Dissolution de l'Assemblée : pourquoi la décision d'Emmanuel Macron met aussi bien le camp présidentiel que l'opposition dans l'embarras

En déclenchant des législatives anticipées, le chef de l'Etat a remis sa majorité relative en jeu à la surprise générale. Un pari risqué alors que le Rassemblement national vient de réaliser un score historique aux élections européennes.
Article rédigé par Laure Cometti
France Télévisions
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Emmanuel Macron, dans un bureau de vote du Touquet (Pas-de-Calais), le 9 juin 2024, lors des élections européennes. (STEPHANE LEMOUTON / SIPA)

L'annonce a pris tout le monde de court, y compris dans son propre camp. Une heure après la révélation des résultats des élections européennes 2024, Emmanuel Macron a annoncé la dissolution de l'Assemblée nationale, dimanche 9 juin. "J'ai décidé de vous redonner le choix de notre avenir parlementaire par le vote", a déclaré le chef de l'Etat lors d'une allocution télévisée, après le très mauvais score de sa majorité et la victoire historique du Rassemblement national. Cette décision a provoqué des réactions contrastées, mais aussi beaucoup d'interrogations sur la stratégie du président de la République.

Dans la majorité, passée la surprise d'hier soir, on défend lundi matin un choix logique et "courageux". "Après un tel choc dans l'opinion, la réponse doit être à la hauteur, juge François Patriat. Est-ce qu'on pouvait laisser durer ce dur cheminement à l'Assemblée nationale, où c'est le carnaval permanent ?" Pour le sénateur de la Côte-d'Or, il faut "mettre les Français devant leurs choix réels". La dissolution permet donc au chef de l'Etat de "reprendre la main dans un moment dramatique", assure l'élu Renaissance. Un ministre anonyme évoque aussi "un pari, avec sa dose de risque, mais un choix de clarté et de responsabilité".

"Il était impossible de rester immobile après le vote d'hier."

Un ministre sous couvert d'anonymat

à franceinfo

En déclenchant ce scrutin anticipé, Emmanuel Macron impose un calendrier très serré à son propre parti et aux oppositions, qui sortent toutes affaiblies du scrutin européen, à l'exception bien sûr du RN et dans une moindre mesure du Parti socialiste. Dimanche soir, le président a fixé la date du 30 juin pour le premier tour, optant pour le délai le plus court prévu par l'article 12 de la Constitution. Conséquence directe : les candidatures devront être déposées dimanche 16 juin, ce qui laisse à peine une semaine aux partis pour former d'éventuelles alliances et investir leurs candidats dans 577 circonscriptions.

Miser sur les divisions à gauche

Le défi s'annonce très difficile à gauche, alors que les anciens alliés de la Nupes sont partis divisés aux européennes et que la campagne a été marquée par les invectives. Dès dimanche soir, des militants insoumis rassemblés à Paris entonnaient des slogans hostiles à Raphaël Glucksmann. La tête de liste PS-Place publique ayant récolté le meilleur score des listes de gauche, son camp espère prendre le leadership d'une éventuelle nouvelle alliance à gauche. "L'union doit se faire sur la base de la ligne dégagée ce soir par le score de Glucksmann", a estimé la porte-parole du PS, Dieynaba Diop, auprès de l'AFP. Mais La France insoumise ne l'entend pas de cette oreille.

Le coordinateur du mouvement de gauche radicale, Manuel Bompard, a rappelé sur franceinfo que "ce rassemblement doit se faire sur un programme clair", en l'occurrence "celui de la Nupes", qui a porté la gauche aux législatives de 2022, alors que plusieurs responsables de gauche, comme Olivier Faure (PS), Marine Tondelier (Les Ecologistes-EELV), François Ruffin (LFI) ou Fabien Roussel (PCF), appellent à un "front populaire". Tous les quatre se sont d'ailleurs réunis dès lundi midi, selon les informations de franceinfo, avant même la rencontre proposée par La France insoumise dans l'après-midi.

