Travail, justice, éducation… Où en sont les "chantiers prioritaires" d'Emmanuel Macron, un an après la réforme des retraites ?

Un an après la feuille de route présentée par le chef de l'Etat au cours d'une allocution, plusieurs réformes ont bien été initiées, mais la plupart des chantiers sont toujours en cours.
Article rédigé par Léa Deseille, Linh-Lan Dao
France Télévisions
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Le 17 avril 2023, Emmanuel Macron voulait refermer la crise de la réforme des retraites. Un an plus tard, certains des chantiers présentés ont avancé. (JEREMIE LUCIANI / MAXIME LEONARD / HANS LUCAS / AFP / OLIVIER DJIANN / GETTY IMAGES / PHOTOPQR / LA PROVENCE / MAXPPP LUDOVIC MARIN / AFP)

Objectif : relancer son second quinquennat en tournant la page de la réforme des retraites. Le 17 avril 2023, après la validation de l'essentiel du texte par le Conseil constitutionnel, Emmanuel Macron avait donné une allocution afin de rappeler aux Français sa feuille de route.

Travail, justice, santé, éducation… Le président de la République avait alors insisté sur plusieurs "chantiers prioritaires". Un an après cette prise de parole, franceinfo fait un état des lieux de l'avancement des principaux travaux annoncés.

"Ramener vers le travail le plus de bénéficiaires du RSA" : une réforme pas encore généralisée

Sur le front de l'emploi, Emmanuel Macron entendait "redoubler d'efforts pour ramener vers le travail le plus de bénéficiaires du RSA". La loi "pour le plein emploi" du 18 décembre 2023 a en ce sens conditionné le versement du revenu de solidarité active à quinze, voire vingtheures d'activité d'insertion par semaine.

Le texte prévoit également que les bénéficiaires soient automatiquement inscrits à France Travail (ex-Pôle Emploi). Jusque-là, seuls 41% des bénéficiaires du RSA étaient inscrits à Pôle Emploi, selon une note publiée en 2022 (document PDF) par la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees). Un accompagnement renforcé est proposé à tous les allocataires, et certains d'entre eux bénéficient d'un suivi conjoint par un conseiller France Travail et un assistant social du département.

Pour l'instant, il est difficile d'évaluer l'efficacité de ce RSA conditionné, dont l'expérimentation est passée début mars de 18 à 47 départements. Le Premier ministre Gabriel Attal a soutenu à cette occasion qu'un bénéficiaire sur deux retournait à l'emploi au bout de cinq mois, mais cette affirmation est à prendre avec précautions. D'après nos informations, le chef du gouvernement s'appuie en effet sur un échantillon très parcellaire de 5 000 personnes environ, sur près de 21 300 bénéficiaires du RSA conditionné. Or, la France comptait 2,1 millions de personnes au RSA au total, fin 2022, selon la Drees.

Les "patients atteints de maladie chronique sans médecin traitant en disposeront" : une promesse loin d'être tenue

En matière de santé, Emmanuel Macron avait assuré dans son allocution que "d'ici la fin de l'année [2023], 600 000 patients atteints de maladie chronique qui n'ont pas de médecin traitant en disposeront". Dans la foulée, le gouvernement a lancé un plan d'action pour accélérer sur le sujet. Mais l'objectif n'a pas été atteint. "On n'y sera pas", a reconnu sur le plateau de franceinfo en décembre 2023 Agnès Firmin-Le Bodo, alors ministre de la Santé. Elle avait lors de cet entretien donné "de mémoire" le chiffre de "180 000" patients souffrant d'une maladie chronique ayant trouvé un médecin traitant.

En dénombrant "600 000 patients atteints de maladie chronique", le chef de l'Etat était de toute manière loin du compte. En mars 2023, le ministère de la Santé recensait plus de 700 000 personnes dans cette situation. Contactée par franceinfo, la Caisse nationale d'assurance maladie a fourni un bilan actualisé : en décembre 2023, 240 000 personnes atteintes de maladie chronique ont trouvé un médecin traitant et 472 000 autres n'en ont pas.

