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"On n'a pas le choix de toute façon" : comment l'absence de majorité absolue à l'Assemblée force le gouvernement à revoir sa méthode

Des textes plus courts et transmis plus tôt aux députés... C'est ce que demandent les élus macronistes à l'Assemblée. Car pour parvenir à adopter ses projets de loi, l'exécutif va devoir changer sa manière de faire par rapport au précédent quinquennat.

Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
La Première ministre Elisabeth Borne parlemente avec le ministre du Travail Olivier Dussopt lors des questions au gouvernement à l'Assemblée nationale le 26 juillet 2022. (BERTRAND GUAY / AFP)

"Et... On est battus !" Attablée au Bourbon, le célèbre café situé en face de l'Assemblée nationale, cette cadre de la majorité ne quitte pas des yeux son téléphone. Dans l'hémicycle, au même moment, les députés viennent de voter un amendement de Charles de Courson visant à limiter la hausse des loyers en zone rurale. Contre l'avis du gouvernement. Ainsi va la vie en majorité relative. Le camp d'Emmanuel Macron, qui a eu les mains libres à l'Assemblée pendant cinq ans, doit désormais composer avec cette nouvelle donne politique. Résultat : ils doivent se battre sur chaque article, quitte à perdre donc.

"Il va falloir que l'on invente une nouvelle méthode de travail. Pas pour notre confort mais pour chercher des majorités", résume Frédéric Valletoux, député Horizons. Le porte-parole du parti d'Edouard Philippe plaide pour des discussions bien en amont et non pas "des majorités improvisées avec des négociations de dernière minute", comme cela s'est passé sur le carburant. Il faut dire que l'on peine à voir le changement de méthode promis par Emmanuel Macron sur les premiers textes de cette législature, que ce soit sur le projet de loi sanitaire, le projet de loi sur le pouvoir d'achat ou le projet de loi de finances rectificative (PLFR). Les deux premiers sont arrivés dans les mains des députés 24 heures avant leur examen et celui sur le Covid-19, 48 heures avant. "Lors du précédent quinquennat, c'était la routine", soupire une source de la majorité. 

"C'est quoi ce binz ?"

Les délais de transmission des textes aux députés ont donc été très courts, sans possibilité de bien les travailler en amont, et ils étaient relativement fournis. Vingt articles, par exemple, pour le projet de loi sur le pouvoir d'achat, "inflationniste sur la partie souveraineté", peste un député Renaissance. Cela a occasionné de longues séances dans l'hémycicle, avec un vote en première lecture aux petites lueurs du jour du vendredi 22 juillet. 

"On doit retenir la leçon. On ne peut plus avoir des textes à rallonge, cela fait des sessions trop longues."

Une députée de la majorité

à franceinfo

"Avoir des textes à 60, 80, 90 articles, comme dans le mandat précédent, ça ne tient pas", confirme Aurore Bergé, la présidente du groupe Renaissance. A cela s'ajoute un paramètre nouveau : la majorité relative oblige les députés macronistes à être tout le temps présents, puisque chaque voix compte. Ce qui a déjà engendré un certain bazar quand certaines sessions en commission et en séance publique ont eu lieu en même temps. "J'ai dû partir six fois en courant de ma commission pour aller voter le texte sanitaire en séance publique, cela ne m'était jamais encore arrivé", relate un député MoDem, réélu aux législatives. "Les nouveaux se demandent : 'C'est quoi ce binz ?'" Conséquence également : le temps passé en circonscription pour ceux qui sont en dehors de la région francilienne est proche de zéro pour l'instant. 

Du côté du gouvernement, on ne masque pas cette réalité. "C'est évident que cette session parlementaire n'a pas bénéficié d'un recul immense pour être préparée mais c'était des textes d'urgence", argue l'entourage de Franck Riester, le ministre des Relations avec le Parlement. "Cette session extraordinaire avait aussi été configurée pour une situation politique différente", rappelle Aurore Bergé. A savoir la majorité absolue. "Il y a un temps d'adaptation d'accord mais à la rentrée, c'est terminé", rétorque une députée de la majorité.

Tous répètent d'ailleurs la même chose : à partir de septembre, les choses doivent changer. "Il faut faire plus court, plus simple, et être plus modeste. Il reste encore beaucoup de chemin à faire", souffle un député du MoDem. "Légiférer moins mais légiférer mieux", synthétise Denis Masséglia, député Renaissance. Au plus haut sommet de l'Etat, on partage cette envie. Dans un message à une source de la majorité, Emmanuel Macron dit "partager" la volonté des parlementaires d'avoir "des textes courts" et qui soient anticipés. "On n'a pas le choix de toute façon", précise une cadre de la majorité. 

