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"Travail", "ordre républicain", "progrès"... Quel est le bilan des "100 jours d'apaisement" annoncés par Emmanuel Macron après la réforme des retraites ?

La période définie par le chef de l'Etat pour tourner la page de la contestation sociale a notamment été marquée par les violences urbaines, survenues fin juin après la mort de Nahel à Nanterre.
Article rédigé par Thibaud Le Meneec
France Télévisions
Publié Mis à jour
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Elisabeth Borne et Emmanuel Macron, à Suresnes (Hauts-de-Seine), le 19 juin 2023. (MOHAMMED BADRA / AFP)

Cent jours, ou plutôt 88, d'une crise à l'autre, dans une société française fracturée. Lorsqu'Emmanuel Macron prend la parole devant la nation, le 17 avril, la contestation contre la réforme des retraites, à peine promulguée, est toujours vive. Le président de la République fixe un cap : rétablir la sérénité dans le pays grâce à "100 jours d'apaisement, d'unité, d'ambition et d'action au service de la France", après des mois de crise.

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Avec le 14-Juillet en ligne de mire, le chef de l'Etat ne se doute pas, alors, que deux mois et dix jours plus tard, la mort d'un adolescent lors d'un contrôle routier va faire basculer une partie du pays dans les émeutes. "Six jours d'émeutes sur cent, ça ne nous a pas empêchés de travailler. Ni la mort de Nahel ni les violences n'ont quoi que ce soit à voir avec la situation sociale du pays", défendait cependant début juillet un ministre auprès de franceinfo.

La feuille de route présidentielle comportait trois chantiers principaux : "le travail" et "l'écologie", "la justice et l'ordre républicain", ainsi que "le progrès pour mieux vivre". Un quatrième, plus politique, était réservé à sa Première ministre, Elisabeth Borne, mise au défi de "nouer de nouvelles alliances" pour élargir la majorité.

"Je constate que la plupart des chantiers sont au vert. Nous avons délivré. Tous les chantiers que nous avions présentés fin avril dans la feuille de route ont été engagés", s'est félicitée la cheffe du gouvernement, samedi auprès du Parisien. Au terme de ces "100 jours", vendredi 14 juillet, franceinfo compare les promesses faites mi-avril par le chef de l'Etat à l'état des dossiers que l'exécutif a depuis lancés, repris ou délaissés.

"Travail" et "écologie" : le dialogue reprend avec les syndicats, la planification écologique se fait attendre

Ce qu'a annoncé Emmanuel Macron. Désireux de tourner la page des retraites, Emmanuel Macron a annoncé mi-avril la construction d'un "nouveau pacte de la vie au travail" par les partenaires sociaux. Il a par ailleurs promis de lever le voile sur la planification écologique "d'ici l'été", avec une application dans de nombreux domaines.

Ce qui a marqué les 100 jours. La question du travail a progressivement supplanté celle des retraites, même si les oppositions ont tenté de bloquer la réforme, très contestée jusqu'au début du mois de juin. Avant cela, le dialogue a très timidement repris entre le gouvernement et les syndicats, mi-mai. Ensuite, les représentants syndicaux se sont assis à la table des négociations avec le patronat, en juin, pour aboutir à un agenda social détaillé début juillet. Les partenaires sociaux ont à nouveau évoqué ce calendrier lors d'une réunion avec Elisabeth Borne, mercredi 12 juillet à Matignon, la CFDT se félicitant même après ce rendez-vous que la méthode du gouvernement "change radicalement" par rapport au printemps.

En parallèle de ces négociations, le projet de loi "pour le plein emploi" a été présenté en Conseil des ministres début juin. Il a été adopté en première lecture par le Sénat, dans la nuit du mardi 11 au mercredi 12 juillet et sera examiné à l'Assemblée nationale à l'automne.

