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Vaccination contre le Covid-19 : où en sont les pays en développement ?

Un fossé sépare désormais les pays riches des pays pauvres en termes de couverture vaccinale contre le Covid-19, constatent les autorités internationales, qui exhortent les pays occidentaux à faire preuve de plus de générosité.

Article rédigé par franceinfo avec AFP - Charlotte Causit
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Un homme décharge une cargaison de doses de vaccin contre le Covid-19 des laboratoires AstraZeneca, livrée via le dispositif Covax à Madagascar, le 8 mai 2021. (MAMYRAEL / AFP)

La solidarité internationale relève-t-elle du fantasme ? Plus d'un an après le début de la pandémie de Covid-19, la question se pose. Alors que les pays les plus riches applaudissent leurs succès vaccinaux et envisagent l'élargissement de la vaccination aux adolescents, d'autres, comme Haïti, attendent encore la livraison des premières doses pour lancer leur campagne de vaccination.

Ce contraste est le fruit d'une "scandaleuse inégalité", fustige Tedros Adhanom Ghebreyesus. Le directeur général de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ne mâche pas ses mots à l'égard des pays occidentaux : "Il n'y a pas de manière diplomatique de le dire, a-t-il tempêté lors de l'ouverture de l'assemblée annuelle de l'OMS, le 24 mai. Un petit groupe de pays qui fabrique et achète la majorité des vaccins dans le monde contrôle le sort du reste du monde." Et d'appeler les pays les plus développés à prendre leurs responsabilités pour aider les pays les plus pauvres, comme le rapporte France 24.

En Afrique, 1,7% de la population est vaccinée

L'objet de sa colère tient en un chiffre : plus de 75% de tous les vaccins contre le Covid-19 ont été administrés dans seulement dix pays, souligne le patron de l'OMS. Parmi ces heureux bénéficiaires, les Etats-Unis, le Canada, Israël ou encore les pays européens. L'Union européenne, qui a procédé à des achats groupés de vaccins, avait inoculé au 24 mai au moins une dose de vaccin à 35% de sa population. Devant elle, Israël, le Royaume-Uni et les Etats-Unis comptent respectivement 63%, 56% et 49% de personnes au moins protégées partiellement par le vaccin, d'après les données de Our World in Data. Ce site, qui suit l'avancée des campagnes vaccinales, analyse qu'au 25 mai, 34% de la population des pays à hauts revenus auraient bénéficié d'au moins une dose de vaccin, contre 0,6% pour les pays à bas revenus.

Bien loin des records américains ou israéliens, des pays en développement comme le Cameroun, la Somalie ou le Sri Lanka comptabilisent à ce jour respectivement 6,7%, 0,8% et 0,2% de population au moins vaccinée en partie contre le Covid-19. "Si on prend l'Afrique, il y a 1,7% de la population qui est vaccinée", complète Nathalie Ernoult, chercheuse à l'Institut des relations internationales et stratégiques (Iris) et codirectrice de l’Observatoire de la santé mondiale, interrogée par franceinfo.

Parmi les pays à bas ou moyens revenus, quelques exceptions, comme la Mongolie, s'en sortent très bien : au 25 mai, ce pays asiatique avait fourni au moins une dose de vaccin à plus de 56% de sa population, et ce, grâce aux campagnes de diplomatie vaccinale entreprises par ses deux puissants voisins, la Chine et la Russie, explique Courrier international.

Une aide des pays développés qui tarde à arriver

Pour endiguer l'émergence de nombreux variants et accélérer la vaccination mondiale contre le Covid-19, l'OMS compte sur l'initiative Covax, créée pour faciliter l'achat groupé de vaccins et fournir un accès privilégié aux doses pour les pays à bas ou moyens revenus. Copiloté par l'organisation internationale Gavi, l'Alliance du vaccin et financé par des organismes privés et publics, le dispositif a déjà permis de livrer 72 millions de doses de vaccin à 126 pays membres depuis février. Un bilan bien moindre que celui initialement prévu, relève Nathalie Ernoult.

"Il faut rappeler que Covax, sur les deux milliards de doses qu'elle doit livrer d'ici la fin de l'année, en a livré actuellement environ 70 millions. Donc on est très, très loin du compte."

