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Récit franceinfo Invectives, chahut, suspensions de séance… Les débuts agités de l'examen de la réforme des retraites à l'Assemblée nationale

Les députés ont commencé à débattre du controversé projet du gouvernement, lundi après-midi, dans un climat électrique. Les deux motions de l'opposition ont néanmoins été rejetées, ouvrant la voie à l'examen du texte.
Article rédigé par Margaux Duguet, Thibaud Le Meneec
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Le député communiste André Chassaigne face à la présidente de l'Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet, dans l'hémicycle, le 6 février 2023, à Paris. (LUDOVIC MARIN / AFP)

"Est-ce que vous pensez que nous allons passer quinze jours comme ça dans l'hémicycle ?" s'étrangle presque Yaël Braun-Pivet, la présidente de l'Assemblée nationale. Des bancs de la Nupes, on entend fuser la réponse : un puissant "oui !" De quoi agacer l'occupante du perchoir : "Ici, on n'est pas dans un amphi ou une manif, on est dans l'hémicycle." Les députés débattent de la réforme des retraites depuis moins de quarante-cinq minutes, lundi 6 février, et déjà la tension est à son comble. En réalité, le bras de fer entre la majorité et les oppositions a débuté bien avant le coup d'envoi de l'examen du texte, à 16 heures.

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"Les débats vont être électriques, automatiquement", avait pronostiqué le député du Rassemblement national (RN), Thomas Ménagé, deux heures plus tôt. C'est d'ailleurs le groupe d'extrême droite qui a lancé cette journée marathon en organisant une conférence de presse vers 14 heures. "Ça fait longtemps que nos députés écument vos plateaux pour expliquer l'injustice et l'inutilité de cette réforme", assure devant la presse Marine Le Pen. Ses députés doivent défendre leur motion référendaire, visant à soumettre le projet du gouvernement au peuple. C'est justement cette initiative qui va mettre le feu aux poudres.

Une nouvelle motion référendaire déposée "pour rien"

Alors que la présidente du groupe RN déroule ses arguments, quatre autres présidents de groupe passent, peu avant 15 heures, à quelques mètres de là, dans la salle des Quatre Colonnes, lieu où les journalistes peuvent interviewer les parlementaires qui entrent ou sortent de l'hémicycle. Il y a là Charles de Courson et Bertrand Pancher (LIOT), Mathilde Panot de La France insoumise (LFI), Cyrielle Chatelain d'Europe Ecologie – Les Verts (EELV) et André Chassaigne du Parti communiste (PCF). Sa pile de feuille sous le bras, Charles de Courson annonce qu'il va déposer une nouvelle motion référendaire.

Le groupe LIOT, composé d'élus ultra-marins, de députés de centre-droit et de centre-gauche, est parvenu, avec l'appui de la Nupes, à réunir les 58 signatures nécessaires pour déposer cette nouvelle motion référendaire. Les signataires contestent la décision prise lors de la conférence des présidents la semaine précédente de procéder à un tirage au sort entre la motion référendaire de la Nupes et celle du RN, désignée par le hasard. Devant les nombreuses caméras, ils dénoncent "un déni de démocratie" et demandent un nouveau tirage au sort.

Un Olivier Dussopt chahuté et une séance suspendue

Ils se voient immédiatement opposer une fin de non-recevoir. "Cette motion sera enregistrée pour rien, le tirage au sort a déjà eu lieu", confie à franceinfo l'entourage de Yaël Braun-Pivet. C'est pourtant bien ce sujet qui va enflammer dès 16 heures les bancs de l'Assemblée nationale. Sitôt assis, les députés de la Nupes et de LIOT enchaînent les rappels au règlement pour demander une nouvelle conférence des présidents. Dans un brouhaha persistant, la présidente de l'Assemblée nationale tente de défendre sa position : "Nous ne referons pas un tirage au sort."

"Je ne sais pas où est le déni de démocratie quand la présidente de l'Assemblée nationale ne peut pas s'exprimer ?"

Yaël Braun-Pivet, présidente de l'Assemblée nationale

au perchoir

Il est 16h22. La parole est à Olivier Dussopt, ministre du Travail. Le fracas des pupitres du côté de la Nupes couvre chaque mot de celui qui est en première ligne pour défendre la réforme. La cheffe de file des Insoumis Mathilde Panot est debout et invective Yaël Braun-Pivet. Son collègue François Ruffin pointe du doigt le perchoir. "Vous n'avez pas à frapper les pupitres", tente la présidente de l'Assemblée, tandis que le député communiste Sébastien Jumel brandit son règlement intérieur. Le retour au calme semble impossible. Yaël Braun-Pivet n'a d'autre choix que de suspendre la séance. Il est 16h24. "Il y a des tensions issues de la méthode, qui ne facilitent rien", analyse le député LR Philippe Gosselin, devant les journalistes.

