Récit "J'ai décidé de vous redonner le choix" : le soir où Emmanuel Macron a dissous l'Assemblée nationale

Après le score historique du Rassemblement national aux élections européennes, le chef de l'Etat a pris tout le monde de court dimanche soir en convoquant des législatives anticipées. Une annonce qui a fait basculer la soirée dans une autre dimension.
Article rédigé par Paolo Philippe, Zoé Aucaigne
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Des militants du Rassemblement national lors de l'allocution d'Emmanuel Macron, le 9 juin 2024 à Paris. (DANIEL DORKO / HANS LUCAS / AFP)

"J'ai décidé de vous redonner le choix de notre avenir parlementaire par le vote. Je dissous donc ce soir l'Assemblée nationale." C'est par ces mots qu'Emmanuel Macron, le visage ferme et le ton solennel, a annoncé, dimanche 9 juin, à 21h01, la tenue de nouvelles élections législatives le 30 juin et le 7 juillet prochains. Cette décision "grave, lourde", est la conséquence du score historique du Rassemblement national, dont la liste menée par Jordan Bardella a obtenu 31,37% des suffrages, selon les résultats définitifs publiés lundi matin par le ministère de l'Intérieur.

Un résultat que le chef de l'Etat a largement critiqué pendant sa courte allocution, d'une durée d'un peu plus de cinq minutes, durant laquelle il n'aura eu de cesse de cibler le score de l'extrême droite, "un danger pour notre nation, pour notre Europe, pour la place de la France en Europe et dans le monde". Face à "l'appauvrissement des Français et le déclassement de notre pays", Emmanuel Macron a donc appelé les Français à "choisir d'écrire l'histoire plutôt que de la subir".

Des mines défaites et un sourire

Cette décision choc a fait basculer la soirée électorale. Elle a même obligé TF1, qui avait prévu de rendre l'antenne à 21h15 pour le match France-Canada, à prolonger sa soirée électorale de 15 minutes et diffuser les Bleus en différé. Elle a aussi relégué au second plan les autres enseignements politiques du scrutin : de la défaite cinglante du camp présidentiel et de Valérie Hayer au bon score la liste PS-Place publique emmenée par Raphaël Glucksmann en passant par le net recul des écologistes. Sur France 2, François Bayrou a réagi le premier, évoquant une décision "historique". A ses côtés, des mines défaites, de la stupéfaction et un sourire : celui de Laurent Jacobelli, député RN de Moselle, pour qui cette réponse "est celle que nous attendions".

Car cette dissolution, que Jordan Bardella avait appelée de ses vœux durant la campagne et lors de son discours après l'annonce des résultats, est passée de la rumeur à la réalité entre 20 heures et 21 heures. Après la révélation des estimations des instituts de sondage et les premières réactions aux QG de campagne, la petite musique d'une dissolution a pris de l'épaisseur au fil d'une communication de l'Elysée peu avant 20 heures, annonçant une prise de parole d'Emmanuel Macron dans la soirée, et de petits messages de cadres annonçant "un gros truc".

Les réactions qui s'enchaînent

Le tremblement de terre est donc arrivé à 21 heures. Quinze minutes plus tard, Raphaël Glucksmann est l'un des premiers candidats à réagir. Une heure après s'être présentée tout sourire à son QG, le poing levé, la tête de liste PS-Place publique enrage. "Emmanuel Macron a obtempéré aux exigences de Bardella, rien ne l'y obligeait. (...) C'est un jeu extrêmement dangereux pour la démocratie et les institutions", fulmine l'eurodéputé, qui se dit "estomaqué par un tel comportement" du président de la République.

Une minute après, Marine Le Pen prend la parole depuis le QG du Rassemblement national. Deux salles, deux ambiances : "Nous sommes prêts à exercer le pouvoir si les Français nous font confiance", lance l'ancienne candidate à la présidentielle aux côtés de Jordan Bardella. Sur France 2, la compagne d'Eric Zemmour, Sarah Knafo, élue eurodéputée de Reconquête, anticipe déjà le scrutin et propose au RN des candidatures communes pour les législatives. De son côté, Jean-Luc Mélenchon estime qu'Emmanuel Macron "a eu raison de dissoudre, parce qu'il n'a plus aucune légitimité pour continuer la politique qui est la sienne". La tête de liste de La France insoumise, Manon Aubry, cible aussi le chef de l'Etat, parlant d'une "défaite cinglante" de l'exécutif.

Branle-bas de combat au RN

Dans les différents QG, les prises de parole s'enchaînent et les images se ressemblent. Des militants stupéfaits, quelques pleurs comme au QG de Raphaël Glucksmann, une ambiance plombée à la soirée de campagne de Valérie Hayer, où tout le monde a déjà remballé à 22h30, et... des pas de danse du côté du RN. Au même moment, l'état-major du parti d'extrême droite se réunit pour un bureau exécutif exceptionnel. La scène, captée par les caméras, ressemble étrangement aux conseils de défense du gouvernement. Certains membres de l'exécutif, d'ailleurs, se sont aussi réunis autour du chef de l'Etat. Le Premier ministre Gabriel Attal, qui ne s'est pas exprimé de la soirée, était présent.

Alors que la majorité fait la moue – l'ancienne députée macroniste Valérie Thomas fait part de son "effroi et de sa peur" sur France 2 –, les appels à l'union de la gauche commencent à émerger. Sur BFMTV, le député insoumis François Ruffin plaide pour une "gauche unie" et appelle à ressusciter la Nupes en s'adressant à Marine Tondelier (Les Ecologistes-EELV), Fabien Roussel (Parti communiste français) et Olivier Faure (Parti socialiste). "On a un taré à la tête de l'Etat, [Emmanuel Macron] est un pyromane", s'emporte l'élu amiénois.

Un espoir à gauche

Au même moment, plusieurs rassemblements à l'appel des partis de gauche sont organisés à Paris. La tête de liste Les Ecologistes-EELV, Marie Toussaint, affirme "qu'il va falloir mener la bataille" des élections législatives et qu'elle poussera "pour que la gauche et les écologistes s'allient". A ses côtés, de nombreux militants réunis place de la République enchaînent les slogans hostiles à l'extrême droite, à l'instar de "La jeunesse emmerde le Front national" ou "Nous sommes tous antifascistes".

"Il faut que la gauche sociale reprenne le haut du pavé et qu'on mette un terme au fascisme qui est à nos portes", lance Mimosa, prof de français en Seine-Saint-Denis, interrogé par franceinfo. Au même moment, des militants de La France insoumise qui s'étaient rassemblés à un autre endroit de la capitale arrivent place de la République. Avec un message : "Union populaire."

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