Nathalie Ernoult, chercheuse à l'Iris

à franceinfo

A l'origine de ce retard, une série de déconvenues. Le dispositif a fait "les frais de la crise en Inde, son principal fournisseur", explique l'ONU dans un point d'étape. Confronté à un tsunami épidémique, le pays, qui abrite l'un des principaux fabricants du vaccin d'AstraZeneca, le géant pharmaceutique privé Serum Institute of India (SII), a décidé de suspendre l'exportation de ses doses à l'étranger. Or Covax comptait sur ces doses.

Par ailleurs, le dispositif ne fournit pas les ressources logistiques et communicationnelles nécessaires au succès d'une campagne vaccinale, et les doses du vaccin d'AstraZeneca, qui représentent l'essentiel des stocks distribués par Covax, font l'objet d'une grande réticence à la suite de très rares cas de thromboses veineuses observées chez des personnes vaccinées jeunes. "Il y a beaucoup de désinformation ici et ces commentaires négatifs venus d'Europe et d'Amérique expliquent en grande partie pourquoi nos campagnes vaccinales ont pris du temps à démarrer", assure Diana Atwine, médecin et secrétaire permanente du ministère ougandais de la Santé, interrogée par le Wall Street Journal (en anglais).

Exemple de ces difficultés : le Soudan du Sud a annoncé mardi 25 mai qu'il allait renvoyer à Covax 72 000 doses des 132 000 doses du vaccin d'AstraZeneca reçues fin mars car il ne serait pas en mesure de les administrer avant leur expiration. Leur déploiement a été entravé par les problèmes logistiques et les réticences de la population, a regretté le ministère de la Santé auprès de l'AFP. La semaine précédente, le Malawi annonçait avoir brûlé près de 17 000 doses de vaccin d'AstraZeneca expirées.

La levée des brevets sera insuffisante à court terme

Face à ce bilan, l'OMS demande aux pays riches de mettre les bouchées doubles pour vacciner au moins 10% des habitants de chaque pays d'ici septembre et 30% d'ici à la fin de l'année. Pour tenir cet objectif, 250 millions de personnes supplémentaires devront être vaccinées en seulement quatre mois. Pour ce faire, le Fonds monétaire international (FMI) a proposé le 21 mai, à l'occasion d'un sommet mondial de la santé organisé dans le cadre du G20, un plan ambitieux de 50 milliards de dollars, avec l'objectif de vacciner au moins 60% de la population mondiale d'ici la fin de 2022. Parmi les mesures proposées : l'attribution d'au moins 4 milliards de dollars d'aides supplémentaires au dispositif Covax et l'augmentation des "dons de vaccins excédentaires".

La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a fait savoir pendant ce même sommet que l'UE allait fournir 100 millions de doses de vaccin contre le Covid-19 aux pays les plus pauvres. La France donnera d'ici la fin 2021 "au moins 30 millions de doses de différents vaccins", a précisé Emmanuel Macron. Dans la foulée, les laboratoires Pfizer-BioNTech, Moderna et Johnson & Johnson se sont engagés à fournir à prix coûtant ou réduit 3,5 milliards de doses aux pays les plus pauvres en 2021 et 2022. Quelque 1,3 milliard de doses devraient être livrées cette année et le reste en 2022.

Mais "cela ne suffira pas", craint Nathalie Ernoult. Pour rattraper le retard et répondre à l'enjeu des variants, une autre solution est avancée : la levée des brevets. Demandée à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) depuis octobre par l'Inde et l'Afrique du Sud, réclamée en avril par 170 anciens chefs d'Etat et prix Nobel dans une lettre ouverte au président américain Joe Biden, cette mesure pourrait permettre à de nouveaux laboratoires de produire des vaccins en masse.

Les Etats-Unis se sont récemment dits favorables à une telle démarche, ouvrant la voie à l'Union européenne et à d'autres instances internationales. Mais cette question doit encore être tranchée par l'OMC, prévient Izabela Jelovac, spécialiste en économie de la santé et directrice de recherche au CNRS. "C'est indispensable, mais ce sera insuffisant à court terme, estime-t-elle. C'est plutôt pour du moyen et long terme car du jour au lendemain, on ne sera pas capables de produire des vaccins partout." Si le continent africain dispose actuellement de six centres de production de vaccins, ces derniers ne peuvent par exemple pas "fabriquer des vaccins comme AstraZeneca ou Pfizer sans appuis technologiques et techniques, ni sans investissements majeurs", souligne Le Point. La question des matières premières, du transfert de compétences techniques et de la mise en place de chaînes de production doit donc être dès à présent prise en compte et faire l'objet d'investissements.

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