Que sont les "dragons célestes", qui valent au député LFI David Guiraud d'être accusé d'antisémitisme ?

Article rédigé par franceinfo
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Sur les réseaux sociaux, certains internautes dissimulent leurs propos antisémites en utilisant des références aux "dragons célestes". (HELOISE KROB / FRANCEINFO)
Le terme "dragon céleste", issu de l'univers du manga "One Piece", est utilisé par des internautes antisémites pour parler des juifs sans les nommer, afin d'échapper à la modération des réseaux sociaux. Ils espèrent ainsi passer plus facilement sous les radars de la justice.

Tout part d'un simple extrait de dessin animé. Le député LFI David Guiraud est accusé d'antisémitisme après avoir publié sur X (ex-Twitter) une image issue de la série d'animation japonaise One Piece, faisant référence aux "dragons célestes", des personnages dont le nom et l'image ont été récupérés a des fins antisémites sur les réseaux sociaux.

Le député a rapidement supprimé son tweet face à la polémique, pour ne pas "heurter", et il dément avoir eu l'intention de relayer une référence antisémite. "Les dragons célestes ne sont pas une religion ou une 'race' et si vous le pensez, vous avez mal lu One Piece", assène-t-il sur Twitter, où il a l'habitude de publier des références à l'univers du manga le plus vendu au monde, avec plus de 500 millions d’exemplaires écoulés depuis son premier tome en 1997.

Alors, que sont les "dragons célestes", dont il est question dans l'univers One Piece ? Avec plus de 100 tomes et 1 000 épisodes, le monde créé par Eiichiro Oda fourmille de personnages. On y suit les aventures d'un garçon nommé Luffy dans sa quête d'un trésor ultime, le One Piece, pour devenir le roi des pirates.

Riches, puissants et manipulateurs

Dans ce monde, "les dragons célestes sont la haute noblesse de sang. Ils sont les descendants des fondateurs du gouvernement mondial. Ce sont des êtres riches, puissants et pleins de privilèges qui vantent l'entre-soi", explique Pierre-William Fregonese, chercheur à la faculté des arts de Kyoto (Japon). Physiquement, les "dragons célestes" sont des humanoïdes reconnaissables à leurs vêtements blancs, leur coiffure burlesque et leur scaphandre qu'ils portent pour ne pas respirer le même air que les autres.

"Gouvernement mondial, richesse, caste qui tire les ficelles"... Ces caractéristiques des "dragons célestes" ont été détournés par certains internautes antisémites qui voient un parallèle entre ces personnages de l'univers One Piece et les juifs, explique Illana Weizman, sociologue et essayiste sur la question de l'antisémitisme. Dépeints comme puissants, riches et manipulateurs, les "dragons célestes" cochent en effet de nombreuses cases de l'imaginaire antisémite et des théories complotistes d'un "nouvel ordre mondial".

Toutefois, selon la sociologue, "l'univers de One Piece en lui-même n'est pas antisémite", les "dragons célestes" représentent une caste cruelle et méprisante, mais sans viser les juifs, analyse-t-elle. Pour la chercheuse, c'est la réappropriation de ces personnages pour établir un parallèle avec les juifs qui est antisémite. Eiichiro Oda n'a d'ailleurs jamais été accusé de propos antisémites. Son manga porte au contraire des valeurs antidiscrimination, bien qu'il "véhicule aussi des stéréotypes", estime Pierre-William Fregonese.

Un langage codé pour éviter le "shadowban"

Alors pourquoi certains internautes antisémites ont-ils opté pour cette référence obscure ? "Il y a quelques années, afin d'éviter la modération par mots-clés, des membres des forums de jeuxvideo.com ont commencé à utiliser l'expression 'dragons célestes' pour désigner les personnes juives", explique Pierre-William Fregonese. Plusieurs plateformes ont mis en place une modération basée sur le fait de repérer certains mots-clés afin de ne pas mettre en avant le contenu qui y est associé. On appelle cela le "shadowban" (ou "bannissement furtif" en français). Cela concerne le terme "juif", mais également d'autres mots relatifs à un contenu estimé sensible par les plateformes.

Reste que les propos antisémites ne sont pas seulement interdits sur les réseaux sociaux, ils tombent sous le coup de la loi. "L'antisémitisme n'est pas une opinion, c'est un délit", rappelle Illana Weizman. En maquillant leur discours, les antisémites cherchent donc aussi à échapper plus facilement à la justice. Utiliser un langage codé les rend plus discrets et leur permet de se cacher derrière une fausse interprétation de leurs propos pour se défendre de tout antisémitisme. "Le but est que le grand public ne comprenne pas", explique Illana Weizman. "C'est un 'dog whistle' [un appel du pied], c'est-à-dire un terme qui peut passer inaperçu, mais permet aux antisémites de se reconnaître entre eux", explique l'essayiste.

Cette référence à One Piece n'est d'ailleurs pas le premier exemple de "dog whistle" à caractère antisémite apparu sur les réseaux sociaux. Lors des confinements successifs liés à la pandémie de Covid-19, le terme "qui ?" s'était par exemple popularisé parmi les antisémites pour parler des juifs sans les nommer. L'expression "dragon céleste", utilisée sur les réseaux sociaux en français depuis plusieurs années, étant maintenant devenue courante, d'autres expressions, comme "Tenryubito" (la traduction japonaise de "dragons célestes"), ont également fait leur apparition.

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