Législatives 2024 : sur quoi reposent les accusations d'antisémitisme qui visent La France insoumise ?

Article rédigé par Elise Lambert
France Télévisions
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Ces derniers mois, La France insoumise a été accusée de tenir des propos antisémites par ses adversaires politiques et par des institutions juives. (JEREMIE LUCIANI / FRANCEINFO)
Le parti est accusé d'antisémitisme par ses opposants et par des organisations juives. Ces griefs s'ajoutent à des propos ambigus tenus par Jean-Luc Mélenchon depuis plusieurs années. LFI se défend de tout racisme et dénonce une instrumentalisation politique.

"Comment osez-vous ? Vos propos récurrents alimentent la haine qui mène au pire. Non, l'antisémitisme n'est pas résiduel." Au lendemain du viol d'une adolescente juive à Courbevoie, mercredi 19 juin, le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, a blâmé Jean-Luc Mélenchon pour ses propos passés sur "l''antisémitisme résiduel". En pleine campagne pour les législatives, le fondateur de La France insoumise (LFI) et certains de ses élus sont accusés d'antisémitisme par leurs adversaires politiques, dont Emmanuel Macron.

Par ricochet, ces accusations touchent le Nouveau Front populaire, auquel LFI appartient. Lors de la présentation du programme commun à Paris, des manifestants ont dénoncé "l'antisémitisme" comme "promesse de campagne". En s'alliant au parti de gauche radicale, "les partis de la gauche républicaine ont sacrifié la lutte contre l'antisémitisme", a fustigé auprès de franceinfo Yonathan Arfi, président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif). Alors que les actes antisémites sont en forte hausse en France en 2024, et que le débat reste tendu autour du conflit israélo-palestinien, sur quoi se fondent ces accusations ?

"Des dérapages importants" depuis le 7 octobre

Face aux critiques, La France insoumise dénonce des "attaques politiques" visant à la discréditer en pleine campagne électorale et à faire oublier l'antisémitisme historique de l'extrême droite. "Nous ne sommes pas antisémites, l'égalité fait partie de notre ADN", martèle auprès de franceinfo une cadre de LFI. "Si quelqu'un prétendait être insoumis en étant antisémite, il n'aurait pas sa place dans notre mouvement." Dans une tribune publiée sur le Club de Mediapart, des intellectuels et militants proches de la formation ont également dénoncé "l'infamie" consistant à désigner LFI comme un "parti antisémite".

Une qualification en effet "fausse" pour l'historien Robert Hirsch, auteur de La Gauche et les juifs (2022). Le parti n'a rien à voir avec des mouvements comme l'Action française au XIXe siècle, qui prônait un antisémitisme d'Etat.

"LFI n'est pas un parti qui a un programme antisémite, dont les militants diffusent une haine des juifs."

Robert Hirsch, historien

à franceinfo

En revanche, il y a eu "des dérapages importants" depuis le 7 octobre, observe l'historien, lui-même juif et membre du Réseau d'actions contre l'antisémitisme et tous les racismes. Il cite le refus d'élus insoumis de qualifier le Hamas d'organisation "terroriste", au lendemain des massacres commis par le mouvement islamiste palestinien en Israël. En réponse, LFI a répété qu'elle ne minimisait pas la gravité de ces attaques, préférant le terme de "crimes de guerre", en référence au droit international. "Quand on minimise les actes d'un mouvement antisémite, c'est qu'au fond, l'antisémitisme ne dérange pas", estime toutefois Yonathan Arfi, du Crif.

Marche contre marche

D'autres propos ont nourri ce procès ces derniers mois. Le 22 octobre, sur X, Jean-Luc Mélenchon accuse la présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, de "camper" à Tel Aviv alors que l'élue est en Israël pour exprimer sa "solidarité" avec l'Etat hébreu. L'usage du mot "camper" pour parler d'une femme aux origines juives suscite l'émoi. Contacté par franceinfo, Jean-Luc Mélenchon n'a pas donné suite à nos sollicitations. Dans une interview à Orient XXI, il a expliqué que pour "sa génération", le "campisme" fait référence à un positionnement pour le bloc de l'Est ou de l'Ouest durant la guerre froide.

