prend bien trop de précautions. La preuve ? "La Suède n'a pas confiné et elle s'en sort mieux que nous ! On le voit bien dans Hold-up ! Son pote Rémi lui a filé le lien dès le premier jour pour visionner le documentaire et tous deux sont raccord : si le film a déclenché un tel tohu-bohu dans les médias et "s'il est censuré partout, ce n'est pas pour rien !", enrage-t-il. Avant de synthétiser : "C'est normal, il dit des choses qui n'ont été dites nulle part ailleurs. Tu le savais, toi, qu'il y avait un test contre le Covid dès 2015 ?"
Comment s’en sortir ? Vous le sentez bien, Léon ne lira ni le démontage des contre-vérités qu'il vient d'énoncer (décortiquées ici ou là), ni l'analyse des ficelles complotistes qui ont fait le succès du film, ni même les statistiques sur les décès quotidiens, les hospitalisations et les réanimations dus au Covid. Vous choisissez donc de taper en dessous de la ceinture. "Sais-tu, glissez-vous suavement, que la "profileuse" que l'on voit à la fin du film a été condamnée il y a six ans à une amende de 4 000 euros avec sursis, plus 2 500 euros de dommages et intérêts, pour escroquerie et tentative d'escroquerie (comme le rapporte La République du Centre) ? Elle avait tenté de soutirer de l'argent à des parents malheureux dont le fils de 20 ans s'était suicidé en disant vouloir enquêter sur la piste d'un assassinat (selon Le Parisien). Pas joli, joli ..." Léon, qui n'a pas scruté de près le CV des intervenants du film, en reste temporairement muet.
Vaccins : "Pas question de me faire injecter un de ces nouveaux vaccins génétiques !"
La polémique. Grâce au miracle de la visioconférence, on passe à l'apéro élargi avec la famille éloignée. De Valence, mamie Marceline, octogénaire bon pied bon œil, se joue de Zoom comme une pro, coupette à la main, avec l'aide de sa dernière petite-fille, Leila. Se sachant cœur de cible des premières vaccinations contre le Covid, après les résidents en Ehpad, elle ne cache pas son inquiétude. "Pas question de se faire injecter ces nouveaux vaccins génétiques dont on ne connaît même pas les effets !"
Comment s'en sortir ? "Dis, mamie, rétorquez-vous aussi sec, je ne sais pas si tu l'as compris, mais le vaccin n'est pas obligatoire. Tu fais comme tu veux ! Qui l'a dit ? Emmanuel Macron, tu peux réécouter. Et sinon, tu arrêtes ton délire : non, le vaccin à ARN messager ne va pas nous transformer en mutants ! Ce vaccin, ce sont des brins de code génétique du virus. Si tu préfères, il donne une recette, un genre de consigne pour que nos cellules génèrent l'antigène du virus, et stimulent notre système immunitaire pour s'en protéger. Mais ce code génétique n'atteint pas le noyau de nos cellules, et il a une durée de vie très courte." Transition toute trouvée avec les Windsor, l'un de ses sujets fétiches : "Si ça t'intéresse, regarde ce qui se passe en Angleterre : ils ont déjà commencé à vacciner les plus âgés, ça permettra de mieux connaître encore les effets secondaires. Et même la reine Elizabeth semble convaincue. Tu te rends compte : elle va se faire vacciner à 94 ans ! Au fait, tu l'as vu, l'épisode de The Crown sur Lady Di ?"
Couvre-feu : "Noël pour les vieux, c'est autorisé. Nouvel An pour les jeunes, c'est interdit !"
