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Vrai ou faux Présidentielle : on a vérifié neuf affirmations de Marine Le Pen dans "Elysée 2022"

Au cours de l'émission politique de France 2, jeudi soir, la candidate du Rassemblement national à la présidentielle a fait quelques déclarations qui ont mérité des vérifications.

Article rédigé par Fabien Magnenou, Alice Galopin
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 15min
La candidate du Rassemblement national Marine Le Pen était l'invitée de l'émission "Elysée 2022", le 3 mars 2022 sur France 2. (CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP)

Guerre en Ukraine, pouvoir d'achat, retraites... Pendant plus de deux heures, Marine Le Pen a défendu ses propositions et ses positions face aux journalistes de France Télévisions dans l'émission "Elysée 2022", jeudi 3 mars sur France 2. Franceinfo a vérifié neuf déclarations de la candidate du Rassemblement national.

>> Les neuf séquences à retenir de l'émission "Elysée 2022" avec Marine Le Pen

L'opposante à Emmanuel Macron au second tour de la présidentielle de 2017 a tenté de se présenter comme la principale adversaire du chef de l'Etat, qui avait officialisé sa candidature quelques minutes plus tôt.

1Les chiffres avancés par Emmanuel Macron dans sa lettre de candidature sont "faux" : à nuancer

"J'ai regardé un petit peu les chiffres qu'il donne sur les emplois industriels. C'est faux. Les chiffres sur le chômage, c'est faux."

Marine Le Pen

dans "Elysée 2022"

Interrogée sur la candidature d'Emmanuel Macron, Marine Le Pen a pointé des erreurs dans la lettre adressée aux Français jeudi soir par le président de la République. Le chef d'Etat y affirme que le chômage a atteint son plus bas niveau depuis quinze ans. C'est vrai selon les chiffres de l'Insee, mais la précarité de l'emploi a également augmenté, notamment en raison d'une hausse des emplois partiels. Ainsi, en prenant les catégories A, B et C, il y a plus de 5,5 millions d'inscrits à Pôle Emploi et deux millions de chômeurs de plus qu'en 2008. 

Dans son texte adressé aux Français, le président français assure également que "notre industrie a pour la première fois recréé des emplois". Après avoir reculé en 2020, l'emploi industriel a effectivement de nouveau augmenté en 2021. Plus de 18 000 emplois industriels ont été créés au cours de cette année, selon les dernières données de l'Insee. Cependant, il reste inférieur à son niveau d'avant-crise sanitaire, avec −1,2% par rapport à fin 2019.

Si on regarde les cinq dernières années, entre début 2017 et fin septembre 2021, plus d'un million d'emplois salariés ont été créés. Le déclin industriel s'est poursuivi avec la perte de 16 000 emplois salariés sur cette période. Toutefois, cette baisse est nettement moins marquée que sur la période précédente (environ 147 000 emplois en moins, entre début 2012 et fin septembre 2016).

2"On a un peu laissé tomber" les accords de Minsk : plutôt vrai

"Cette guerre est un peu la conséquence de l'échec de l'application des accords de Minsk-2, dont la France était la marraine. Il y a un accord qui a été signé, et on l'a un peu laissé tomber."

Marine Le Pen

dans "Elysée 2022"

Questionnée sur la guerre en Ukraine, Marine Le Pen est revenue sur les accords de Minsk, signés en septembre 2014 et en février 2015 entre l'Ukraine et la Russie, sous l’égide de la France et de l'Allemagne. La candidate du RN estime que ce protocole a "été abandonné", ce qui explique "en partie" la réaction de Vladimir Poutine. Cet accord avait mis fin aux affrontements violents de 2014 entre les forces ukrainiennes et les forces séparatistes, dans la partie orientale du Donbass ukrainien. Il contenait plusieurs dispositions, comme un retrait des armes lourdes de part et d'autre de la zone de contact, et une réintégration des deux territoires séparatistes en Ukraine, en échange d'une large autonomie, d'élections libres et de démilitarisation. 

Un an après une rencontre pour consultations des ministres des Affaires étrangères, une réunion des chefs d’Etat et de gouvernement s'est déroulée en 2019. Il y a bien eu des échanges de prisonniers cette année-là et l'année suivante, mais c'est à peu près tout. L'Ukraine considérait qu'il était impossible d'organiser des élections tant que la zone n'était pas démilitarisée, et la Russie a distribué des centaines de milliers de passeports dans ces territoires afin d'y asseoir son influence.

"Moscou préfère une zone d'instabilité permanente et n'a pas grand intérêt à la résolution du conflit", analysait toutefois la chercheuse Anna Colin Lebedev pour franceinfo, avant le début de la guerre. En décembre 2021, alors que l’armée russe se massait aux frontières ukrainiennes, les ministres des Affaires étrangères du G7 avaient de nouveau apporté leur "soutien aux efforts de la France et de l'Allemagne" pour la mise en œuvre de l’accord.

3Un ancien accord garantissait la neutralité de l'Ukraine : à nuancer

"Il y avait un accord passé entre les Etats-Unis, l'Allemagne, la France et la Russie naissante pour que l'Otan ne s'élargisse pas et ne réarme pas des pays proches de la Russie. Et donc que l'Ukraine devait rester, en quelque sorte, une forme de pays qui a une neutralité pour éviter qu'il existe des conflits."