"Accroître l'emploi pour les seniors" : des difficultés persistantes

Emmanuel Macron avait promis d'"accroître l'emploi des seniors et aider aux reconversions". Le gouvernement s'est fixé comme objectif un taux d'emploi de 65% "à l'horizon 2030" pour les 60-64 ans, alors qu'il n'était que de 36,2% en 2022, selon les chiffres de la Direction des statistiques du ministère du Travail (document PDF). Un taux en dessous de la moyenne européenne et de celle des pays de l'OCDE. Force est de constater que les difficultés persistent.

"Il n'y a pas eu d'inflexion majeure sur l'emploi des seniors dans l'année qui vient de s'écouler", note auprès de franceinfo Bruno Coquet, économiste spécialiste du chômage. "Le taux d'emploi des seniors remonte depuis une vingtaine d'années, mais c'est structurel." Cette hausse, commune à la plupart des pays d'Europe occidentale, s'explique par "l'entrée des baby-boomers dans la catégorie des plus de 55 ans", explique Hippolyte d'Albis, chef économiste de l'Inspection générale des finances, dans sa publication Les seniors et l'emploi.

L'exécutif voyait dans sa réforme des retraites l'un des leviers les plus efficaces pour augmenter l'emploi des seniors. Mais une étude de l'Unedic parue en mars 2023 montre que les précédentes réformes ont plutôt eu l'effet inverse. "L'élévation de l'âge légal de départ à la retraite n'a paradoxalement pas eu d'effet positif net sur l'emploi des seniors", constate Hippolyte d'Albis. En effet, même si cette élévation a pu contribuer à une "hausse des seniors en emploi", elle a aussi participé à une "hausse du nombre de personnes au chômage, en invalidité et en congé maladie", soutient l'économiste dans son ouvrage. 

Les négociations de trois mois et demi entre syndicats et patronat pour trouver un accord améliorant l'emploi des seniors se sont conclues sur un constat d'échec, dans la nuit du 9 au 10 avril. La validation par le gouvernement de la convention d'assurance chômage négociée à l'automne est donc compromise. Celle-ci pourrait de toute façon vite devenir obsolète. Gabriel Attal a annoncé fin mars une nouvelle réforme de l'assurance-chômage. La réduction de l'indemnisation des seniors demandeurs d'emploi est l'une des pistes envisagées.

"Trouver des solutions à l'usure professionnelle" : un bilan mitigé

Le président voulait de "trouver des solutions à l'usure professionnelle", provoquée par certains métiers aux conditions difficiles. Trois mois avant son intervention, la Première ministre de l'époque, Elisabeth Borne, s'était félicitée d'avoir "enrichi tous les dispositifs qui peuvent permettre de prendre en compte la pénibilité [au travail]" avec la réforme des retraites. Son constat est pourtant à nuancer. Si la réforme a bien permis d'abaisser le seuil d'obtention de certains critères de pénibilité, donnant droit à partir plus tôt à la retraite, trois critères ont "disparu" depuis 2017 : le port de charges lourdes, la présence de postures pénibles et les vibrations mécaniques. 

Ces risques dits "ergonomiques", reconnus par le ministère du Travail comme responsables de 87% des maladies professionnelles reconnues chaque année, sont toutefois pris en compte pour des actions de prévention et de reconversion des salariés concernés. Ces mesures sont financées par un fonds d'investissement dans la prévention de l'usure professionnelle, créé en avril 2023 et doté d'un milliard d'euros sur le quinquennat. 

"Le déménageur qui a un port de charge lourde, ça n'est pas considéré comme de la pénibilité. C'est de l'usure professionnelle", illustre auprès de franceinfo Emeric Jeansen, maître de conférences en droit social. "Auparavant, il pouvait espérer accumuler des points année après année pour partir plus tôt à la retraite. Maintenant, tout ce qu'il a, c'est un droit d'exiger de son employeur qu'il mette en place des actions de prévention pour éviter qu'il ne s'abîme", résume-t-il. "A ma connaissance, rien ne s'est passé depuis la loi de réforme des retraites", conclut ce spécialiste.

"Engager la réforme du lycée professionnel" : chantier en cours

Emmanuel Macron avait annoncé qu'il souhaitait "engager la réforme du lycée professionnel" afin que "le plus grand nombre de nos adolescents et de nos jeunes accèdent soit à des formations vraiment qualifiantes, soit à l'emploi". La réforme a bien été engagée. Depuis la rentrée 2023, des dispositifs pour prévenir le décrochage scolaire et favoriser l'insertion professionnelle des jeunes lycéens ont été développés, comme la gratification des périodes de formation en milieu professionnel ou encore des enseignements en petits groupes pour une pédagogie renforcée en mathématiques et en français dans les établissements volontaires. 

