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Récit franceinfo "Pas d'état de grâce, c'est le moins que l'on puisse dire" : on vous raconte la première année "tumultueuse" du second quinquennat d'Emmanuel Macron

Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10 min
La première année du second quinquennat d'Emmanuel Macron a été marquée par la perte de la majorité absolue à l'Assemblée nationale et des manifestations historiques contre la réforme des retraites. (PAULINE NOURS / FRANCEINFO)
Marqués par l'impopulaire réforme des retraites, ces 12 mois se terminent dans la contestation. De quoi interroger sur la suite du mandat présidentiel.

"Il n'y a rien à dire de cette première année." Attablé dans un café non loin de l'Assemblée nationale, ce député de la majorité se reprend : "On l'a foirée, si on veut être honnête. La seule chose que l'on retient, c'est la réforme des retraites." De son côté, Marc Ferracci, député Renaissance et proche du président, évoque "une année tumultueuse", tandis que l'universitaire Benjamin Morel lâche l'adjectif "erratique".

Le lundi 24 avril marque le premier anniversaire de la réélection d'Emmanuel Macron, une nouvelle fois victorieux de Marine Le Pen. Une prouesse, insistaient à l'époque les soutiens du chef de l'Etat : jamais un président de la République n'avait décroché un second quinquennat hors période de cohabitation. Douze mois plus tard, ils sont pourtant plusieurs à s'interroger sur le sens de ce nouveau mandat, alors que la crise des retraites a plongé le pays dans une crise sociale, voire politique.

Contactée, l'équipe du chef de l'Etat n'est jamais revenue vers franceinfo pour faire le bilan de cette première année. "L'unique question c'est : 'Que veut faire Emmanuel Macron de ce second quinquennat ?', explicite auprès de France Télévisions un ancien conseiller de l'Elysée. Transformer la France ou devenir Chirac. Il doit aller vite, sinon, c'est fini." 

Le spectre de la fin de règne de l'ancien président (1995-2007), avec l'échec du CPE dont la loi a été promulguée mais jamais appliquée, hante la majorité. "On n'est pas dans la chiraquisation, avec ces années d'immobilisme total. Il faut garder le cap réformateur", assure le député Renaissance Benjamin Haddad. Mais pour faire quoi ? "La grande question, c'est la suite", glisse un ministre.

Les retraites, "le sparadrap du capidaine Haddock"

Dans son allocution post-promulgation de la réforme des retraites, Emmanuel Macron a fixé des chantiers prioritaires, comme celui du travail ou du progrès, et demandé une feuille de route détaillée à sa Première ministre. Il s'est donné 100 jours pour faire "un premier bilan", à l'issue d'un discours qui aurait pu ressembler à celui d'un président tout juste élu. "On vit la fin du premier quinquennat. Cette réforme des retraites, c'était le sparadrap du capidaine Haddock dont on arrivait pas à se débarrasser. Maintenant qu'elle est faite, le second quinquennat commence", veut croire un cadre de Renaissance.

Pourtant, les retraites constituaient l'un des seuls points saillants du programme d'Emmanuel Macron. "Le président a mené une campagne où il n'a pas insufflé un véritable projet pour le pays, sauf celui de décaler l'âge légal de départ", assure le directeur des études de l'Ipsos, Mathieu Gallard. A la décharge du chef de l'Etat, l'irruption de la guerre en Europe, le 24 février, a bouleversé ses plans, et raccourci le temps passé dans l'arène de l'élection présidentielle. "Il était compliqué de faire campagne sans tenir compte de l'Ukraine", défend le député du Modem Bruno Millienne. "Certes, la guerre a gêné la campagne mais cela ne l'empêchait pas de dire comment il voyait la France en 2030", proteste un élu de la majorité.

"Dès le démarrage de la campagne, Emmanuel Macron était à contretemps, il n'était pas dans le tempo."

Un parlementaire de la majorité

à franceinfo

La réélection du président n'a pas suscité "d'état de grâce, c'est le moins que l'on puisse dire", reconnaît Bruno Millienne. "On a fait une campagne à l'arrache, on s'est battus comme des chiens, mais personne n'avait préparé l'après", dévoile un proche d'Emmanuel Macron. "Ça explique le grand moment de flottement", ajoute-t-il. 

