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L'antisémitisme "est tellement inscrit dans l'inconscient collectif qu'au mieux, il est latent, au pire, il est manifeste, mais il est toujours présent", explique une sociologue

Spécialiste des discriminations, Illana Weizman compare l'antisémitisme quotidien aux propos sexistes : "Tu n'as pas d'humour, c'est une blague..."
Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié
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Illana Weizman, sociologue, autrice et militante féministe franco-israélienne, le 28 août 2020. (EMMANUEL DUNAND / AFP)

"L'antisémitisme est tellement inscrit dans l'inconscient collectif qu'au mieux, il est latent, au pire, il est manifeste, mais il est toujours présent", a expliqué jeudi 28 septembre sur franceinfo Illana Weizman, essayiste spécialiste des discriminations, auteure du podcast "Qui a peur des juifs", réalisé pour le studio suisse Chahut Média. 91% des jeunes juifs ont déjà été victimes d'un acte antisémite dans sa vie étudiante, révèle une étude Ifop publiée jeudi commandée par l'Union des étudiants juifs de France (UEJF). Au quotidien l'antisémitisme se caractérise par "des petites choses, des petits stéréotypes, des petits préjugés", explique-t-elle. Illana Weizman se dit un peu résignée et ne voit pas émerger dans un avenir proche une "société post-antisémite". En attendant, "il faut absolument lutter au quotidien et informer au maximum. Les juifs et juives vivent des expériences compliquées. On a besoin d'alliés", dit-elle.

franceinfo : Comment se caractérise l'antisémitisme au quotidien ?

Illana Weizman : Ce sont parfois des choses qui peuvent paraître un peu minimes, un peu triviales. C'est une petite blague, un stéréotype : "Ne fais pas ton juif". Ce genre de choses que les personnes juives entendent régulièrement au cours de leur vie, à l'école et au travail. Les meurtres antisémites et la Shoah, ce sont des événements paroxystiques en termes de violence, jouent parfois malheureusement comme une espèce d'écran de fumée devant ce que représente en fait la trivialité, la banalité de l'expérience de l'antisémitisme en France. C'est vraiment des petites choses, des petits stéréotypes, des petits préjugés. Les juifs ont un peu ce sentiment aussi de se sentir toujours minimisés dans leur expérience. On a nous-mêmes intégré le fait que si on parle de l'antisémitisme que l'on vit, on va nous dire : "Ça va, c'est une blague". Un peu comme les propos sexistes : "Tu n'as pas d'humour, c'est rien du tout". On a intégré ça et on n'en parle pas. Et comme on parle de moins de 1% de la population, ça ne fait pas beaucoup de monde. Si on ne prend pas non plus la parole, dans l'inconscient collectif, les gens ont l'impression finalement que l'antisémitisme, c'est un mal d'hier, qu'il n'existe plus, qu'il n'est plus opérant. On sait très bien que c'est faux.

L'antisémitisme est-il plus important dans des périodes de crise ?

L'antisémitisme est tellement inscrit dans l'inconscient collectif que finalement, au mieux, il est latent, au pire, il est manifeste, mais il est toujours présent. C'est ça qu'il faut vraiment retenir. On le voit très bien avec la crise du Covid où on va avoir des mythologies qui ont déjà émergé au Moyen Âge. Les juifs qui empoisonnent les puits, les Juifs qui fomentent les virus.

"Au moment du Covid, on a eu énormément de caricatures. Par exemple, Agnès Buzyn, avec un nez crochu en train d'empoisonner un puits. On a dit que les juifs avaient créé le virus pour s'en mettre plein les poches avec le vaccin."

Ilana Weizman, essayiste spécialiste des discriminations

à franceinfo

Il s'est vraiment fait finalement des mythologies et des narratifs qui reviennent, toujours les mêmes, qui se métamorphosent en fonction des contextes, en fonction des événements. C'est pour ça qu'ils sont extrêmement puissants, c'est qu'ils trouvent toujours des façons de réémerger.

Êtes-vous d'une certaine façon résignée ?

Je dois dire que oui pour ma part. Je ne pense pas que je vivrai assez longtemps pour voir éclore une société post-antisémite ou post-raciste. Il faut tenter au maximum de marginaliser ces discours-là. D'une certaine façon, l'antisémitisme est né à un certain moment. Donc, s'il est né, il peut aussi disparaître. Je pense que ça va prendre beaucoup de temps. On n'y est pas encore. En attendant, il faut absolument lutter au quotidien et informer au maximum. Les juifs et juives vivent des expériences compliquées. On a besoin d'alliés et de gens qui soient informés de ce que représente l'antisémitisme au quotidien.

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