"Front populaire", "arc républicain"… Comment la majorité, la gauche et la droite comptent faire barrage au Rassemblement national

L'annonce soudaine d'une dissolution par Emmanuel Macron a précipité toutes les formations politiques vers des élections législatives pour lesquelles l'extrême droite a le vent en poupe, après sa large victoire aux européennes.
Article rédigé par Zoé Aucaigne, Thibaud Le Meneec
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Emmanuel Macron, chef de l'Etat, entouré des ministres de l'Economie et des Affaires étrangères, Bruno Le Maire et Stéphane Séjourné, à Paris, le 6 mai 2024. (THIBAULT CAMUS / AFP)

Le paysage politique français a connu un séisme d'une ampleur encore inconnue, dimanche 9 juin, avec l'annonce de la dissolution de l'Assemblée nationale par Emmanuel Macron, immédiatement après l'échec du camp présidentiel aux européennes. En accédant à la demande du Rassemblement national, grand vainqueur du scrutin, le chef de l'Etat rebat toutes les cartes parlementaires, tandis que l'extrême droite s'avance en favorite d'un scrutin organisé dans l'urgence. Face à elle, Renaissance et ses alliés, les partis de l'ex-Nupes et Les Républicains vont tenter d'apparaître comme le meilleur rempart au RN.

Franceinfo fait le point sur les stratégies des différents camps pour contrer la progression annoncée de l'extrême droite lors de ces législatives anticipées, le 30 juin et le 7 juillet.

La majorité veut élargir son socle rétréci face aux extrêmes

Sonnée, "abasourdie", la majorité présidentielle a perdu son contingent de parlementaires avec l'annonce surprise de la dissolution, dimanche soir. Les 250 députés de Renaissance, du MoDem et d'Horizons ont dit adieu à leur mandat, au moins pour quatre semaines. Pour le président de la République, l'objectif est de retrouver "une majorité claire pour agir dans la sérénité et la concorde", a-t-il déclaré dans son allocution.

Ce choix a tout l'air d'un pari osé : celui de gagner des députés, ou en tout cas de ne pas en perdre, alors que la majorité a subi un cinglant revers aux européennes. Pour le gagner, Renaissance et ses alliés misent sur un réflexe républicain des électeurs hostiles au Rassemblement national, qui pourraient voter pour les candidats du bloc central face à l'extrême droit. "Maintenant, ce n'est plus le même vote qu'aux élections européennes", prévient un stratège de la majorité. 

"On va dire aux Français : 'Est-ce que vous voulez le programme du RN ou le nôtre ? Est-ce que vous êtes avec nous ou contre nous ?'"

Un cadre de la majorité

à franceinfo

Avant de s'adresser aux Français, les soutiens du chef de l'Etat veulent convaincre certains de leurs adversaires de s'allier avant dimanche, date limite du dépôt des candidatures. Dès le soir de l'annonce de la dissolution, le patron de Renaissance, Stéphane Séjourné, a affirmé à l'AFP que le camp Macron "donnera[it] l'investiture" aux députés sortants d'autres partis "faisant partie du champ républicain" et souhaitant "s'investir dans un projet clair" autour de la majorité présidentielle. 

Le message a été entendu et répété par les troupes macronistes. "J'appelle à un arc républicain local pour battre le RN", a par exemple tweeté lundi matin Brigitte Liso, députée sortante Renaissance du Nord. Cette attitude interroge, alors que le front républicain a déjà montré des signes de faiblesse par le passé. "En 2022, le vote barrage s'était effondré quand on avait des duels au second tour. Est-ce que ça va encore être le cas ?", interroge Mathieu Gallard, directeur de recherches de l'institut de sondages Ipsos France.

La gauche, très tentée par l'union, se divise sur ses conditions 

C'est le mot le plus partagé à gauche depuis l'annonce d'Emmanuel Macron : union. Les partis qui ont formé la Nupes à partir de la campagne des législatives de 2022, avant de partir dispersés aux européennes, pensent à refaire bloc pour tenter de contrer l'extrême droite, qui dispose actuellement de 88 députés à la chambre basse.

Dès dimanche soir, le député sortant La France insoumise François Ruffin, chantre de l'union depuis plusieurs années, a appelé plusieurs de ses interlocuteurs à gauche à la constitution d'un "front populaire" face au Rassemblement national et ses possibles alliés. Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste, a soutenu lundi matin cette initiative afin d'évacuer le "risque" de voir le Rassemblement national composer le prochain gouvernement.

D'autres voix de gauche ont aussi appelé à des négociations pour un accord sur les candidats à présenter aux élections législatives. "Notre responsabilité, de la gauche et des écologistes, c'est de se retrouver, et d'être prêts pour le 30 juin", confiait la tête de liste écologiste aux européennes, Marie Toussaint, à franceinfo, dimanche soir.

"Je refuse la guerre des gauches, nous devons trouver un moyen de nous reconstruire."