De fait, Emmanuel Macron a ensuite procrastiné, "comme il sait si bien faire", confie à France Télévisions l'un de ses conseillers. Le gouvernement, emmené par Jean Castex, n'a pas bougé avant le 13 mai, date de la fin officielle du premier quinquennat. Elisabeth Borne, nommée trois jours plus tard, est issue de la précédente équipe tout comme de nombreux ministres.

Il s'est écoulé sept longues semaines entre la présidentielle et les législatives, fixées les 12 et 19 juin. Les candidats du camp présidentiel ont désespéré de ne pas voir leur patron mouiller la chemise, alors qu'ils se faisaient (déjà) alpaguer sur les retraites. La dynamique était au contraire du côté des oppositions, à l'extrême droite avec Marine Le Pen et sa thématique fétiche du pouvoir d'achat, ou à gauche avec la création de la Nupes.  

A cela se sont ajoutés différents problèmes. Il y a eu l'affaire Damien Abad, ce transfuge de LR devenu ministre et mis en cause pour viols. Le nouveau gouvernement a aussi été secoué par la polémique sur la gestion sécuritaire de la finale de la Ligue des champions. A huit jours du premier tour, Emmanuel Macron est finalement sorti du bois lors d'un entretien à la presse régionale, mettant en avant "une nouvelle méthode" et annonçant la mise en place d'un Conseil national de la refondation (CNR).

Lancé officiellement début septembre et boycotté par l'opposition, censé être "le laboratoire de la nouvelle méthode d'élaboration des politiques publiques" selon les mots d'un acteur du dossier, le CNR peine aujourd'hui encore à s'imposer dans l'esprit des Français et subit les foudres de la majorité en coulisses. "Le bilan est nul, ça donne l'impression qu'on pédale à vide", lance un député, plusieurs mois plus tard. "Les citoyens ne savent pas ce que c'est, il faut le muscler et le rendre plus politique", plaide le député Renaissance Jean-Marc Zulesi. On est loin du grand débat national, "le coup de génie" d'Emmanuel Macron, selon Mathieu Gallard, pour sortir de la crise des "gilets jaunes". 

Le choc de la majorité relative

Les résultats des législatives ont en revanche constitué un coup de tonnerre dans le paysage politique français. "On disait : 'Attention, ça pue', et on nous répondait : 'Ça va le faire'", se souvient, agacé, un parlementaire pourtant réélu. Au final, le camp présidentiel a perdu sa majorité absolue, avec 250 sièges, loin du seuil des 289. Un véritable "massacre", soufflait-on alors dans les rangs macronistes. "On a compris que le quinquennat allait être très difficile", raconte un nouvel entrant au Palais-Bourbon.

"Emmanuel Macron s'était plutôt projeté dans un quinquennat à la IIIe République, où il pouvait fixer un cap et se concentrer sur l'international, mais avec la majorité relative, il a été obligé de composer", analyse un de ses proches. Le chef de l'Etat a aussi perdu deux poids lourds, Christophe Castaner, le patron des députés de La République en marche et surtout son fidèle ami, Richard Ferrand, président de l'Assemblée nationale durant le premier quinquennat. 

"Tout ceux qui incarnaient la macronie ont été battus."

Un parlementaire de la majorité

à franceinfo

Il a fallu trouver dans l'urgence des remplaçants, qui sont loin d'être des proches d'Emmanuel Macron. Aurore Bergé a pris la tête du groupe Renaissance, et Yaël Braun-Pivet s'est imposée au perchoir. Les députés l'ont préférée au député Roland Lescure, favori du président.

En début d'été, l'exécutif a tenté timidement de nouer des alliances partisanes en vue de constituer une coalition. Tous les partis ont refusé. Dès lors, pour nouer des compromis "texte par texte", le gouvernement a promis une nouvelle méthode avec des projets de loi plus courts, transmis plus tôt aux députés et qui soient concertés en amont. "Les observateurs disaient que ça allait être ingouvernable, mais les institutions sont faites pour gérer ces situations et cela a en partie fonctionné", décrypte Mathieu Gallard. 

