Antisémitisme, antisionisme… Quelles définitions derrière ces mots ? Les réponses d'un historien
"L'antisionisme, aujourd'hui, est la forme moderne de l'antisémitisme", a déclaré la journaliste Anne Sinclair lundi 29 avril, sur France 5 alors qu'elle était invitée à réagir aux manifestations étudiantes propalestiniennes, à Sciences Po notamment. "Jamais je n'aurais pensé que tous ces jeunes gens seraient à ce point antisémites", a pour sa part déclaré Élisabeth Badinter le 26 avril sur France 5 toujours à propos de la mobilisation des étudiants de Sciences Po. Mais que signifient exactement les termes d'antisémitisme et d'antisionisme ? Parle-t-on de la même chose ? Franceinfo a interrogé Dominique Vidal, journaliste et historien, auteur de Antisionisme = antisémitisme ?.
franceinfo : Quelle est la différence entre antisémitisme et antisionisme ?
Dominique Vidal : L'antisémitisme, c'est le racisme contre les juifs. Il y a des racines non négligeables en France historiquement, puisque c'est ce qui a motivé en réalité l'affaire Dreyfus. L'antisionisme, c'est le refus ou la critique de l'idée qu'a eu Theodor Herzl en 1896 de militer pour la création d'un État juif en Palestine. Quand on regarde l'histoire, jusqu'en 1939, l'immense majorité des antisionistes sont des juifs. En fait, l'antisionisme est un mouvement juif opposé au sionisme. Il y a plusieurs raisons à cela. La plus importante, c'est l'idée que le judaïsme est d'abord une religion et qu'une religion, ça n'est pas une nation, ça n'est pas un peuple. Pour les ultra-orthodoxes, il ne peut pas y avoir d'État juif avant que le Messie ne soit arrivé.
Y a-t-il eu une évolution de l'antisionisme au fil des années ?
Évidemment que oui. Le changement ne date pas d'aujourd'hui. Il date de la Seconde Guerre mondiale où l'épouvantable génocide organisé par les nazis a créé une situation tout à fait nouvelle, y compris en Palestine, puisque le mouvement sioniste y a trouvé une légitimité tragique évidemment, qui a poussé à l'époque l'Organisation des Nations Unies à voter un plan de partage, donc à voter pour qu'il y ait en Palestine un État juif et un État arabe. On connaît la suite, par ailleurs : l'État juif a vu le jour, mais pas l'État arabe et son territoire a été partagé. Donc la situation était différente du point de vue international. Il y avait un soutien de la communauté internationale à l'idée de créer pas seulement un État juif, mais deux États.
Ensuite, il y a une autre chose très importante qu'on ne peut pas négliger, c'est le fait qu’il y a eu environ 300 000 survivants de l'Holocauste qui ont été regroupés dans les camps dits à l'époque "de personnes déplacées". La plupart d'entre eux ne voulaient pas ou ne pouvaient pas retourner dans leur pays, en particulier en Pologne et en Europe centrale où l'antisémitisme restait extrêmement vivace. Ils voulaient aller vivre aux États-Unis, mais les Américains avaient adopté, depuis les années 30, des lois restreignant très fortement l'immigration. Donc la plupart de ces personnes déplacées ont finalement répondu à l'appel des organisations sionistes qui les ont emmenées en Palestine et ensuite en Israël.
Ce qui fait qu’aujourd'hui, par exemple, on ne peut pas dire que les antisionistes tels qu'ils existent sont pour la disparition de l'État d'Israël. C'est une ânerie. Ils sont pour une transformation de l'État d'Israël, non plus en État du peuple juif, mais en État de tous ses citoyens, de telle manière que tous les citoyens israéliens puissent vivre en égalité.
Que pensez-vous des discours qui affirment qu'être antisioniste, c'est forcément être antisémite ?
Ça existe. Mais tracer cette égalité me paraît être une forme d'analphabétisme historique. Je le disais, l'antisionisme est d'abord un mouvement juif et il est, dans sa formulation la plus rude, développé jusqu'à la Seconde Guerre mondiale mais pas après. C'est dangereux de mettre un signe égal entre les deux, dans le sens où il n'y a pas en France, dans le droit français, de délit d'opinion. Ça n'existe pas. Condamner l'antisionisme, c'est créer une violation du droit constitutionnel français. Ou alors on condamne aussi l'anti-communisme ou l'anti-gaullisme. Tout ça n'a pas de sens.
Pour autant, on peut évidemment critiquer la politique d'Israël, par exemple en ce moment à Gaza, sans forcément dire qu'on est antisioniste. Il n'y a pas besoin d'être anti-russe pour critiquer la politique de Poutine. On est dans deux registres différents à mon avis. En revanche, évidemment, il y a un certain nombre de gens qui sont connus pour leurs thèses antisémites ou négationnistes, je pense à Alain Soral ou à Dieudonné, et qui utilisent le terme "antisionisme" pour cacher leur antisémitisme. Ça, c'est un vrai problème que devraient se poser tous ceux qui se déclarent antisionistes. Bien sûr, il y a des antisémites qui se camouflent derrière l'antisionisme.
Mais surtout il y a un changement de la nature de l'antisionisme. Jusqu'en 1939, l'antisionisme est majoritaire parmi les juifs du monde, très largement. Le sionisme est un mouvement très minoritaire jusqu'à la guerre. Donc à l'époque, par exemple, Sigmund Freud a tenu des propos et écrit des textes antisionistes, c’est-à-dire opposé à l'idée de créer un État juif. Albert Einstein, c'est la même chose. Ce type de réflexion a évidemment été modifié par la création de l'État d'Israël, c’est-à-dire que personne, à ma connaissance, ne propose aujourd'hui que l'on dissolve l'État d'Israël. On peut imaginer de le sanctionner pour ses violations du droit international, mais pas de le détruire. Aujourd'hui, l'antisionisme consiste à prôner l'égalité en droits nationaux, individuels et religieux de tous les habitants de la Palestine. Je connais des gens qui éventuellement regrettent que l'État d'Israël soit advenu dans les conditions où il est advenu, c’est-à-dire où il n'y a pas eu un deuxième État comme prévu - parce qu’au fond, tous ces conflits ont pour objet les droits des Palestiniens - mais on peut être pour les droits des Palestiniens sans être contre ceux des Israéliens, évidemment.
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