"Alléger le programme"

Première avancée notable : il n'y aura pas de session extraordinaire en septembre comme c'était le cas depuis 20 ans. "Nous voulons donner tout le temps nécessaire à la concertation avec les parlementaires et les Français sur les textes de la rentrée", assure Franck Riester. Reprise des travaux en session ordinaire, le 3 octobre donc. 

"Cela nous permettra d'anticiper les textes clés qui vont arriver, à savoir l'énergie, l'assurance-chômage et l'immigration."

Aurore Bergé, présidente du groupe Renaissance

à franceinfo

La décision a été prise directement par Elisabeth Borne. En réunion avec ses ministres le 21 juillet, la Première ministre a livré sa vision du travail parlementaire. Elle demande aux membres du gouvernement de "travailler davantage les textes en amont avec les députés de la majorité" mais aussi de "commencer dès la préparation des textes à associer les oppositions de l'arc républicain". Cela pourrait notamment passer par un grand oral des ministres devant les huits commissions permanentes du Palais Bourbon. C'est ce qu'a demandé la présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, dans une lettre à la cheffe du gouvernement datée du 19 juillet.

La Première ministre veut également "alléger le programme législatif" afin d'"avoir une meilleure organisation du temps parlementaire, éviter des chevauchements entre séance, auditions et commissions" dans le but aussi de donner plus de temps aux députés dans leur circonscription. "On demande un retour à ce qui se faisait avant 2017, à savoir être à l'Assemblée du mardi au jeudi, c'était n'importe quoi sous la précédente législature", explique une cadre de la majorité. 

Enfin, Elisabeth Borne prône "des textes courts" puisque "chaque article devient une bataille". Reste à concrétiser ça au sein des ministères et de leur administration. La première version du texte sur l'énergie comportait 88 articles. "Pas possible", soupire Aurore Bergé. Une seconde mouture, moins fournie, est attendue. Du côté du ministère des Relations avec le Parlement, qui doit faire ses propositions à la Première ministre à la rentrée, on promet aussi de "desserrer le rythme des textes" pour "laisser le temps aux députés de déposer des propositions de loi".

"Ils n'ont pas le choix"

L'entourage de Franck Riester en est conscient : "On sait que c'est de nous que doivent venir les premières mesures en terme de changement de méthode." Si les députés de la majorité les attendent de pied ferme, dans l'opposition aussi, on regarde ça avec plus ou moins de circonspection. "Il y a des éléments intéressants, je travaille pour ma part sur des propositions un peu plus ambitieuses", explique le président du groupe socialiste Boris Vallaud. "Ils n'ont pas le choix car ils ne sont plus assez nombreux pour tenir en même temps l'hémicycle et les commissions", cingle, de son côté, le député LR Fabien di Filippo. Chez LFI, "on demande à voir", comme le résume Alexis Corbière. 

"Il n'y a pas d'amour mais que des preuves d'amour. Avoir plus de visibilité sur les textes, c'est la direction qu'il faut prendre mais je l'ai déjà attendu pendant 5 ans."

Alexis Corbière, député LFI

à franceinfo

Lui aussi prévient que si les choses ne changent pas, "c'est l'explosion". "Si c'était confirmé [la nouvelle méthode du gouvernement], ce serait très bien. Mais pour l'instant, c'est précisément l'inverse qui se passe", renchérit Manuel Bompard, député LFI. 

Au Rassemblement national, le deuxième vote demandé par Bruno Le Maire sur la revalorisation des retraites lors de l'examen du PLFR dans la nuit de mardi à mercredi 27 juillet a laissé des traces. "Après les événements de la nuit, nous déplorons que la méthode du gouvernement n'a pas changé, assure Julien Odoul, député RN. Nous avons assisté à une trahison de tous les discours sur le dialogue, la concertation et la coconstruction. Très sincèrement je n'ai plus aucune confiance."

"Il n'y a aucune nouvelle méthode de travail, c'est du blabla."

Jean-Philippe Tanguy, député RN

à franceinfo

Il va falloir encore un peu plus de "preuves d'amour" pour que la certitude de ce ministre de premier plan devienne vraie : "La majorité relative, ça peut être une chance. Cela vous amène à vous poser la question de la position de l'autre avant d'arrêter un texte."

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