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Réforme du lycée professionnel : pourquoi le rapprochement entre établissements et entreprises inquiète les acteurs de la filière

Emmanuel Macron, qui a présenté sa réforme jeudi, veut notamment renforcer la place des stages en entreprise dans les filières de la voie professionnelle.
Article rédigé par Laure Cometti, franceinfo
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5min
Des opposants aux mesures d'Emmanuel Macron accrochent une banderole devant le rectorat de Toulouse (Haute-Garonne), le 18 octobre 2022. (VALENTINE CHAPUIS / AFP)

Emmanuel Macron poursuit ses visites de terrain et ses annonces, pour tourner la page de la réforme des retraites. Le président de la République s'est rendu, jeudi 4 mai, à Saintes (Charente-Maritime) pour présenter une réforme pour les lycées professionnels. Ces mesures concerneront plus de 650 000 élèves, les lycéens professionnels représentant près d'un tiers du total des lycéens, d'après les chiffres publiés en août 2021 par le ministère de l'Education nationale. 

Le chef de l'Etat entend renforcer la place de l'entreprise dans la formation, en augmentant la durée des stages effectués par les lycéens et en leur attribuant à chacun, d'ici à 2025, un "mentor" issu du monde du travail. Un "bureau des entreprises" sera aussi créé dans chaque lycée professionnel" pour "accompagner les jeunes dans la recherche de stages" ou "développer des partenariats". Les liens entre le lycée professionnel et le monde de l'entreprise devraient donc être renforcés, ce que les acteurs de la filière ne voient pas d'un bon œil.

Une inquiétude concernant les enseignements généraux

L'allongement de la durée des stages, en terminale pro, est l'un de leurs sujets d'inquiétude. "Cela va se faire au détriment des enseignements généraux et théoriques", craint Philippe Dauriac, secrétaire national en charge de la voie professionnelle de la CGT Educ'action. "Or les élèves ont besoin de ces apports-là, car ils ne peuvent pas tout apprendre en entreprise", explique-t-il à franceinfo, prenant l'exemple de la filière coiffure. "En stage, en salon, les élèves se retrouvent à passer le balai ou faire des shampoings, alors qu'au lycée, ils peuvent s'entraîner à couper les cheveux sur des cobayes".

Une préoccupation que partage Grégoire Ensel, le président de la FCPE, au micro de franceinfo : "Il ne faut pas que l'on sacrifie ces apprentissages essentiels au profit de périodes de stages en entreprise". Car les enseignants sont nombreux à demander un meilleur encadrement de ces formations en entreprise pour les lycéens professionnels. "Emmanuel Macron a une vision idyllique des stages en entreprise. Mais l'entreprise peut aussi être dangereuse, surtout lorsqu'on parachute des jeunes dans un monde d'adultes, très hiérarchisé, par exemple dans la restauration", prévient Philippe Dauriac.

En outre, les syndicats d'enseignants de la filière pro défendent la place des enseignements fondamentaux, qui selon eux permettent aux élèves d'acquérir une base précieuse en cas de réorientation et de ne pas creuser l'écart avec la voie générale. "Les élèves entrant en lycée professionnel cumulent des difficultés sociales et scolaires et ils ont besoin de plus et de mieux d'école", écrivaient-ils, réunis en intersyndicale, dans un communiqué (PDF) le 21 mars.

La crainte de disparités territoriales

Le chef de l'Etat a aussi insisté sur le lien entre les lycées professionnels et les bassins d'emploi. Il a annoncé la fermeture de certaines filières si elles n'ont pas de débouchés sur le marché du travail, sans préciser lesquelles. "Le gouvernement veut faire correspondre la filière pro aux besoins des entreprises locales : on met le lycée pro au service du monde économique régional", dénonce Philippe Dauriac, de la CGT Educ'action. Un discours partagé par Guillaume Lefèvre, secrétaire national du Syndicat national des lycées et collèges (Snalc) chargé de l'enseignement professionnel. "On oublie que les professeurs de lycées professionnels forment aussi et avant tout des élèves devant disposer d'une large culture générale et professionnelle, et non des exécutants Kleenex dont on se débarrasse cinq ou dix ans plus tard car leur formation ne correspond plus aux derniers souhaits en date des entreprises", déclare-t-il dans un communiqué

Les syndicats craignent l'apparition de fortes disparités géographiques, si des filières devaient fermer faute de postes à pourvoir localement. Les lycéens pourraient-ils se voir refuser une formation en aéronautique ou en menuiserie s'ils habitent loin d'une zone proposant des postes dans ces secteurs ? "Il ne faudrait pas que cela conduise à des lycées professionnels à deux vitesses, avec d'un côté ceux qui sont sur des territoires attractifs et dynamiques et ceux qui sont sur des territoires plus à la peine", s'inquiète auprès du Monde (article réservé aux abonnés) Jérôme Fournier, secrétaire national du SE-Unsa.

L'annonce de la gratification des lycéens professionnels pendant leurs stages n'a pas non plus fait consensus. "L'argent public va offrir de la main-d'œuvre gratuite aux entreprises", a taclé Sigrid Gérardin, co-secrétaire générale du Snuep-FSU au micro de BFMTV jeudi. L'intersyndicale des personnels de la filière doit se réunir dans les prochaines semaines.

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