Le 12 novembre, nouvelle polémique lorsque LFI choisit de ne pas participer à la marche contre l'antisémitisme. Ses élus boycottent le rendez-vous en raison, entre autres, de la présence du Rassemblement national, parti ayant compté dans ses rangs des pétainistes et au moins un ancien Waffen-SS, et du refus des organisateurs d'appeler à un cessez-le-feu à Gaza.

Des manifestants juifs dénoncent le rassemblement contre les racismes et l'extrême droite organisé par La France insoumise, le 12 novembre 2023, place des Martyrs-Juifs-du-Vélodrome-d’Hiver à Paris. (GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP)

"Les amis du soutien inconditionnel au massacre ont leur rendez-vous", écrit alors Jean-Luc Mélenchon sur X. Or, la marche est en partie organisée en réponse à la hausse des actes antisémites en France. "Beaucoup de participants étaient juifs. Dire cela, c'était les porter à la vindicte", s'émeut Robert Hirsch. Pour Simon Assoun, porte-parole de Tsedek, un collectif juif décolonial, "certains propos [au sein de LFI] ont pu être maladroits. Mais il y a un biais à tous les interpréter pour démontrer que Jean-Luc Mélenchon est antisémite." Le même jour, le parti organise un autre rassemblement au square de la place des Martyrs-Juifs-du-Vélodrome-d'Hiver, à Paris. Initiative une nouvelle fois décriée sur X par le Crif, qui y voit des "récupérations" mémorielles.

Une confusion autour de l'antisionisme ?

Six mois plus tard, alors que la guerre a fait plus de 35 000 morts à Gaza, LFI demeure l'un des rares partis à se mobiliser clairement pour les Palestiniens. La formation a d'ailleurs placé le conflit au cœur de sa campagne pour les européennes. Au point, pour ses détracteurs, de manquer de subtilité. Une confusion s'installe notamment autour de l'antisionisme. Sur franceinfo, la députée LFI de Seine-Maritime Alma Dufour qualifie le positionnement du socialiste Jérôme Guedj de "sioniste", précisant qu'elle utilise ce terme pour dénoncer "la colonisation" d'Israël.

Mais l'évocation de l'antisionisme sert-elle "à critiquer le gouvernement de Nétanyahou, ou est-ce que cela signifie que les juifs doivent retourner de là où ils sont ?, interroge l'historien Robert Hirsch. Il faut se rappeler pourquoi les juifs sont allés en Palestine. Cela demande un effort de réflexion qui existe moins dans une partie de la gauche."

Les critiques s'accumulent le 2 juin, lorsque Jean-Luc Mélenchon écrit sur son blog que "l'antisémitisme reste résiduel en France", en référence aux mobilisations propalestiniennes, parfois soupçonnées d'antisémitisme. La sortie choque, y compris à gauche. "L'antisémitisme n'est pas résiduel. Il explose", répond sur X la députée écologiste Sandrine Rousseau. "Une dérive incompréhensible", regrette le patron des socialistes, Olivier Faure, sur Sud Radio.

"Jean-Luc Mélenchon n'a pas utilisé le terme 'résiduel' dans le sens où ce n'est pas important. Il l'a utilisé pour s'opposer à ceux qui accusent les mouvements propalestiniens de faire monter l'antisémitisme."

Une cadre de LFI

à franceinfo

Cette déclaration entend battre en brèche la thèse du "nouvel antisémitisme", reprise notamment par le RN. Elle attribue l'antisémitisme contemporain aux musulmans ou aux habitants des quartiers populaires. Une thèse à laquelle s'oppose aussi Jonas Pardo, du mouvement de juifs de gauche Golem. Il constate toutefois qu'"une partie de la gauche n'est pas capable de considérer les problèmes d'antisémitisme tels qu'ils sont, par peur de stigmatiser les banlieues. Il faut affronter l'antisémitisme d'où qu'il vienne."

"Le racisme n'a rien à voir avec les intentions"

D'autres propos sèment le doute. Comme lorsque le député sortant du Nord David Guiraud fait référence dans un tweet aux "dragons célestes" pour désigner l'Observatoire juif de France. Ces personnages riches et puissants du manga One Piece sont devenus des allusions antisémites sur les réseaux sociaux. Mais le député assure l'ignorer et efface le message. Auprès de Libération, il explique plus tard avoir "fait son introspection" et "manqué de compassion".

