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Retraites : "C'est la méthode Macron, c'est le style Macron et peut-être même la personne Macron qui est très fortement contestée", analyse un politologue

Les "cotes de popularité" d'Emmanuel Macron "le situent pratiquement au niveau de la crise des Gilets jaunes", estime jeudi le politologue Bruno Cautrès.
Article rédigé par franceinfo
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Emmanuel Macron discute avec Chloé Bourguignon, secrétaire générale de l'Unsa pour la région Grand Est, opposée à la réforme des retraites, à Sélestat, en Alsace, le 19 avril 2023. (LUDOVIC MARIN / POOL / VIA AFP)

"C'est la méthode Macron, c'est le style Macron et peut-être même la personne Macron qui est très fortement contestée", a analysé jeudi 20 avril sur franceinfo, Bruno Cautrès, chercheur CNRS au Centre de recherches de la vie politique (Cevipof) et enseignant à Sciences Po, alors que le chef de l'État s’est fait huer, mercredi, lors de son déplacement en Alsace. Emmanuel Macron n'arrive pas à tourner la page de la réforme des retraites. Les oppositions sur le terrain restent fortes. Derrière ce déplacement du chef de l'État dans l'Est de la France, "on voit que l'idée est au fond de contrecarrer l'image d'un chef de l'État qui serait déconnecté du pays, qui serait comme bunkerisé à l'Élysée", explique-t-il. Selon lui, "l'idée, c'est d'essayer de renouer le contact avec les profondeurs du pays", mais "pour que ça marche, il va falloir d'abord beaucoup de temps", dit-il.

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franceinfo : Est-ce que l'Élysée a été surpris par l'accueil en Alsace ?

Bruno Cautrès : On n'imagine pas que l'Élysée ait pu souhaiter à ce point-là exposer le président de la République aux scènes que nous avons vu hier. Évidemment, le chef de l'État sait très bien qu'aujourd'hui, quel que soit le déplacement et quel que soit le lieu où il va aller, des syndicalistes l'attendent, des Françaises et des Français l’attendent pour lui rappeler ce divorce avec l'opinion à propos de la réforme des retraites. Hier, nous avons vu quand même un certain nombre de séquences qui étaient difficiles, même si le chef de l'État a été conforme à sa réputation, c'est-à-dire d'avancer, d'aller vers les gens, y compris de répondre à ceux qui l'interpellaient verbalement de manière extrêmement forte.

A-t-on déjà vu un chef de l'État aussi fortement brancardé ?

Il y a eu d'autres chefs de l'État qui, dans notre vie politique, ont connu des déplacements difficiles. Ce qui est au fond difficile pour Emmanuel Macron, c'est surtout que c'est ce sentiment de déni de démocratie qui s'est installé. On voit que c'est plus vraiment la question des retraites où ça n'est plus seulement la question des retraites, mais c'est la méthode Macron, c'est le style Macron et peut-être même la personne Macron qui est très fortement contestée dans plusieurs segments de l’opinion.

Le chef de l'État ne peut pas s'empêcher de lâcher des petites phrases. Lors de son déplacement en Alsace, il a déclaré que "ce ne sont pas les casseroles qui font avancer la France". C’est un problème de communication ?

Ses cotes de popularité mesurées par les différents sondages le situent pratiquement au niveau de la crise des Gilets jaunes. C'est une situation qui est difficile. Il y a un moment donné une spirale. Il faut pour le chef l'État, s'il veut restaurer sa popularité, que la spirale s'arrête. Effectivement, si on va d’une petite phrase à un déplacement difficile, pour lui, ça deviendra très difficile à un moment donné où l'impopularité, si elle devient trop forte, est pratiquement quelque chose d'extrêmement difficile à rattraper.

Emmanuel Macron veut montrer qu'il n'est pas empêché. Est-ce que cette posture, contre vents et marées, au fond, peut finir par payer ?

On voit que l'idée est au fond de contrecarrer l'image d'un chef de l'État qui serait déconnecté du pays, qui serait comme bunkerisé à l'Élysée et qui ne pourrait plus sortir. L'idée, c'est d'essayer de renouer le contact avec les profondeurs du pays. Pour que ça marche, il va falloir d'abord beaucoup de temps, sans aucun doute parce que la crise a profondément marqué l'opinion. Puis le chef de l'État doit trouver le moyen de casser l'image de chef de l'État qui décide trop tout seul et qui ne sait pas assez écouter le pays. Le chef de l'État, pour le moment, fait passer le message qu'il n'avait pas le choix pour la réforme des retraites, que c'est une question de survie du régime de retraite par répartition, mais que maintenant, il souhaite engager une nouvelle phase de dialogue. On voit que pour le moment des syndicats n'y croient pas. Ça ne marche pas. Il va falloir que le chef de l'État apporte des gages en matière de méthode, principalement de méthode de gouvernement.

Dans un entretien dans la presse régionale, Emmanuel Macron s'engage à retranscrire fidèlement les accords trouvés entre le patronat et les syndicats sur le travail. Cela pourrait rassurer les syndicats, selon vous ?

Les syndicats vont être face à un dilemme. D'une part, ils ne souhaitent pas faire passer le message qu'ils reviennent tout de suite autour de la table. Ils se sont sentis un peu bafoués. Et puis, en même temps, le chef de l'État les convie sur des thèmes qui sont fondamentaux pour des syndicalistes, la question des rémunérations, la question des formations, la question des carrières. Tout ça, ce sont des enjeux fondamentaux. Donc, à terme, il est évident que les syndicats vont revenir discuter avec le chef de l'État bien évidemment. Mais encore une fois, il y aura du point de vue du côté du chef de l'État, la question de la méthode, mais aussi de la crédibilité. Rappelons-nous qu'à l'issue de la convention citoyenne sur le climat, le chef de l'État avait dit "je reprendrai sans filtre vos propositions". Donc, il faut maintenant que le chef de l'État, lorsqu'il s'engage dans cette direction d’écouter et de reprendre des propositions issues de la société civile, il faut que ça aille plus loin.

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