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Vrai ou faux Sûreté, coût, nouveaux EPR... On a vérifié les affirmations de six candidats à la présidentielle sur le nucléaire

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 15min
Qu'ils souhaitent la développer ou au contraire la restreindre, la plupart des candidats (ou des probables candidats) à l'élection présidentielle parlent de l'énergie nucléaire dans leur programme pour 2022.  (AFP, IP3 PRESS, MAXPP, XINHUA NEWS AGENCEY / NEWSCOM)

L'atome est devenu un thème majeur de la course à l'Elysée. Franceinfo revient sur les déclarations de plusieurs candidats à la fonction suprême en matière d'énergie nucléaire.

Il irradie les débats de campagne, en vue du scrutin de 2022. Avec la hausse des prix de l'énergie, l'urgence climatique et le vieillissement du parc de centrales françaises, le nucléaire s'est imposé comme une problématique majeure de la course à l'Elysée. Impossible pour les candidats de l'esquiver. Pour tenter d'y voir plus clair, franceinfo a vérifié les affirmations de six d'entre eux.

Sur l'historique des accidents nucléaires en France

"Il n'y a jamais eu d'accident nucléaire en France."

Eric Zemmour, candidat du parti Reconquête

sur BFMTV

C'est faux. L'ancien journaliste l'a répété deux fois lors d'un débat face à Jean-Luc Mélenchon, le 23 septembre sur BFMTV (à 1h33 et 45 secondes dans cette vidéo).

Or, si la France n'a effectivement jamais connu d'accident nucléaire majeur, le pays a tout de même enregistré deux accidents de niveau 4 sur l'échelle Ines – International nuclear event scale –, qui va de 0 à 7. Ces événements, qui sont jusqu'à aujourd'hui les plus graves jamais recensés en France, sont survenus le 17 octobre 1969 et le 13 mars 1980, rappelle l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Ils ont touché la même centrale, celle de Saint-Laurent-des-Eaux (Loir-et-Cher), située entre Blois et Orléans.

Pour évaluer la gravité de ces événements, revenons sur la composition de l'échelle d'Ines, résumée dans ce document (en PDF) de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Les événements de niveaux 1 à 3, qualifiés d'"incidents", n'ont pas de conséquence significative. Les événements de 4 à 6 sont des "accidents" ("ayant des conséquences locales" pour le niveau 4, puis "ayant des conséquences étendues" et enfin "grave"). Pour le niveau le plus élevé, le 7, on parle d'"accident majeur". Jusqu'à maintenant, seuls deux accidents de ce type ont été enregistrés dans le monde : celui de la centrale de Tchernobyl (Ukraine, alors URSS), en 1986, et celui de la centrale de Fukushima (Japon), en 2011. Deux centrales dont la conception était, par ailleurs, différente de celle des centrales françaises.

Les accidents de niveau 4, comme ceux connus à la centrale nucléaire de Saint-Laurent-des-Eaux, n'entraînent "pas un risque radiologique important hors du site nucléaire", a précisé l'IRSN dans une note spécifique de 2015 (en PDF). En 1969 comme en 1980, les accidents dans cette centrale ont eu pour conséquence une radioactivité trop importante dans le caisson d'un des deux réacteurs, en raison de deux problèmes distincts. Les réacteurs touchés ont été arrêtés. De lourdes opérations de nettoyage ont été effectuées. Après l'accident de 1969, le réacteur a été redémarré un an plus tard, en octobre 1970. En 1980, l'autre réacteur de la centrale a été sévèrement endommagé et a dû être mis à l'arrêt pendant plus de trois ans. Dans les deux cas, cependant, personne n'a été irradié et aucune trace de radioactivité n'a été détectée en dehors de la centrale. Les deux réacteurs en question ne sont aujourd'hui plus en fonctionnement : ils ont été définitivement arrêtés au début des années 1990. Les deux réacteurs actuels de Saint-Laurent-des-Eaux n'ont pas subi d'accidents.

Dans son rapport sur l'année 2020, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) répertorie 1 142 événements dans les centrales nucléaires françaises (1 035 de niveau 0, 105 de niveau 1 et 2 de niveau 2).

Sur les mesures d'urgence en cas d'alerte dans une centrale

"S'il arrive quoi que ce soit à la centrale nucléaire qui est en amont de la capitale [celle de Nogent-sur-Seine, dans l'Aube], il faudra évacuer 12 millions de personnes et ne pas revenir dans le secteur avant 20 000 ans."

Jean-Luc Mélenchon, candidat de La France insoumise

lors d'un meeting

C'est très exagéré. Jean-Luc Mélenchon a lancé cette affirmation le 5 décembre, lors d'un meeting à La Défense (Hauts-de-Seine). Il avait déjà avancé l'évacuation de 12 millions de personnes sur RTL, le 8 novembre, ou encore face à Eric Zemmour.

