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Récit Evacuation violente de migrants, tabassage de Michel Zecler... La semaine où les violences policières ont mis l'exécutif sous pression

Au cours des derniers jours, les nombreuses vidéos montrant des comportements parfois très violents de policiers ont malmené l'exécutif, alors qu'il est fragilisé jusque dans ses rangs par la proposition de loi controversée sur la "sécurité globale".

Article rédigé par Charles-Edouard Ama Koffi
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12min
Des gendarmes tentent d'évacuer des tentes de migrants, place de la République, à Paris, le 23 novembre 2020. (SEBASTIEN MUYLAERT / MAXPPP)

La séquence a provoqué une vague d'indignation jusqu'à la plus haute fonction de l'Etat. Dans un long texte posté sur Facebook, vendredi 27 novembre, Emmanuel Macron affirme que ces images "nous font honte". Ces images, ce sont celles du passage à tabac de Michel Zecler, un producteur musical noir de 41 ans, par trois policiers. S'il est rare que le chef de l'Etat, représentant des institutions de la République, se prononce sur des événements mettant en cause la police, plusieurs membres de la majorité ont aussi affiché leur réprobation vis-à-vis des images diffusées ces derniers jours sur les réseaux sociaux, en pleine polémique sur la loi de "sécurité globale". Retour sur une semaine où les violences policières ont mis l'exécutif sous pression. 

Vendredi 20 novembre : l'Assemblée vote l'article 24 de la loi "sécurité globale"

A l'issue de plus de quatre heures de débats parlementaires, les députés ont voté en première lecture l'article 24 de la loi "sécurité globale". Cet article, le plus controversé de la loi, avait été amendé la veille au soir par le gouvernement lui-même. Le texte de loi, émanant du rapport de deux députés LREM, Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue, sur un "continuum de sécurité", prévoit un an d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende pour la diffusion d'images de forces de l'ordre dans "l'intention manifeste de nuire à [leur] intégrité physique ou psychique".

Ce délit s'exerce "sans préjudice du droit d'informer". Pour rassurer les nombreuses rédactions de journalistes qui y étaient opposées, le gouvernement a rajouté cet amendement, ce qui n'a pourtant pas suffi à calmer ses plus fervents détracteurs.

Samedi 21 novembre : des manifestants dans plusieurs villes françaises

A la demande de plusieurs syndicats de journalistes qui dénoncent une "atteinte à la liberté d'expression" et à "l'Etat de droit", plusieurs manifestations ont lieu en France. Elles regroupent au total 22 000 personnes, selon un décompte de l'AFP. A 17 heures, la préfecture de police annonce que la manifestation statique à Paris est terminée et demande aux manifestants de se disperser. Plusieurs heurts se déroulent en fin de cortège aux alentours de 19h30. Des dizaines de journalistes se retrouvent bloqués sur la place du Trocadéro. 

Les forces de l'ordre procèdent au total à 23 interpellations, selon le bilan de la préfecture de police, sur les 7 000 participants à Paris décomptés par l'AFP.

Dimanche 22 novembre : la lettre d'amour de Christophe Castaner aux journalistes

Dans Le Journal du Dimanche, Christophe Castaner, ancien ministre de l'Intérieur, et quatre autres députés LREM signent une tribune dans laquelle ils clament "leur déclaration d'amour aux journalistes". Dans cette lettre, il est précisé que "le sens de cet article n'a jamais changé : mieux protéger les forces de l'ordre, sans jamais porter atteinte à la liberté d'informer (...). A l'heure où l'on peut mourir pour un dessin, nous voulions vous dire, chers journalistes, que nous continuerons à défendre votre liberté d'écrire, de produire et de nous égratigner", conclut cette tribune.

De son côté, le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, montre pour la première fois sa circonspection face au texte de loi, sur BFMTV"On ne peut pas poursuivre en droit pénal français des gens pour une intention, mais en réalité pour un acte ou pour un fait", souligne-t-il. Il assure également qu'au sein de l'exécutif, "chacun s'exprime avec sa sensibilité différente".

Lundi 23 novembre : des migrants sont violemment évacués de la place de la République

Toujours dans un souci d'apaisement, Gérald Darmanin reçoit une délégation composée de plusieurs syndicats de journalistes, de la Ligue des droits de l'homme (LDH) et du père de Cédric Chouviat, ce livreur de 42 ans décédé lors d'une interpellation de police le 3 janvier 2020. 

La réunion se révèle être un échec. "On vient de se barrer de la réunion", poste sur Twitter le journaliste et militant Taha Bouhafs, présent lors de cette entrevue place Beauvau. De son côté, Gérald Darmanin affirme que, malgré l'arrêt des négociations, "sa porte est toujours ouverte".

Le soir même, plusieurs centaines de migrants installent leurs tentes avec l'aide d'associations humanitaires, place de la République à Paris. La plupart de ces exilés, majoritairement afghans, faisaient partie du campement évacué à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) le 17 novembre. L'action a pour objectif de "visibiliser ceux que l'on cherche à disperser", selon Médecins du monde. Rapidement, plusieurs dizaines de policiers arrivent sur les lieux, à la demande du ministre de l'Intérieur, pour faire évacuer le campement illicite. L'événement est marqué par des images de violences policières contre des migrants et des journalistes, diffusées sur les réseaux sociaux. 

Il est près de minuit lorsque Gérald Darmanin réagit sur Twitter : "Certaines images de la dispersion du campement illicite de migrants place de la République sont choquantes", écrit-il. Il ajoute avoir demandé un rapport circonstancié au préfet de police, Didier Lallement. C'est la première fois que le ministre de l'Intérieur met publiquement la police sous pression depuis que la loi contestée est arrivée à l'Assemblée nationale. 

