Mobilisation en baisse, opinion divisée... On fait le bilan après un mois de grève à la SNCF
Après dix jours de grève en avril, où en est le mouvement des cheminots contre la réforme de la SNCF ? Franceinfo fait le point.
Dix jours de grève, reprise progressive du trafic, projet de loi voté à une écrasante majorité en première lecture à l'Assemblée nationale... Trois semaines après le début du mouvement social des cheminots contre la réforme de la SNCF, et alors que les grévistes rencontreront le Premier ministre le 7 mai, où en est la mobilisation ? Franceinfo fait le bilan des paris, tenus ou non.
La grève par intermittence n'a pas prouvé son efficacité
Avec la grève par intermittence (deux jours de grève tous les cinq jours), l'intersyndicale de la SNCF a préféré une grève longue et épisodique à un mouvement dur, mais susceptible de s'essoufler plus rapidement. Objectif : désorganiser le trafic sur la durée et forcer le gouvernement à céder du terrain. Mais ce mode d'action n'a pas tenu ses promesses. Surpris les premiers jours, les usagers ont fini par s'organiser en ayant recours au covoiturage, aux cars... voire même au télétravail quand c'était possible. Les trois quarts des Français assurent désormais que la grève est "sans conséquence sur leur vie personnelle", selon un sondage* BVA pour Orange publié mercredi 25 avril. Et parmi les 21% qui expriment des répercussions négatives sur leur vie, ils ne sont que la moitié à trouver "difficilement" des solutions.
Ce type de grève a aussi laissé le temps à la SNCF de s'organiser : elle invite ses clients à préférer son service de covoiturage, frappe les grévistes au portefeuille en ne voulant plus rémunérer les jours de repos entre deux périodes de grève, oblige un maximum d'entre eux à se déclarer 48 heures à l'avance et remplace les conducteurs absents en par ses cadres. "Cette grève s'est installée dans une sorte de routine. Cela se ressent dans le traitement médiatique du sujet, qui est presque devenu une forme de 'marronnier' comparable à la météo du jour !", estime Stéphane Sirot, historien spécialiste des mouvements sociaux et professeur à l'université de Cergy-Pontoise, interrogé par franceinfo. Pour continuer à peser dans le rapport de force, les cheminots pourraient être obligés de poursuivre le mouvement cet été. "On s’attendait à un mouvement marathon, [mais] puisque le gouvernement n’entend toujours rien, on prépare celui de juillet et août", indique ainsi une source syndicale au Parisien.
Le gouvernement n'a pas reculé sur les principales mesures
Qu'a vraiment permis d'obtenir la grève ? Le gouvernement s'est engagé à la reprise progressive de la dette de l'entreprise à partir de 2020, l'une des principales revendications des syndicats. Ces derniers seront aussi invités à Matignon le 7 mai pour évoquer la réforme, à leur demande. "Le Premier ministre prend le dossier en main, c'est un élément positif pour nous à mettre au crédit du rapport de force", s'est réjoui dans la soirée du 24 avril Laurent Brun (CGT-Cheminots) à l'issue d'une réunion de l'intersyndicale (CGT, Unsa, SUD, CFDT). Les cheminots se rendront à Matignon avec "de fortes exigences", ont-ils prévenu.
Malgré cette main tendue, le gouvernement n'a pour l'instant pas bougé sur la filialisation du fret, la disparition du statut de cheminot dès 2020, et le changement de statut de l’entreprise. Ces deux dernières mesures, emblématiques de la réforme, sont vivement critiquées par les syndicats. Fin mars, au lendemain d'une mobilisation des cheminots et des fonctionnaires, Emmanuel Macron avait assuré que "ces contestations [n'étaient] pas de nature à conduire le gouvernement à revenir sur les engagements qui ont été pris durant la campagne et sur ce qui a d’ores et déjà commencé à être mis en œuvre".
La CGT a réussi à mobiliser les cheminots... mais la convergence des luttes n'a pas eu lieu
La grève par intermittence a facilité la mobilisation des cheminots. Au premier jour de grève, mardi 3 avril, plus d'un tiers des salariés SNCF étaient ainsi mobilisés. Mais ce taux s'essouffle lentement. Mardi 24 avril, au dixième jour de grève, moins de 18% des cheminots étaient en grève, selon la direction de la SNCF. La mobilisation des agents indispensables à la circulation des trains restait néanmoins élevée, avec 63,4% des conducteurs mobilisés.
* La SCNF n'a pas communiqué le taux de grévistes des dimanche 8 et samedi 14 avril.
Car sans véritable recul de la part du gouvernement, et pour des questions d'argent, les grévistes sont de plus en plus nombreux à alléger leur calendrier. "Au début, je faisais la grève complètement, c'est-à-dire deux jours tous les cinq jours. Mais maintenant, c'est très irrégulier, témoigne auprès de l'AFP Daniel, à la maintenance des voies depuis 1989. Je suis bientôt à la retraite et j'ai encore un crédit sur le dos", explique-t-il. Alors que la CGT évoque une poursuite de la grève cet été, certains syndicats paraissent plus réticents. Interrogé par l'AFP, Roger Dillenseger de l'Unsa n'a ainsi "pas envie d'annoncer qu'on ne trouvera pas de solution en trois mois", un scénario "impensable au regard des usagers, de l'entreprise, des cheminots".
Surtout, la "convergence des luttes" tant voulue par le numéro un de la CGT, Philippe Martinez, est pour l'instant restée cantonnée à un vœu pieu, la CFDT et FO y étant réfractaires, préférant séparer les dossiers cheminots, fonctionnaires ou Ehpad. La seconde mobilisation interprofessionnelle pour tenter de construire cette convergence, organisée le 19 avril par la CGT et SUD, a rassemblé 120 000 personnes dans toute la France, selon la police. La précédente, le 22 mars, avait réuni 323 000 personnes.
L'opinion publique n'a pas soutenu massivement la grève
Assurant défendre le service public du rail pour tous, les cheminots comptaient sur le soutien des Français. Mais depuis le mois de mars, le soutien à la grève n'a oscillé qu'entre 42% et 46% dans les enquêtes de l'Ifop. Les Français sont aujourd'hui 43% à soutenir les grévistes de la SNCF, selon une étude** Ifop pour Le JDD publiée le 21 avril... Soit seulement 1% de plus que mi-mars et qu'au début de la grève, le 4 avril.
Après un pic de soutien, fin mars, et en dépit d'une communication poussée des grévistes, le "retournement" de l'opinion tant attendu n'a donc pas eu lieu. Avant le début du mouvement, l'historien Michel Pigenet, spécialiste des mouvements sociaux, expliquait en effet à l'AFP qu'une mobiliastion "forte et dans la durée" pouvait mettre la population du côté des cheminots : au-delà du mécontentement initial des usagers, elle peut favoriser le débat et retourner l'opinion. Reste que si les soutiens ne semblent pas aussi nombreux que les opposants, ils sont parfois très motivés : la cagnotte de grève en ligne pour soutenir les cheminots comptait ainsi plus de 900 000 euros au 25 avril.
*Sondage réalisé par internet les 23 et 24 avril auprès d'un échantillon de 1 007 personnes majeures (méthode des quotas).
**Sondage réalisé par internet les 19 et 20 avril auprès d'un échantillon de 1 009 personnes majeures (méthode des quotas).
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