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Vrai ou faux Covid-19 : faut-il faire une croix sur l'immunité collective ?

Longtemps brandie comme l'objectif pour sortir de l'épidémie, l'immunité collective semble difficilement atteignable face au variant Delta. Mais la vaccination protège contre les formes graves du Covid-19 et permet de réduire la pression sur l'hôpital, rappellent les experts interrogés.

Article rédigé par franceinfo - Julien Nguyen Dang
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Publié Mis à jour
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Des soignants portent un patient atteint du Covid-19 placé sous assistance respiratoire dans une chambre de l'unité de soins intensifs du Centre hospitalier universitaire de Pointe-à-Pitre (Guadeloupe), le 3 septembre 2021. (CARLA BERNHARDT / AFP)

L'immunité collective serait-elle finalement un "mirage" ? C'est en tout cas ce qu'a lancé le professeur Andrew Pollard, directeur du groupe de recherche Oxford Vaccine Group, devant les parlementaires britanniques, le 10 août dernier, rapporte le Guardian*. Aussi appelé immunité de groupe, ce phénomène de sortie de la pandémie par l'immunisation naturelle ou vaccinale d'une partie suffisante de la population a longtemps été l'objectif affiché pour sortir de la crise sanitaire. Après un faux départ du Royaume-Uni et des Pays-Bas au tout début de la pandémie, désireux de l'acquérir en laissant circuler le virus malgré un coût humain important, la vaccination galopante l'avait rendu envisageable.

"Il nous faut atteindre, vous le savez, l'immunité collective", établissait lui-même Olivier Véran le 20 juillet sur RTL, tandis qu'en août, le ministère de la Santé justifiait l'obligation vaccinale des soignants, là aussi, pour y parvenir "au plus vite". Depuis, toutefois, cet objectif a été remis en cause par la diffusion du variant Delta davantage transmissible et échappant partiellement à l'immunité naturelle ou vaccinale, et par la mobilisation persistante d'opposants aux mesures sanitaires. Faut-il pour autant abandonner l'idée d'une immunité collective ?

"Plus le virus est contagieux, plus il faut un niveau d'immunité élevé au sein de la population"

L'immunité collective répond à un principe logique : "Une épidémie s'arrête à partir du moment où une personne infectée infecte moins d'une personne en moyenne", décrit le vaccinologue Daniel Floret à franceinfo. Mais pour parvenir à cela, il faut prendre en compte le degré de contagiosité du virus. Plus exactement, le nombre de reproduction de base du virus, aussi appelé R0, qui correspond au nombre de personnes infectées en moyenne par une personne porteuse du virus. 

"Plus le virus est contagieux, plus il se diffuse rapidement et plus il faut un niveau d'immunité élevé au sein de la population" pour atteindre l'immunité de groupe, explique Daniel Floret. Pour identifier ce seuil, une formule existe : 1-(1/R0). Avec un R0 égal à 3 comme pour la souche d'origine du Sars-CoV-2, il est donc nécessaire que deux tiers de la population soient protégés pour parvenir à l'immunité collective. "Mais cela suppose que la population soit homogène, or la contagiosité n'est pas la même en fonction de l'âge, et cela dépend aussi des liens sociaux", nuance Daniel Floret.

Dans ces conditions théoriques, une personne infectée serait donc entourée d'assez de personnes armées contre le virus pour ne pas contaminer plusieurs personnes. "Cela ne veut pas dire qu'il ne peut pas y avoir de cas sporadiques, mais il y en a si peu qu'on se trouve dans ce cas en dessous du seuil épidémique. C'est comme pour la grippe, par exemple, qui ne disparaît pas totalement chaque été", explicite Frédéric Altare, immunologiste et directeur de recherche à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Un espoir pour sortir de la pandémie.

Le variant Delta, un frein pour atteindre l'immunité collective

Mais le variant Delta a changé la donne. Majoritaire en France depuis juillet 2021, bien plus transmissible que la souche d'origine et les variants précédents, son R0 correspondrait non pas à 3, mais à 6 ou 7, selon les spécialistes. De quoi faire grimper le seuil théorique de l'immunité collective aux alentours de 85%. Théorique, car "actuellement le Delta prend la place de tous les autres, mais qu'est-ce qui nous dit qu'un autre variant ne va pas venir le remplacer et avoir un niveau de contagiosité différent ?" s'interroge Daniel Floret. Et en pratique, ce niveau doit tenir compte des limites posées à la campagne de vaccination, accessible uniquement aux plus de 12 ans, éliminant d'après l'Insee 12,7% de la population, qui ne peut donc s'immuniser contre le virus qu'en entrant en contact avec lui. De même pour les personnes qui refusent de se faire vacciner.

"C'est vrai que peut-être que s'attacher à cette immunité collective (...) c'est comme un mirage à chaque fois", se désole la virologue Samira Fafi-Kremer. 

"A chaque vague, on dit qu'on va l'atteindre avec tel ou tel pourcentage, alors que personne ne le connaît précisément. Mais plus il y a de personnes avec des anticorps, plus on va atteindre rapidement cette immunité collective."

Samira Fafi-Kremer, virologue

à franceinfo

Et les dernières données font état du défi que représente le variant Delta : "Avec un R0 égal à 6, augmenter la couverture vaccinale [à 70% chez les adolescents, à 90% chez les 18-59 ans et 95% chez les plus de 60 ans] ne permettra toujours pas un relâchement total des mesures barrières", a conclu une équipe de l'Institut Pasteur dans une prépublication en septembre*.