Mercredi 25 novembre : Gérald Darmanin demande des comptes

Invité des "4 vérités" sur France 2, le ministre de l'Intérieur se désolidarise des policiers fautifs. "Ceux qui déconnent sont sanctionnés, mais je me refuse à sanctionner l’intégralité des policiers de France", déclare le ministre. Il affirme que l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) a été saisie et doit livrer ses conclusions "d'ici 48 heures". Chose rare, il s'engage à "les rendre publiques".

Nouveau signe du malaise au sein de l'exécutif, Marlène Schiappa, ministre déléguée à la Citoyenneté, et Emmanuelle Wargon, ministre déléguée au Logement, publient un communiqué. "Les lois doivent être pleinement respectées et nos dispositifs de solidarité à l’égard des migrants totalement mobilisés", écrivent-elles.

Quelques heures plus tard, l'Assemblée nationale s'apprête à voter la loi. Jean Castex, le Premier ministre, tente d'apaiser les esprits et annonce avant le vote qu'il va saisir le Conseil constitutionnel sur l'article 24 de la loi, afin qu'il "clarifie ce qui mérite de l'être." Les députés adoptent très largement en première lecture la proposition de loi "sécurité globale" à 388 voix pour, 104 contre et 66 abstentions. Chez les "marcheurs", le niveau de contestation est important mais loin des records : 30 LREM se sont abstenus et 10 ont voté contre.

Jeudi 26 novembre : l'indignation après l'interpellation violente de Michel Zecler

Dans la matinée, le média Loopsider diffuse une enquête vidéo dans laquelle on voit au moins trois policiers passer à tabac Michel Zecler, un producteur musical noir de 41 ans, dans son studio parisien. La victime affirme, dans la vidéo, que les policiers l'ont traité de "sale nègre" pendant qu'ils lui assénaient plusieurs coups de poings sur le visage et au corps. Les images sont violentes et provoquent l'indignation. Couvée depuis plusieurs jours, la fissure au sein de la majorité présidentielle éclate.

"Il est temps que le préfet de police fasse en sorte que ceux qui font respecter la loi la respectent eux-mêmes", réclame Stéphane Séjourné, eurodéputé et conseiller politique d'Emmanuel Macron. Richard Ferrand, président de l'Assemblée nationale, met en garde contre un "usage" de la force qui "sape le lien de confiance indispensable entre les citoyens et ceux qui nous protègent et doit être sanctionné sans faiblesse".

Gérald Darmanin affirme que l'IGPN a été saisie par la justice dès mardi. Malgré tout, l'étau se resserre et il cristallise les critiques de l'opposition. Dans le même temps, trois policiers parmi les quatre qui ont interpellé violemment Théo Luhaka jusqu'à le rendre infirme à vie, le 22 février 2017 à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), vont être jugés aux assises pour "violences volontaires"

A Matignon, Jean Castex annonce instaurer une commission indépendante chargée de proposer une réécriture de l'article 24 de la loi "sécurité globale". Elle doit rendre ses travaux "pour la fin du mois de décembre". Quelques heures plus tard, Gérald Darmanin est l'invité du "20 heures" de France 2. Comme promis, il expose les conclusions provisoires de l'IGPN concernant l'évacuation de migrants, lundi soir. Il se montre particulièrement sévère. "Ce commissaire qui fait ce croche-patte totalement injustifié, je prendrai des sanctions contre lui. Je demande la réunion du conseil de discipline." 

Evacuation du camp de migrants à République : le croche-patte du commissaire est "totalement injustifié", assure Gérald Darmanin
Evacuation du camp de migrants à République : le croche-patte du commissaire est "totalement injustifié", assure Gérald Darmanin Evacuation du camp de migrants à République : le croche-patte du commissaire est "totalement injustifié", assure Gérald Darmanin

Selon le rapport de l'IGPN, sur les trois faits étudiés en 48 heures, "deux scènes nécessitent des investigations supplémentaires". Sur le troisième, le croche-pied, l'institution estime que le policier en question a "commis un manquement par usage disproportionné de la force." 

Concernant l'agression dont Michel Zecler a été victime, là encore, Gérald Darmanin affiche une sévérité rare. "Si la justice conclut à une faute, je demanderai la révocation des trois policiers."

Vendredi 27 novembre : Jean Castex renonce finalement à une commission consultative  

Les quatre policiers mis en cause dans la violente interpellation de Michel Zecler sont placés en garde à vue. Parmi eux, trois sont entendus pour "violences à caractère raciste". 

Quelques heures après l'annonce de Jean Castex de la réécriture de l'article 24 de la loi, les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat montent au créneau : "Confier à un organe extérieur une telle mission constituerait une atteinte aux missions du Parlement, qui seul écrit et vote la loi", explique Richard Ferrand. Quant au président (LR) du Sénat, Gérard Larcher, il demande au Premier ministre de "renoncer à sa décision de nommer une commission consultative". Dos au mur, Matignon renonce finalement à son idée. 

"Je vous confirme qu'il n'entrera pas dans le périmètre de cette commission le soin de proposer une réécriture d'une disposition législative, mission qui ne saurait relever que du Parlement", précise Jean Castex à Richard Ferrand dans un courrier. A la veille d'une nouvelle manifestation à Paris contre cette loi, la confusion paraît totale au sein de la majorité. De son côté, Emmanuel Macron a publié sur les réseaux sociaux, vendredi soir, un message dans lequel il annonce attendre que la police soit "exemplaire avec les Français".

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