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"L'avenir de la Première ministre s'écrit en pointillés" : le maintien d'Elisabeth Borne à Matignon divise la majorité, après le 49.3 sur les retraites

Article rédigé par Margaux Duguet - avec le service politique de France Télévisions
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
La Première ministre, Elisabeth Borne, annonce le recours au 49.3 sur la réforme des retraites, à l'Assemblée nationale, le 16 mars 2023. (VINCENT ISORE / MAXPPP)
Elisabeth Borne doit-elle rester Première ministre après avoir dégainé l'article 49.3 de la Constitution ? La question agite la macronie, scindée en deux camps : ceux qui plaident pour son départ et ceux qui veulent son maintien.

"Tchao Babeth." Cela ne fait même pas deux heures qu'Elisabeth Borne a dégainé l'article 49.3 de la Constitution, jeudi 16 mars, pour faire adopter la réforme des retraites sans vote à l'Assemblée nationale, que les premiers messages appelant à sa démission affluent sur les téléphones des journalistes. "Comment la laisser, franchement…", écrit ce macroniste, qui plaide pour "un ménage de printemps". En poste depuis moins d'un an, la Première ministre affronte sa première grande crise politique, au point d'en ressortir affaiblie. Et de faire douter sa majorité, pourtant sous le charme depuis son arrivée à Matignon.

Le recours au 49.3 sur ce texte majeur, qui suscite une large opposition des Français, sonne en effet comme un désaveu de la stratégie de "concertation" d'Elisabeth Borne, qui n'a pas porté ses fruits. Il pose aussi la question de son avenir alors qu'elle s'est personnellement engagée sur ce projet très contesté d'Emmanuel Macron. Interrogée sur le plateau de TF1 jeudi soir sur son maintien à Matignon, l'ancienne ministre du Travail a botté en touche, rappelant simplement avoir "engagé [s]a responsabilité sur le texte".

"Le remaniement à tous les étages s'impose"

Son entourage est un peu plus prolixe. "On ne se projette pas sur la suite. Elle sait qu'elle est de passage car elle est Première ministre, assure-t-on. Son destin personnel, ce n'est pas le sujet." La suite, ce sont effectivement les motions de censure qui seront examinées par l'Assemblée nationale lundi. Celle déposée par le groupe Liot devrait rassembler largement, sans pour autant décrocher suffisamment de voix chez LR pour être adoptée. "Il y a moins de gens chez LR qui veulent faire tomber le gouvernement que l'embarrasser", assénait, il y a quelques jours, un conseiller de la majorité.

La probabilité que le gouvernement démissionne lundi est donc très faible. Mais l'exécutif reste fébrile face aux risques de débordements sur le terrain, après les incidents de jeudi soir. Pour preuve, Matignon a fait passer la consigne de suspendre tous les déplacements de ministres "dans les jours qui viennent". "Aucune information. Zéro. Ça craint. On est laissés, suspendus en l'air", s'agace une source ministérielle, qui doute du destin de la cheffe du gouvernement : "L'avenir de Borne s'écrit en pointillés." Contacté par franceinfo, Matignon assure ne pas avoir "laissé en l'air les cabinets et interdit les déplacements", précisant avoir seulement donné "une consigne d'éviter les déplacements pour lundi après-midi", jour de l'examen des motions de censure et jeudi, pour la prochaine journée d'action nationale. 

Dans la majorité, les spéculations sur l'avenir de la Première ministre se multiplient néanmoins. "Il se dit qu'on ne la verra pas passer l'été. Ses jours sont comptés et il faudra tourner la page de cet épisode", livre un député Renaissance, partisan d'un départ de la Première ministre.

"La soupape Borne va être utilisée, c'est un amortisseur."

Un député Renaissance

à franceinfo

"Bien que j'apprécie beaucoup Elisabeth Borne, le remaniement à tous les étages s'impose. Ça doit être la première étape d'un renouveau démocratique et politique", confie un autre député de la majorité. "C'est bien sa stratégie d'alliance avec LR qui a échoué", appuie un autre.

Elisabeth Borne n'est en effet pas parvenue à arracher une majorité de voix chez LR, malgré le deal passé avec les chefs de la droite, Eric Ciotti, Olivier Marleix et Bruno Retailleau. "La Première ministre a beaucoup cédé sur le texte pour un résultat très mauvais, soupire un député Renaissance. In fine, la majorité se retrouve avec une réforme de droite sans les voix de la droite." Résultat : une part non négligeable de députés du camp présidentiel pensent Elisabeth Borne "trop fragilisée pour pouvoir encore gouverner", dixit une source de la majorité.

"Elle doit rester"

Malgré la situation politique, la cheffe du gouvernement conserve de farouches partisans, qui ne veulent pas la voir partir. "Elle doit rester", assène le président Renaissance de la commission des Lois, Sacha Houlié, sans en dire plus. "On fait bloc derrière et on continue à la soutenir car elle mène des réformes importantes pour le pays, et puis on ne va pas la lâcher au moment où la situation est difficile", détaille le député Renaissance Pieyre-Alexandre Anglade. "On est prêts à continuer avec elle. Elle a démontré qu'elle pouvait tenir, cela a été le cas encore hier dans l'hémicycle", renchérit sa collègue Stella Dupont.

D'autres sont encore plus stratèges. "Est-ce que cela nous donne une marge de manœuvre supplémentaire si on change Elisabeth Borne ? Je pense que non", estime un député de la majorité.

"Certains essayent de l'incriminer – notamment à l'Elysée – mais il ne faut pas non plus montrer qu'on cède à la rue."

Un conseiller ministériel

à franceinfo

Et le même de mettre en garde : "Attention au traumatisme Cresson." Le 4 avril, Elisabeth Borne dépassera la durée en fonction de la seule autre Première ministre de la Ve République, Edith Cresson, restée à Matignon 323 jours, entre mai 1991 et avril 1992. La date symbolique approche à grands pas et certains l'ont bien en tête. "La rumeur dit qu'ils voudraient la faire tenir un peu au-delà du mandat d'Edith Cresson", glisse un parlementaire de la majorité.

Mais pour mettre qui à la place ? "Le banc des remplaçants n'est pas non plus fou-fou", sourit un conseiller ministériel. "Ça va être une grande question. Est-ce qu'on met quelqu'un qui n'est pas dans le jeu politique actuel pour l'effet nouveauté, ou est-ce que l'on prend un ministre comme Darmanin, mais qui ne fait pas non plus consensus dans la majorité ?", interroge un député Renaissance.

Outre l'absence d'alternative évidente, un autre élément pourrait sauver Elisabeth Borne, au moins à court terme : "Ce n'est pas la psychologie du président de bouger sous pression", note un conseiller ministériel. "Plus il y aura de la crispation autour d'elle, plus Macron pourrait avoir envie de la garder", sourit un autre. La cheffe du gouvernement est en sursis, mais celui-ci pourrait encore durer quelque temps.

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