Qu'en est-il par ailleurs du "nouveau modèle productif et écologique" à la française ? Il a tardé à prendre forme, en raison des violences urbaines survenues fin juin. "Il ne faut pas y voir un blocage ou des désaccords entre nous", a balayé l'eurodéputé Renaissance Pascal Canfin début juillet auprès du Monde, alors que la Première ministre a annoncé samedi au Parisien 7 milliards d'euros supplémentaires pour la transition écologique en 2024. Ce plan doit encore être décliné, ministère par ministère. Mais "on n'a pas eu le grand discours du chef de l'Etat sur l'écologie", regrette auprès de franceinfo le député Les Républicains Antoine Vermorel-Marques.

"Ordre républicain" : les émeutes ont tout bousculé

Ce qu'a annoncé Emmanuel Macron. Après les heurts liés à la contestation contre la réforme des retraites, le chef de l'Etat a fait "de la justice et de l'ordre républicain et démocratique" une de ses priorités au printemps. Il a annoncé vouloir "lutter contre toutes les formes de délinquance", vouloir "renforcer le contrôle de l'immigration illégale tout en intégrant mieux ceux qui rejoignent notre pays" et a promis des "grandes pistes" pour la rénovation des institutions.

Ce qui a marqué les 100 jours. La mort de Nahel lors d'un contrôle de police le 27 juin, et les violences urbaines qui ont suivi, fin juin et début juillet, ont éclipsé tout ce que le gouvernement avait précédemment annoncé en matière de sécurité et de lutte contre la délinquance. En mai, le ministre délégué aux Comptes publics, Gabriel Attal, avait ainsi présenté deux plans de lutte contre les fraudes fiscale et sociale, aux contours décriés par les opposants à l'exécutif.

En revanche, même si l'attaque au couteau d'Annecy, perpétrée le 8 juin par un réfugié syrien, a poussé plusieurs responsables politiques à réclamer un durcissement des règles sur le droit d'asile en France, le chantier de la future loi immigration a patiné. L'examen du texte a été repoussé à la rentrée parlementaire à l'automne, après les élections sénatoriales fin septembre, et son périmètre reste incertain. Mi-juin, Elisabeth Borne s'est dite prête à discuter des "modalités" d'un titre de séjour pour les métiers en tension, point qui figure toujours dans le projet de loi. Mais l'enlever "fait partie des discussions", explique un ministre à franceinfo. "Si on le conserve, Les Républicains ne votent pas le texte et ça ne permettra pas pour autant d'avoir les votes de la gauche."

Concernant la réforme des institutions, Emmanuel Macron a confié aux présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat le soin d'organiser la "réflexion" autour de plusieurs thèmes : élections à la proportionnelle, référendum ou recours au 49.3, tant décrié pendant la séquence de la réforme des retraites. Si le président LR du Sénat, Gérard Larcher, a temporisé sur ce chantier, son homologue au Palais-Bourbon, Yaël Braun-Pivet, a quant à elle lancé des groupes de travail début mai. Mais la Nupes a décidé fin mai de se retirer des discussions pour protester contre l'attitude de la majorité sur les retraites. "Le processus est en stand-by, mais je ne demande qu'à le reprendre", a assuré la patronne de l'Assemblée au Parisien, fin juin. 

"Progrès" : des annonces pour la santé et l'éducation qui peinent à convaincre

Ce qu'a annoncé Emmanuel Macron. Emmanuel Macron a lancé un chantier social : celui du "progrès pour mieux vivre". Pour que les Français "retrouvent la certitude que nos enfants pourront bâtir une vie meilleure", le chef de l'Etat a promis que l'école allait "changer à vue d'œil" dès la rentrée, que le système de santé serait "profondément rebâti" et que des "solutions concrètes" seront apportées "pour améliorer la vie quotidienne" dans les zones rurales, notamment.

Ce qui a marqué les 100 jours. Extension du Service national universel (SNU) aux lycéens volontaires en classe de seconde, réouverture du débat sur la refonte des vacances scolaires, volonté d'ouvrir le concours de recrutement des professeurs à bac+3, moyens renforcés contre le harcèlement scolaire après le suicide de Lindsay... Les annonces n'ont pas manqué pour le système éducatif, avec une accélération en juin.