De fait, comme aime à le rappeler le camp présidentiel, des textes ont été adoptés avec l'apport de voix de groupes d'opposition : le projet de loi pouvoir d'achat avec Les Républicains et le Rassemblement national, celui sur l'assurance-chômage avec la droite, ou encore le texte visant à l'accélération des énergies renouvelables, cette fois avec le Parti socialiste et Liot. Cependant, pour les textes budgétaires, le projet de loi de finances et celui sur la sécurité sociale, l'exécutif a décidé de dégainer le fameux article 49.3 de la Constitution qui permet d'adopter un texte sans vote. 

Depuis le début de cette législature, Elisabeth Borne a déjà eu recours à cet article 11 fois. "Les 49.3 budgétaires n'ont pas trop marqué l'opinion car ils ont compris qu'il fallait un budget pour la France", certifie le député Renaissance Benoit Bordat. Mais, celui utilisé, le 16 mars, par le gouvernement sur les retraites, a mis le feu aux poudres. Une grande partie des députés du camp présidentiel voulait aller au vote. "Avec le 49.3, le quinquennat s'arrête", mettait alors en garde une figure de la majorité. Mais, le deal avec LR a été jugé trop hasardeux. "Le fait qu'ils soient un partenaire fiable n'est plus du tout évident", en conclut le député Marc Ferracci.

"Il va tout changer du sol au plafond"

Dans la foulée, la motion de censure "transpartisane" a été rejetée à neuf voix, sauvant de peu une Elisabeth Borne déjà fragilisée. Après des semaines de contestation dans le calme, en contraste avec une Assemblée nationale éruptive, des violences ont éclaté dans plusieurs villes de France. Comme au temps des "gilets jaunes", la personne d'Emmanuel Macron est de nouveau mise en cause, sa manière d'exercer le pouvoir, trop verticale, est pointée du doigt. Son interview aux JT de TF1 et France 2, le 22 mars, n'a pas calmé les esprits. Le gouvernement a temporisé en liant le destin de la réforme des retraites à la décision du Conseil constitutionnel.

Le 14 avril, les Sages ont validé l'essentiel de la réforme des retraites, décision suivie trois jours plus tard, d'une allocution présidentielle pour tourner la page. "Emmanuel Macron essaye de tracer des perspectives pour clore cette séquence mais les Français ne réfléchissent pas en termes de séquence, et cela risque de rester encore pendant des mois", assure Mathieu Gallard.

De fait, les retours d'Emmanuel Macron sur le terrain sont pollués par les opposants à la réforme des retraites qui l'accueillent sous les huées et à coup de casseroles. Politiquement, la séquence n'est du reste pas refermée. Le Conseil constitutionnel doit se prononcer le 3 mai sur le second référendum d'initiative partagé. En outre, une proposition d'abrogation de la réforme des retraites déposée par Liot va être étudiée le 8 juin par l'Assemblée.

En interne, certains s'en prennent aujourd'hui au gouvernement, trop pléthorique (42 ministres et secrétaires d'Etat), mais surtout pas assez politique. "Quand il y a un ministre au banc [dans l'hémicycle], on se demande qui c'est dans la travée, raconte une députée. On a des ministres en dessous de tout. Le président ne peut en réalité s'appuyer que sur cinq ministres : Gérald Darmanin, Bruno Le Maire, Gabriel Attal, Clément Beaune et Sébastien Lecornu." 

"On met tout sur le dos du président mais il y a aussi une défaillance au niveau du gouvernement. Si les messages ne sont pas bien passés, ce n'est pas la faute du président. On ne sait pas communiquer et incarner les choses."

Un député de la majorité

à franceinfo

Les soutiens d'Emmanuel Macron se raccrochent à leur champion. "Je ne sais pas quelle est la solution miracle. Il faudra de l'audace politique mais le président va reprendre la main", promet un député influent. "Il va tout changer du sol au plafond pour redynamiser la majorité, il faut que le remaniement arrive avant l'été", confie une proche. "Tant qu'Emmanuel Macron aura du capital politique, il mettra de la pression dans les tuyaux pour impulser des projets de loi et obtenir des résultats concrets pour les Français", livre encore Marc Ferracci.

D'autres sont plus sceptiques. "Personne n'a encore tiré les leçons de juin 2022, confie un député à France Télévisions. Je compare ça au processus de deuil. Un an après, c'est toujours la sidération." 

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