Mais plusieurs points sont contestables. Tout d'abord, le député de La France insoumise, qui encourage la "sobriété énergétique", induit en erreur en mettant tous les problèmes au même niveau, en disant : "s''il arrive quoi que ce soit". "Ce n'est pas au moindre incident que l'on procède à une évacuation de la population aux abords d'une centrale", relève auprès de franceinfo Tristan Kamin, ingénieur en sûreté nucléaire.

Surtout, l'estimation de 12 millions de personnes évacuées en cas d'accident au sein de la centrale auboise est très discutable, estime Tristan Kamin. "Jean-Luc Mélenchon prend l'hypothèse qu'en cas d'accident, tous les habitants, de l'Ile-de-France puis jusqu'à Rouen, ou jusqu'au Havre, devront être évacués, ce qui est complètement fantasque", commente Tristan Kamin.

La distance entre Nogent-sur-Seine et Le Havre est de 300 km. Ce rayon d'évacuation s'avère bien plus élevé que lors des plus importantes catastrophes nucléaires de l'histoire, à Tchernobyl et à Fukushima, les deux seuls "accidents majeurs" (c'est-à-dire au niveau 7 sur l'échelle Ines). En Ukraine, les autorités locales avaient décidé d'évacuer les habitants dans un rayon de 30 km autour de la centrale. Au Japon, ce rayon d'évacuation a été de 20 km dans un premier temps, puis s'est élargi à 30 km.

Par ailleurs, la plupart des spécialistes assurent qu'une centrale nucléaire française ne pourrait pas exploser comme celle de Tchernobyl. Néanmoins, si un accident majeur survenait à la centrale de Nogent-sur-Seine, justifiant l'évacuation de la population, plusieurs étapes sont définies par le Plan Particulier d'Intervention (PPI). D'abord, comme l'a détaillé Le Figaro (article payant), une première évacuation dans un rayon de 2 km autour de la centrale aurait lieu. Elle concernerait seulement plusieurs centaines d'habitants. Puis, éventuellement, une autre évacuation surviendrait dans un rayon de 5 km, qui concernerait alors 8 000 habitants. Ensuite, selon la gravité de la situation ou encore les conditions météorologiques, le ministère de l'Intérieur pourrait prendre de nouvelles mesures adaptées. Si l'on prenait un rayon de 20 km autour de la centrale de Nogent-sur-Seine, cela ne concernerait que 75 000 habitants. Et en prenant un rayon de 80 km, comme le préconise l'ONG Greenpeace, cela concernerait 2,2 millions de personnes. Un chiffre largement inférieur à celui avancé par Jean-Luc Mélenchon.

Sur l'apport du nucléaire dans la lutte contre la précarité énergétique

"Il y a 3 millions de Français en situation de précarité énergétique. Le parc nucléaire répond à ces difficultés."

Fabien Roussel, candidat du Parti communiste français

dans "Le Point"

C'est discutable. Fabien Roussel, candidat communiste qui prône le maintien du nucléaire et le développement des énergies renouvelables, a fait cette déclaration dans un entretien au Point (article payant), en mai.

Qu'en est-il ? Le parc nucléaire français permet effectivement à l'Hexagone de bénéficier d'une électricité moins chère que nos voisins européens. Selon les chiffres d'Eurostat, en France, elle coûte 19 cents le kilowatt-heure, contre 30 cents en Allemagne, 28 en Belgique, 23 en Espagne. Une différence de prix qui peut, en partie, soulager des personnes qui peinent à chauffer leur logement.

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Mais pour Charlotte Mijeon, du réseau Sortir du nucléaire, le candidat PCF s'attaque à la précarité énergétique de la mauvaise façon. Selon elle, elle est "liée à la précarité en général, mais aussi à la production et à la consommation d'électricité". Elle rappelle qu'historiquement, en France, "la mise en place du parc nucléaire est allée de pair avec une incitation au chauffage électrique, qui est très consommateur et coûteux pour les ménages les plus modestes".

"Non seulement le nucléaire a incité à l'utilisation du chauffage électrique, mais il a freiné la mise en place de mesures favorisant l'efficacité énergétique", abonde-t-elle. Et d'insister : "La vraie réponse à la précarité énergétique est abordée lorsque l'on cherche des solutions pour que les ménages ne soient plus contraints de consommer autant pour se chauffer." Notamment en améliorant l'isolation des habitations.

Sur le coût de l'énergie produite par les réacteurs EPR

"L'énergie nucléaire, je parle de l'EPR, coûte deux fois plus cher que les énergies renouvelables."

Yannick Jadot, candidat d'Europe Ecologie-Les Verts

sur franceinfo

C'est en partie vrai. Yannick Jadot l'a affirmé lors d'un débat de la primaire écologiste, en septembre, sur franceinfoComme l'avait alors expliqué franceinfo, lorsqu'il parle de l'EPR, il évoque celui de Flamanville (Manche). Or, ce dernier a fait l'objet d'un rapport de la Cour des comptes en 2020. Le coût de l'électricité qui sera produite par cet EPR (en 2023, sauf nouveau retard) y est estimé entre 110 euros et 120 euros par mégawattheure, soit un montant proche du tarif négocié avec l'EPR de Hinkley Point, au Royaume-Uni.