"Je vois des images horribles de morts palestiniens, ça me désensibilise du 7 octobre."

David Guiraud, député LFI sortant du Nord

à "Libération"

"On peut faire une faute, ça arrive. Mais ce qui est grave, c'est la déferlante de messages antisémites sous son message, déplore Jonas Pardo. Le racisme n'a rien à voir avec les intentions. Ce qui compte, ce sont les effets. Or, la parole incite à la violence, au passage à l'acte."

Même ambiguïté lorsque Jean-Luc Mélenchon compare le président de l'université de Lille au dignitaire nazi Adolf Eichmann, après que le responsable a annulé une conférence de LFI dans ses locaux. Le leader insoumis a évoqué une référence au livre Les Origines du totalitarisme, d'Hannah Arendt, mais "c'est pour le moins une relativisation de ce que fut le nazisme", estime Robert Hirsch. Des "propos excessifs qui discréditent tout le reste", a également réagi le patron du PCF, Fabien Roussel.

"Une méconnaissance de l'antisémitisme"

Mauvaise interprétation des uns, maladresse des autres ? Après le 7 octobre, Raquel Garrido, députée non réinvestie par LFI aux législatives, a enjoint ses collègues à être "plus attentifs au vécu et au ressenti politique des juifs de gauche", sur franceinfo. Car les accusations d'antisémitisme visant LFI ne sont pas nouvelles. Depuis plus de dix ans, elles concernent en premier lieu son fondateur Jean-Luc Mélenchon. En 2012, il qualifie Mohamed Merah de "crétin sanglant", qui "n'est même pas un terroriste", cite La Montagne. Pourtant, en tuant des personnes, dont des enfants, parce que juives, "ses meurtres contiennent un message politique antisémite", pointe l'essayiste Illana Weizman dans son ouvrage Des Blancs comme les autres ? Les juifs, angle mort de l'antiracisme (2022). "Ce type de propos ignorants nous fait passer à côté des mécanismes systémiques de l'antisémitisme."

Un manifestant porte une pancarte faisant référence à une déclaration de Jean-Luc Mélenchon, lors d'un rassemblement contre l'antisémitisme, après l'affaire du viol de Courbevoie, le 19 juin 2024 à Paris. (MAGALI COHEN / HANS LUCAS / AFP)

Un an plus tard, Jean-Luc Mélenchon accuse Pierre Moscovici de penser "finance internationale". Une déclaration empreinte du stéréotype antisémite du banquier juif. Mais l'ancien candidat à la présidentielle assure ignorer la religion du ministre de l'Economie de l'époque, cite l'agence Reuters. "Etre juif n'est pas seulement une religion. Cela montre une méconnaissance de l'antisémitisme", rétorque Robert Hirsch. En 2019 encore, le patron de LFI accuse "les ukases arrogants" du Crif d'avoir contribué à la défaite du leader britannique travailliste Jeremy Corbyn, accusé de complaisance avec l'antisémitisme. "On peut être en désaccord avec le Crif" mais cette expression relève du "complotisme antisémite", déplore Jonas Pardo.

"L'antisémitisme est très souvent intériorisé, peu conscient. On peut parfaitement penser se battre politiquement contre et en être le vecteur."

Illana Weizman, autrice

dans "Les juifs, angle mort de l'antiracisme"

Nouveau tollé en 2020 lorsque Jean-Luc Mélenchon déclare sur BFMTV : "Je ne sais pas si Jésus était sur la croix. Je sais qui l'y a mis, paraît-il, ce sont ses propres compatriotes." Une référence au "peuple déicide, la base la plus ancienne de l'antisémitisme chrétien", rappelle Robert Hirsch. A plusieurs reprises, le leader de gauche se défend, comme dans l'émission "Balance ton post" : "Chaque fois qu'il y aura une bataille contre le racisme, je serai là." L'actualité lui donnera-t-elle l'opportunité de le prouver ? Alors que le drame de Courbevoie percute la campagne, le Premier ministre, Gabriel Attal, a appelé, jeudi 20 juin, les dirigeants politiques à "mettre des digues" face à l'antisémitisme.

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