La rentrée 2024 doit être l'occasion de mettre en place une autre mesure importante : la création des deux parcours différenciés entre les élèves qui souhaitent continuer leurs études et ceux qui désirent intégrer directement dans le monde du travail.

Si les détails de la réforme restent à définir dans les prochains mois, l'initiative fait déjà débat chez les syndicats de professeurs. "Cette réforme va renforcer les difficultés. Les jeunes qui choisiront le parcours en entreprise perdront 180 heures de cours", déplore Axel Benoist, cosecrétaire général du syndicat de l'enseignement professionnel SNUEP-FSU. D'après lui, la suite de la réforme doit être présentée au printemps, en vue d'une mise en œuvre à la rentrée 2024. 

"Le remplacement systématique des enseignants absents" : en amélioration

C'est l'une des principales revendications des parents d'élèves, dont certains avaient même porté plainte contre l'Etat en mai 2023 face au non-remplacement des professeurs absents. Emmanuel Macron avait répété la volonté de l'exécutif de remplacer systématiquement les enseignants absents dès la rentrée 2023. 

Un décret du 8 août 2023 a établi de nouvelles règles en la matière. Plusieurs outils ont été mis en place pour améliorer la situation, notamment le "pacte enseignants". Ce dispositif permet aux professeurs de toucher une prime annuelle en échange de missions supplémentaires, telles que le remplacement de leurs collègues absents. Dans le second degré, le remplacement des absences de moins de 15 jours devait jusqu'alors être assuré en interne par les collègues du professeur absent. Désormais, les rectorats peuvent faire appel à des solutions externes pour combler ces absences. 

Si des moyens ont été mis en place, l'intégralité des absences ne sont pas pour autant remplacées. Selon les données du gouvernement, le taux de remplacement dans le premier degré a gagné 8,7 points entre août 2022 et septembre 2023, atteignant 77,4%. Sur la même période, on constate un léger mieux (0,5 point) dans le second degré, avec 94,5% de remplacement. L'objectif du gouvernement dans le premier et le second degré est d'atteindre les 95%. 

"Continuer à recruter plus de 10 000 magistrats et agents" : encore loin du compte

En matière de justice, le président a redit l'intention du gouvernement de "continuer à recruter plus de 10 000 magistrats et agents". Un projet de réforme a été présenté dès mai 2023. Le ministre Eric Dupond-Moretti a promis la création de 10 000 postes de fonctionnaires. Contacté par franceinfo, le ministère a détaillé certains objectifs de recrutement : "1 500 magistrats, 1 800 greffiers d'ici 2027 et 1 100 attachés de justice d'ici fin 2024". Pour cela, le budget de la justice a été augmenté pour atteindre 11 milliards d'euros en 2027. Un an après les annonces du chef de l'Etat, où en est-on ?

Selon le ministère, "2 400 agents contractuels ont d'ores et déjà été recrutés dans les juridictions depuis 2020 dans le cadre de la justice de proximité". La Chancellerie ne précise pas la nature des postes occupés par ces agents. Le site du gouvernement propose de suivre l'état d'avancée du recrutement, mais il n'a pas été actualisé depuis le 31 août 2023. A cette échéance, 252 magistrats avaient été recrutés, soit 17% de l'objectif visé.

Quatre mois plus tard, l'Ecole nationale de la magistrature (ENM) dévoilait la composition de sa promotion 2024, comprenant 353 aspirants magistrats, selon le site de l'établissement, soit une hausse de près de 37% par rapport à la promotion de 2022 (258 élèves). "Vous allez ainsi faire partie de la plus grande promotion d'auditrices et d'auditeurs de l'ENM depuis sa création", s'était alors réjouie Nathalie Roret, directrice de l'établissement, dans une vidéo à destination des nouveaux admis. 

Pour les postes de greffiers, le ministère de la Justice a lancé une première session de recrutement en octobre 2023, avec 450 postes à pourvoir, selon France Travail. A ce jour, 412 candidats ont été présélectionnés, selon le site du ministère de la Justice. Toujours selon cette source, une deuxième session de recrutement aura lieu en avril 2024.

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