Des taux de couverture vaccinale qui restent lointains, alors que 73% de la population a reçu au moins une injection contre le Covid-19. Même en y ajoutant les personnes immunisées naturellement contre le virus, Frédéric Altare reste dubitatif quant à l'immunité collective : "On pourra peut-être atteindre 90% [de personnes immunisées dans la population], mais sans doute au bout d'un long moment." 

Pourcentage de personnes vaccinées contre le Covid-19 par classe d'âge au 06 septembre 2021, selon les données de Santé publique France. (FRANCEINFO)

La virologue Mylène Ogliastro renchérit : "Je suis assez pessimiste sur le fait qu'on puisse éliminer le virus. Ce serait un effort colossal de vaccination, et surtout dans un temps très court, partout dans le monde, pour bloquer la circulation du virus", alors qu'environ 41% de la population mondiale a reçu au moins une dose de vaccin selon le site Our World in Data*, principalement dans les pays du Nord. "On ne s'en sortira jamais tant que les pays pauvres n'ont pas assez de vaccins", tonne Samira Fafi-Kremer.

Les vaccins n'empêchent pas totalement la transmission du variant Delta

Mais le variant Delta a aussi relativisé l'omnipotence des vaccins. Avec une charge virale moyenne 300 à 1 000 fois plus élevée chez les porteurs du virus par rapport à la souche d'origine du Sars-CoV-2, le variant Delta peut aussi être transmis par les personnes vaccinées. Le vaccin permet certes de réduire cette quantité de virus, selon une prépublication de l'Imperial College de Londres (PDF*) parue en août, à rebours de premières données moins optimistes*. Mais le variant "est si infectieux que ce petit taux de virus excrété par les personnes vaccinées et infectées suffit à contaminer d'autres gens", résume l'immunologiste Frédéric Altare. A ceci près que "moins on est symptomatique, moins on peut répandre de virus", explique le spécialiste.

De plus, pour atteindre un niveau d'immunité collective grâce aux vaccins, faut-il encore que celle-ci perdure. Or, de premières études font état d'une baisse d'efficacité progressive pour les quatre vaccins homologués en France, en particulier chez les plus de 60 ans qui, comme les plus fragiles, peuvent avoir un système immunitaire qui répond moins bien à la vaccination. "Donc il y a une vraie logique pour dire que dans la situation actuelle, si on veut éviter des infections chez des personnes vaccinées il y a quelques mois, il faut faire des rappels, en commençant par les plus à risque, notamment avec des comorbidités", approuve le vaccinologue Daniel Floret, qui juge "plus simple" de l'incorporer au sein du vaccin antigrippal annuel, à l'instar de la Haute Autorité de santé.

"Plus on vaccine, plus on a un impact fort sur l'épidémie"

Frédéric Altare appelle donc à relativiser l'importance de l'immunité de groupe parmi les objectifs affichés. "L'immunité collective, c'est le Graal. Mais le vaccin est d'abord là pour l'immunité individuelle, pour protéger la personne qui le reçoit. Et au bout d'un moment, si suffisamment de gens sont vaccinés, on aboutira à l'immunité collective", observe le scientifique, qui rappelle l'importance de la vaccination et juge intéressant d'y inclure les enfants qui, "avec les personnes asymptomatiques, sont les principaux vecteurs [invisibles] de l'épidémie".

Car s'ils ne permettent pas de juguler totalement la transmissibilité du virus ni même les infections symptomatiques, les vaccins restent très efficaces contre les formes graves liées au variant Delta et qui conduisent à des hospitalisations : près de 96% d'efficacité, notamment, sont à relever pour le vaccin de Pfizer-BioNTech. Or, "ce qui nous empêche de vivre correctement, c'est le fait d'avoir un nombre de personnes hospitalisées qui fait déborder le système de santé. Plus on vaccine, plus on a un impact fort sur l'épidémie", défend le vaccinologue Daniel Floret. "Même sans atteindre l'immunité collective, on peut éviter que les hôpitaux soient sursaturés et engorgés, confirme Frédéric Altare. Et sur cet aspect-là, ça réussit parce qu'on voit que sur la vague actuelle [dans l'Hexagone], on n'engorge pas les hôpitaux."

Les vaccins permettent aussi de ralentir la circulation du virus, donc l'apparition de mutations qui pourraient amener des variants plus robustes, assure une prépublication de l'université du Maryland diffusée en août*. "Pour le moment, les variants qui émergent n'arrivent pas du tout au taux de transmissibilité du Delta. Le risque est là mais personne ne peut le prédire", explique Samira Fafi-Kremer.

A défaut d'atteindre l'immunité collective, du moins pour le moment, les experts interrogés sont unanimes : il va falloir vivre avec le virus et continuer de recourir pour un temps aux mesures barrières. "On peut tout à fait espérer que l'on va s'accommoder de ce virus en raison d'un niveau d'immunité élevé dans la population mondiale, ou qu'il va changer de forme pour [devenir bénin]", suggère Daniel Floret. Un phénomène qu'aurait connu un autre coronavirus, OC43, suspecté d'avoir été à l'origine d'une épidémie au XIXe siècle"Ce serait une bonne nouvelle, mais ce n'est pas un acquis." 

* Ces liens renvoient vers des articles en anglais.

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