Quelques mètres plus loin, le député socialiste Arthur Delaporte s'emporte devant la presse contre la présidente de l'Assemblée : "Elle n'aurait pas dû laisser le ministre monter à la tribune. On espère qu'elle va revenir à la raison." Dans les rangs de la majorité, on laisse échapper : "On le savait..." Manière de dire qu'on se faisait peu d'illusions sur le bon déroulé des débats. Quelques minutes plus tard, Yaël Braun-Pivet semble confiante et rend la parole aux députés de l'opposition, en échange, espère-t-elle, d'un calme relatif lors de la prise de parole d'Olivier Dussopt. "Les trois motions doivent être soumises au tirage au sort", martèle la socialiste Valérie Rabault. Aurore Bergé, présidente du groupe Renaissance, s'emporte face aux récriminations de la gauche.

"Nous avons déjà perdu 40 minutes dans le débat qu'attendent les Français ! Alors, qui, dans l’hémicycle, fait la courte échelle à l’extrême droite ? (…) Vous !"

Aurore Bergé, présidente du groupe Renaissance

dans l'hémicycle

Olivier Dussopt tente à nouveau de s'exprimer. "Nous sommes ici pour débattre, hurle la présidente du groupe Renaissance. Nous avions convenu que le ministre puisse prendre la parole." Après plusieurs minutes de chahut, le calme revient petit à petit et le ministre peut enfin vanter "une réforme de justice", alors que des "vendu" et des "menteur" retentissent sur les bancs de la Nupes à l'adresse de l'ancien socialiste. "Taxer, taxer, taxer, voilà votre seul projet. Avant d'être un parti d'opposition, vous êtes un parti d'imposition", réplique Gabriel Attal, ministre des Comptes publics. "Cela fait quelques années que je traîne mes guêtres ici, et franchement, tous les grands débats ont leur dose de tensions", relativise auprès de franceinfo le patron du PS, Olivier Faure.

Deux heures après l'ouverture des débats, à 18h12, il est temps d'examiner la motion de rejet préalable déposée par la Nupes et qui permet d'écarter, en cas de vote, le texte du gouvernement. "Plus vous parlez, plus vous gonflez les rangs des opposants à cette réforme, vous avez le don de faire l'unanimité contre vous", dénonce l'Insoumise Mathilde Panot, à la tribune.

"Ces murs ne sont pas assez épais pour vous protéger de la colère de dehors."

Mathilde Panot, cheffe de file des députés LFI

à la tribune de l'Assemblée

Les deux motions rejetées sans surprise

Comme attendu, la Nupes et le RN annoncent qu'ils voteront pour cette motion de rejet, et la majorité contre. Reste une inconnue : la présence ou non des députés LR. Ils sont finalement bien là et font savoir qu'ils voteront contre. La motion est rejetée par 292 voix contre (243 voix pour).

Trois heures après l'ouverture des débats, l'examen du texte n'a toujours pas commencé. Il est 19 heures. C'est au tour de la motion référendaire du RN d'être discutée. "Il n'existe pas de majorité pour voter ce texte (...) Nous vous proposons d'utiliser le référendum", lance à la tribune le député RN, Sébastien Chenu. Son appel restera vain. Du côté gauche de l'hémicycle, les bancs de la Nupes se sont vidés. Le sort de la motion référendaire était joué d'avance : elle est massivement rejetée par 272 voix contre (101 pour).

Du côté de la majorité, cette longue séquence se termine sans mauvaise surprise. "On était mobilisés, je n'étais pas inquiète", livre à franceinfo une cadre de Renaissance. Mais les députés de l'opposition préparent déjà la prochaine bataille. "Il peut y avoir des failles" dans le dispositif de la majorité, veut croire Cyrielle Chatelain, la présidente du groupe écologiste. Il n'est pas loin de 20 heures et les députés vont enfin se pencher sur le fond du texte. Ils se préparent à un marathon. "On a planté notre tente Quechua", s'amuse la députée RN Laure Lavalette. La prochaine manche se jouera aussi dès mardi dans la rue avec la nouvelle journée de mobilisation.

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