Ce tarif est effectivement deux fois plus cher que celui des énergies renouvelables. Pour l'éolien terrestre, le mégawattheure est environ à 60 euros, selon l'Ademe, l'agence de la transition écologique. Pour les panneaux solaires, le prix du mégawattheure est entre 40 et 80 euros, selon la surface de la centrale photovoltaïque. Ces tarifs devraient baisser d'ici à 2050, selon l'Ademe, grâce notamment au développement de la filière.

Mais une importante nuance doit être apportée : l'EPR de Flamanville a été épinglé pour le coût de sa construction. En France, le prix a été multiplié par environ 3,5 par rapport à l'estimation initiale. Ce surcoût pèse "sur la rentabilité", souligne la Cour des comptes.

De façon générale, calculer le coût des différentes énergies s'avère délicat. L'indicateur souvent utilisé est appelé, en anglais, LCOE. Il désigne le coût moyen de l'électricité par technologie. RTE et l'Agence internationale de l'énergie (AIE), ont estimé, dans un rapport (en PDF) publié en janvier, que cet indicateur présentait des limites : il ne tient "pas compte des coûts environnants pour assurer la sécurité d'alimentation et les autres exigences techniques". Or, selon ces deux organismes, "tout chiffrage économique devra ainsi prendre en compte l'ensemble des coûts associés à une part élevée d'énergies renouvelables, dont ceux liés au stockage [de l'électricité produite], à la flexibilité de la demande et au développement des réseaux".

Sur la nécessité de construire six nouveaux EPR en France

"Pour moi, il est clair qu'il nous faudra six EPR."

Valérie Pécresse, candidate Les Républicains

sur France Inter

"Je construis six EPR et je rouvre Fessenheim."

Marine Le Pen, candidate du Rassemblement national

sur franceinfo

C'est discutable. Valérie Pécresse, la candidate LR, et Marine Le Pen, celle du Rassemblement national, sont sur la même ligne sur cette question. La première, qui défend également les énergies renouvelables, l'a notamment montré sur France Inter, le 6 décembre. De son côté, Marine Le Pen, qui souhaite le démantèlement des éoliennes, l'a répété le 15 novembre sur franceinfo.

Pour Valérie Pécresse, construire ces six nouveaux EPR est nécessaire "pour atteindre l'objectif qui est de produire 60% d'électricité en plus". Une importante hausse de la consommation électrique est en effet attendue en France dans les décennies à venir. "Avec le développement de la voiture électrique, nous prévoyons que le secteur des transports devrait augmenter sa consommation d'électricité de 600%. Pour l'industrie, c'est une augmentation de 60%", a déclaré sur franceinfo Xavier Piechaczyk, président de RTE.

Interrogé sur la nécessité de construire six nouveaux EPR en France, Thierry Bros, spécialiste des questions énergétiques, ne tergiverse pas. "On devra le faire, d'une façon ou d'une autre. Soit on le fait, et on arrive à une énergie décarbonée. Soit on ne le fait pas et nous n'aurons pas d'énergie décarbonée", a-t-il affirmé sur franceinfo

Pourtant, un horizon sans ces nouveaux EPR est bien envisageable, comme le montre RTE (Réseau de transport d'électricité) dans son rapport détaillant six scénarios pour atteindre la neutralité carbone dans la production d'électricité d'ici à 2050. En effet, trois d'entre eux ne font pas appel à de nouveaux EPR. Le premier, qui imagine 100% d'énergies renouvelables à cette échéance, suppose une sortie totale du nucléaire avec un rythme de développement du photovoltaïque, de l'éolien et des énergies marines "poussés à leur maximum". Deux autres conservent une part de nucléaire provenant des réacteurs déjà existants. "Tous les scénarios que nous avons testés sont des chemins possibles pour le pays. Parmi eux, il y a des scénarios qui tendent vers le 100% renouvelable, mais tous les scénarios n'ont pas les mêmes atouts et les mêmes limites", poursuit Xavier Piechaczyk.

>> Nucléaire, énergies renouvelables... Ce qu'il faut retenir du rapport de RTE sur l'avenir de l'électricité en France à l'horizon 2050

L'idée de construire six nouveaux EPR flotte dans l'air depuis quelques années. Elle a été évoquée dès 2018 dans un rapport remis à l'exécutif. EDF a planché, dès l'année suivante, sur cette "hypothèse de travail" à la demande du gouvernement. Ce scénario impliquerait des chantiers d'une dizaine d'années, pour un coût total de 46 milliards d'euros. Sans attendre l'aval de l'exécutif, EDF a commandé, en février 2021, d’importantes pièces pour ce type d'installations

Quelques mois plus tard, alors que l'exécutif évoquait une possible accélération du calendrier, Emmanuel Macron a donné son feu vert lors de son allocution du 9 novembre. "Nous allons, pour la première fois depuis des décennies, relancer la construction de réacteurs nucléaires dans notre pays", a-t-il déclaré. Sans préciser la date du début des chantiers, ni le nombre de réacteurs envisagés.

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