La polémique. "Ça, pour le voir, je l'ai vu", s'irrite Leila, 22 ans, qui s'affiche sur l'écran à côté de Mamie. "Ainsi que la moitié des nouvelles séries de Netflix ! Qu'est-ce que tu veux que je fasse d'autre ici, sans mes copines ?" Car quand sa fac de droit est passée entièrement en "distanciel", elle a fui le petit appartement parisien, où s'entassent déjà ses deux parents en télétravail, pour la maison plus spacieuse de sa grand-mère. Mais elle a aussi dit adieu à sa vie sociale. "Qui de vous aurait supporté ça ?", s'énerve-t-elle. A 20 ans, vous ne vous posiez même pas la question d'aller prendre un pot avec un ami. Et nous ? Les cinés ? Fermés. Les cafés ? Fermés. Ma salle d'escalade ? Fermée. Les profs ? Derrière un écran. Les potes ? Non seulement on ne les voit jamais, mais en plus on est pointé du doigt à chaque fête clandestine, comme si on connaissait les adresses secrètes de Joinville-le-Pont !" Elle en a les larmes aux yeux tandis qu'avec son tact habituel, Eudoxie porte l'estocade finale : "Et bien sûr, à Noël, les vieux peuvent se retrouver, mais au Nouvel An, pour les jeunes, c'est couvre-feu à 20 heures !"
Comment s'en sortir ? Compliqué. Votre nièce dit vrai : à l'âge des rires, des rencontres et des premières amours, les jeunes sont les grands perdants de ces restrictions à répétition. Les dégâts psychiques en témoignent. Selon une étude de l'Observatoire national de la vie étudiante réalisé fin juin-début juillet, 50% des étudiants interrogé déclarent avoir souffert d'isolement pendant le premier confinement, et 31% avoir présenté les signes d'une détresse psychologique. La dépression guette, comme le souligne Mediapart (article réservé aux abonnés), nombre de ces jeunes qui n'ont que "quelques mètres carrés pour manger, dormir, étudier et déprimer", avec un écran pour seul horizon. Comment émerger de ce tableau peu réjouissant ? Vous vous raccrochez à cette bouée de secours : à en croire un sondage Elabe pour le Cercle des économistes, les 18 à 24 ans garderaient un fond d'optimisme. En substance : c'est dur, mais on va s'en sortir, estiment-ils aux deux tiers (65%).
Economie : "Les seuls qui se sucrent, c'est Deliveroo et Amazon !"
La polémique : "Ça va, les jeunes, arrêtez de vous plaindre !", coupe court Tonton Léon, que ses difficultés financières ne portent pas à l'empathie. "Nous, les restaurateurs (il tient un petit bar à Malakoff), on est pris à la gorge. Ça a commencé par le couvre-feu le 17 octobre. Pouf ! Obligation de tirer le rideau à 21 heures. Et comme on surnageait encore, ils en ont rajouté une couche avec le confinement le 30 octobre. La réouverture ? Reportée à la Saint-Glinglin, fin janvier au plus tôt. Et les seuls qui s'enrichissent, c'est Deliveroo et compagnie qui se sucrent avec une commission de 30% sur les commandes de plats à emporter ! Autant fermer tout de suite."
Comment en sortir. Complexe. A sa place, vous seriez sous anxiolytiques. Bien sûr, Tonton Léon bénéficie des aides du gouvernement, mais jusqu'à quand ? Président du Groupement national des indépendants de l’hôtellerie et de la restauration, Didier Chenet estime que sans de nouvelles aides, au moins "30% des établissements feront faillite en 2021".
Faute de savoir quoi dire, vous tendez à Tonton son cadeau, des charentaises made in France délicieusement enrubannées. Suspicieux, il vérifie : "Tu ne les as pas commandées sur Amazon au moins ? Parce qu'eux, ils se sont fait des c... en or avec cette crise. Tu l'as entendu le patron d'Amazon France ? C'est le plus gros Black Friday d'Amazon en France et dans le monde ! Ça en fait un qui nage dans le bonheur." Réflexion faite, le couvre-feu à 20 heures de la Saint-Sylvestre cumulera les vertus : outre la suppression des bises contaminantes, il évitera de se mouiller en souhaitant une bonne année 2021 aux grands brûlés de l'année 2020. On peut peut-être tenter le passage direct à 2022 ?
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