L'exécutif a-t-il cependant obtenu la moyenne dans cette matière ? "Le président n'a pas joué la carte de l'apaisement, loin de là, dénonce Sophie Vénétitay, secrétaire générale du syndicat Snes-FSU. Les annonces n'ont pas été concertées avec les syndicats. Sur le fond, il passe en force sur des mesures qui sont unanimement contestées", pointe la syndicaliste, évoquant notamment le "pacte enseignant" qui prévoit la revalorisation de l'ensemble des professeurs, mais pas au niveau espéré.

Le secteur sanitaire a été concerné par une grève des médecins hospitaliers, début juillet. Avant cela, le meurtre d'une infirmière à Reims, fin mai, a poussé le ministre de la Santé, François Braun, à renforcer les mesures de sécurité dans les hôpitaux psychiatriques et à mettre en place des astreintes rémunérées pour les infirmiers à l'hôpital. Ce qui n'a pas forcément convaincu les professionnels du secteur, qui réclament des moyens supplémentaires face à une crise profonde. Par ailleurs, Emmanuel Macron a aussi promis la relocalisation de la production de 50 médicaments. Une annonce accueillie de façon mitigée par les professionnels de santé. Certains jugent qu'il faudra de nombreuses années avant de voir les bénéfices de cette relocalisation, d'autres estiment que la liste est trop limitée.

La période a enfin été marquée par la démission, mi-mai, du maire de Saint-Brevin-les-Pins (Loire-Atlantique), après l'incendie criminel de son domicile. L'affaire a mis en lumière les nombreuses difficultés rencontrées par les élus locaux. Pour les résoudre, le gouvernement a annoncé la mise en place d'un plan de lutte contre les violences faites aux élus. Mi-juin, Elisabeth Borne a également levé le voile sur un plan "France ruralités" de 40 mesures diverses avec de nombreuses aides, qui n'a pas totalement convaincu les maires des petites communes françaises.

Majorité : Elisabeth Borne n'est pas parvenue à nouer de nouvelles alliances

Ce qu'a annoncé Emmanuel Macron. Après le recours au 49.3 pour faire adopter la réforme des retraites faute de majorité claire à l'Assemblée, l'exécutif a tenté de repartir de l'avant, en "relançant dès le mois de mai des coalitions et des alliances nouvelles, sur les bases solides du Conseil national de la refondation, au plus près du terrain", selon les mots du chef de l'Etat le 17 avril. Emmanuel Macron a laissé à Elisabeth Borne le soin de détailler cette "feuille de route", neuf jours plus tard.

Ce qui a marqué les 100 jours. La Première ministre a-t-elle mis à profit cette période pour sauver sa place ? Si elle a été fragilisée par la séquence des retraites, la cheffe du gouvernement s'est accrochée à son poste, semaine après semaine, au point de calmer les rumeurs de remaniement allant jusqu'à Matignon. "On peut se dire qu'il faudrait un Premier ministre de droite. Mais Elisabeth Borne gère la situation et la changer serait donner raison aux casseurs", expliquait début juillet un ministre à franceinfo après les émeutes. Malgré un recadrage au sujet de la manière de combattre le RN, fin mai, le chef de l'Etat semble s'être résolu à maintenir Elisabeth Borne dans ses fonctions. "Elle a ma confiance puisqu'elle est à la tête du gouvernement", a-t-il assuré fin juin dans La Provence.

En revanche, la Première ministre n'est pas parvenue à bâtir "des coalitions et alliances nouvelles" avec la droite au sein d'une Assemblée à majorité relative. Moins désunis que lors de la réforme des retraites, les élus LR ont notamment mis en garde le gouvernement sur le projet de loi immigration : ils menacent de déposer une motion de censure si le texte ne leur convient pas.

Le dossier du Conseil national de la refondation (CNR), né de la volonté présidentielle en septembre dernier, a été davantage géré par Emmanuel Macron durant cette période, même si Elisabeth Borne a fait des annonces sur la jeunesse mi-juin, au terme du CNR sur ce thème. Cet outil laisse d'ailleurs dubitatif sur son ambition. "Le CNR produit des trucs, mais n'a pas le même impact que le grand débat national", déplorait un député auprès de franceinfo, fin juin.

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