Les sujets de discorde ne manquent pas entre les insoumis et les autres formations de gauche. Guillaume Garot, député socialiste sortant de la Mayenne, a ainsi déclaré lundi sur France Bleu qu'il refuse de travailler avec La France insoumise, dont il reproche les "outrances". Evoquant l'affaire Quatennens, la députée écologiste Sandrine Rousseau a quant à elle estimé dimanche sur BFMTV que la question de son investiture "se pose".

Semer la zizanie à droite

Pour gagner les élections anticipées, le camp présidentiel mise en outre sur "une coalition centrale, avec tous les députés sortants qui veulent travailler avec nous", explique François Patriat. Concrètement, Stéphane Séjourné, le secrétaire général de Renaissance, par ailleurs ministre des Affaires étrangères, a annoncé lundi sur France Inter que son parti "donnera l'investiture" aux députés sortants, y compris d'opposition, tant qu'ils font "partie du champ républicain" et qu'ils veulent "s'investir dans un projet clair" autour de la majorité présidentielle. Pour l'ancien ministre Clément Beaune, député sortant de la 7e circonscription de Paris, ce "champ républicain" exclut le RN et LFI.

Cette main tendue aux oppositions pourrait semer la zizanie à droite, notamment chez Les Républicains, qui ont légèrement reculé aux européennes, après avoir déjà drastiquement décliné aux élections législatives de 2022. "Il est hors de question d'entrer dans une coalition avec ce pouvoir qui a tant abîmé la France", a écarté Eric Ciotti sur le réseau social X. Critiqué en interne, le président du parti joue la survie de sa formation politique.

La marge de manœuvre pour obtenir de futurs ralliements semble étroite, mais les macronistes en appellent au barrage contre le RN. "Quand il y a un risque d'une élection d'un député du Rassemblement national, qui est notre premier adversaire politique, mais aussi de La France insoumise, il est préférable de voter pour une autre personne, d'une autre formation politique", a défendu Clément Beaune sur franceinfo.

Espérer rassembler au centre

Le bureau exécutif du parti présidentiel doit se réunir mardi à 18 heures pour discuter de cette stratégie et éplucher les circonscriptions. Mais l'appel à un front républicain et les éventuelles faiblesses de LR et de la gauche peuvent-ils suffire pour permettre à Emmanuel Macron de limiter la casse dans les urnes fin juin ? Il faudra aussi que le camp présidentiel parvienne à mobiliser les électeurs, qui étaient près de 54% à bouder le second tour des dernières législatives.

"La dissolution, cela peut susciter un électrochoc face à la montée du RN."

François Patriat, sénateur de Côte-d'Or

à franceinfo

"Mais durant cette campagne des européennes, aucun argument rationnel n'a fonctionné", regrette ce macroniste de la première heure. Fort de sa dynamique européenne (avec 31,37% des voix), le parti de Marine Le Pen va chercher à transformer l'essai lors du scrutin anticipé qu'il a tant appelé de ses vœux durant cette campagne, et qu'il dit avoir anticipé avec un "plan Matignon".

A l'extrême droite, une rencontre doit avoir lieu avec Marion Maréchal, transfuge partie chez Reconquête, qui a obtenu 5,47% des suffrages à la tête de la liste du parti créé par Eric Zemmour. Car le Rassemblement national aura besoin d'élargir son électorat s'il veut faire mieux qu'en 2022. Cette élection lui avait permis de décrocher 89 sièges à l'Assemblée, encore loin de la majorité (289), mais bien au-dessus des prévisions des sondages.

Pour contrer cette montée de l'extrême droite, les macronistes comptent sur le retour en campagne d'Emmanuel Macron. Dimanche, le chef de l'Etat a promis aux Français qu'il avait entendu leurs "préoccupations" et qu'il ne les laisserait "pas sans réponse". Il a aussi prévenu qu'il s'exprimera "dans les prochains jours" pour partager une "orientation", qui aura valeur de programme pour la nouvelle bataille électorale.

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