Marie Toussaint, tête de liste Les Ecologistes-EELV

à franceinfo

Entre les vœux d'union et sa réalisation concrète pour le premier tour, le défi est pourtant de taille pour la gauche, qui doit trancher la question des investitures dans les 577 circonscriptions et du programme à défendre. La tâche s'est encore compliquée avec les prises de parole de certains socialistes, réticents voire hostiles à l'ancienne Nupes. "Le score de Raphaël Glucksmann éclaire le chemin que nous devons prendre et que je défends depuis longtemps", a tweeté Carole Delga, présidente de la région Occitanie. La ligne portée par la tête de liste PS-Place publique aux européennes "doit être celle qui permette le rassemblement de la gauche et des écologistes", a déclaré Valérie Rabault, cadre du PS, sur X. Guillaume Garot, député socialiste sortant de la Mayenne, a même expliqué lundi sur France Bleu qu'il refusait de travailler avec La France insoumise, à qui il reproche des "outrances".

"Ce rassemblement ne pourra s’opérer que dans la clarté et dans la cohérence qui ont tant manqué depuis 2022. Il doit aussi fermer la page des reniements des mesures du programme partagé de gouvernement de la Nupes", a de son côté prévenu La France insoumise dans un communiqué, tard dans la nuit de dimanche à lundi. Le parti y dénonce "l’ambiguïté de certaines composantes sur les grands sujets de la campagne des élections européennes". Le PS et son allié Place publique ont répondu par un autre communiqué, lundi après-midi, réclamant un "cap clair" assorti d'une dizaine de points de programme, et revendiquant être "sorti nettement en tête de la gauche" aux européennes. "Entre les insoumis et le Parti socialiste, il y a un peu une relation d’ex. Mais pour la garde d’enfants, en cas de divorce, il faut être adultes", espère Sandra Regol, députée écologiste sortante et défenseure de la Nupes.

 

Les responsables de La France insoumise ont envoyé une "proposition de rencontre" lundi "après-midi" aux autres "formations politiques de la Nupes" (le PS, le Parti communiste, les Ecologistes-EELV et Générations), pour "travailler à l'unité et à la clarté". Une réunion était en cours au siège des Ecologistes, lundi en fin d'après-midi, a constaté un journaliste de franceinfo sur place. Dans le même temps, François Ruffin a annoncé sur X le lancement d'un appel aux signatures pour soutenir son projet de "front populaire". Parmi les premiers signataires, des élus de tous les partis de la Nupes à l'exception du PS.

La droite exclut une alliance avec le camp présidentiel

Du côté des Républicains (LR), hors de question de s’allier à la majorité pour les élections législatives. “Le macronisme, c’est toujours plus d’impôts, d’immigration et d’insécurité. Fidèles à nos valeurs, nous allons mener cette campagne autour des valeurs de la droite !”, a fustigé le président du parti, Eric Ciotti, sur le réseau social X dès dimanche soir. Certains députés LR ont d’ailleurs déjà annoncé faire cavalier seul. "Je mènerai campagne dans la fidélité à mes valeurs de droite pour m’opposer au déclin de la France dans lequel le macronisme nous a plongés !", a par exemple affirmé sur X Christelle D'intorni, députée sortante des Alpes-Maritimes.

Le camp de la majorité défend sa proposition de coalition comme un moyen de faire barrage à l’extrême droite. "Quand il y a un risque d'une élection d'un député du Rassemblement national, qui est notre premier adversaire politique, mais aussi de La France insoumise, il est préférable de voter pour une autre personne, d'une autre formation politique", a justifié Clément Beaune sur franceinfo. Faire une croix sur cette alliance, est-ce donc refuser de bloquer le RN ? "Le risque, ce n’est pas nous qui le faisons prendre au pays, s'insurge le LR Patrick Hetzel, lui aussi député sortant. C’est le président qui l’a pris avec la politique qu’il mène depuis sept ans. Il ne faudrait pas inverser les rôles." 

Quid de la main tendue par l’extrême droite aux Républicains ? Marion Maréchal, tête de liste Reconquête aux élections européennes, s’est dite "prête à rencontrer dans les jours qui viennent Marine Le Pen et Jordan Bardella, Eric Ciotti et Nicolas Dupont-Aignan pour travailler ensemble à l'alternative que notre pays exige". Lundi, en fin d'après-midi, c'est Jordan Bardella, vainqueur des européennes et patron du RN, qui a déclaré qu'il "tendait la main" aux Républicains, avançant avoir eu "des discussions" avec certains de leurs cadres. Une affirmation qui n'avait été corroborée par aucun dirigeant du parti de droite, lundi soir. L'option d'une alliance avec l'extrême droite est rejetée d'emblée par certains élus Républicains. "Ni-Ni. Ni Macron. Ni Le Pen, a défendu sur X le député sortant de l’Aisne Julien Dive. La reconstruction responsable du pays prendra du temps, mais elle passe par des valeurs, la compromission n’en est pas.”  

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