Marine Le Pen

dans "Elysée 2022"

Marine Le Pen est également revenue sur le rôle de l'Otan dans la région. Citant "des documents provenant des Britanniques" révélés par le magazine allemand Der Spiegel, elle a évoqué un "accord" de non-extension de l'Otan passé entre plusieurs pays au tournant des années 1990. Le président russe Vladimir Poutine utilise régulièrement cette "promesse orale" – et une trahision occidentale – pour justifier son intervention militaire. Et ce alors même que l'Otan n'a jamais donné d'avis favorable à une intégration de l'Ukraine.

Cet argument repose sur des déclarations connues et des documents déclassifiés (en anglais). A la chute du mur de Berlin, en 1989, on s'interrogeait sur l'intégration de l'Allemagne de l'Est à l'Otan. Pour convaincre l'URSS, le secrétaire d'Etat américain de l'époque, James Baker, avait assuré à Mikhaïl Gorbatchev que "la juridiction militaire actuelle de l'Otan ne s'étendra pas d'un pouce vers l'Est".  Mais le traité de 1990, finalement, n'interdit pas explicitement l'élargissement.

Par ailleurs, Marine Le Pen a omis un point important : la Russie a, elle, enfreint des promesses écrites contraignantes. Notamment le mémorandum de Budapest, signé en décembre 1994, qui garantissait l'intégrité territoriale de l'Ukraine. Cette promesse a volé en éclats avec l'annexion de la Crimée par Moscou, en 2014. En résumé, expliquait le chercheur David Teurtrie à franceinfo, "les Occidentaux répondent à la Russie : 'Vous dites qu'on a violé un engagement qui n'est présent dans aucun traité, mais vous aviez signé le mémorandum de Budapest, qui garantit l'intégrité territoriale de l'Ukraine'."

4Les Allemands veulent continuer de recevoir du gaz russe : c'est plus complexe

"Les Allemands défendent leurs propres intérêts, et, notamment, ne veulent pas ne plus recevoir de gaz russe."

Marine Le Pen

dans "Elysée 2022"

La candidate RN a estimé que les sanctions économiques n'avaient pas une grande efficacité pour contraindre un pays engagé dans un conflit à cesser les combats. Et que ces décisions entraînaient des conséquences pour les populations, y compris dans les pays ayant prononcé des sanctions. Elle a notamment cité l'exemple de l'Allemagne, très dépendante du gaz russe, et réticente selon elle à couper les importations.

Le ministre allemand de l'Economie, Robert Habeck, a pourtant déclaré jeudi : "Nous devons nous libérer des importations énergétiques russes". Pour cela, le gouvernement a débloqué 1,5 milliard d'euros pour acheter du gaz naturel liquéfié, dont les principaux exportateurs sont les Etats-Unis, le Qatar et l'Australie. Mais le pays n'a pour le moment aucun terminal méthanier sur son territoire pour recevoir les livraisons.

Une situation qui oblige Berlin à faire appel à l'un des 21 terminaux présents dans l'Union européenne, ce qui entraîne des coûts de transport, alors même que le prix du gaz et de l'énergie s'est envolé ces derniers mois. "Il faut construire rapidement nos propres méthaniers GNL en Allemagne, avec les connexions et l'infrastructure nécessaires", a donc conclu le ministre de l'Economie.

5Le gaz est "quatre fois plus cher" depuis le début de la crise ukrainienne : faux 

"Je vois que le gaz est aujourd'hui quatre fois plus cher qu'il ne l'était il y a quelques semaines et que cette situation pourrait encore s'aggraver de manière spectaculaire."

Marine Le Pen

dans "Elysée 2022"

Au cours de l'émission, Marine Le Pen a mentionné les répercussions de la guerre en Ukraine sur l'économie française. Elle affirme notamment que le prix du gaz est "quatre fois plus cher qu'il ne l'était il y a quelques semaines". C'est faux, si l'on en croit les chiffres donnés par le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, mardi sur franceinfo. La France a constaté "une hausse de l'ordre de 10% depuis le début de la crise en Ukraine", a déclaré Bruno Le Maire. "Donc on n'est pas dans une flambée multipliée par deux, par trois ou par quatre", a relativisé le ministre de l'Economie. Pour y répondre, le gouvernement envisage une prolongation du dispositif de bouclier tarifaire "jusqu'à la fin de l'année".

Pour rappel, la France dépend aujourd'hui à 20% du gaz russe. C'est moins que certains de nos voisins. Les importations de gaz russe de l'Allemagne et de l'Italie représentent ainsi près de la moitié de leur consommation.

6Marine Le Pen est la "seule" candidate à proposer un départ à la retraite à 60 ans, avec 40 annuités, pour les travailleurs qui ont commencé avant 20 ans : faux

"Je suis la seule à proposer une retraite qui permette à ceux qui sont entrés dans le monde du travail en-dessous de 20 ans de partir avec 40 annuités, à 60 ans."

Marine Le Pen

dans "Elysée 2022"

Marine Le Pen a assuré être la "seule" candidate à proposer un départ à la retraite à 60 ans, avec 40 annuités, pour les travailleurs entrés sur le marché du travail avant 20 ans. Or le candidat de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, propose un âge légal de départ à la retraite à 60 ans avec 40 annuités de cotisation, indépendamment de l'âge d'entrée sur le marché du travail. De son côté, le candidat communiste Fabien Roussel souhaite instaurer le départ à la retraite à 60 ans "pour une carrière complète allant de 18 à 60 ans", peut-on lire dans son programme.

Marine Le Pen a récemment revu sa position sur ce dossier. Initialement, elle envisageait un départ à la retraite à 60 ans avec 40 annuités pour tous. Une proposition qui avait été critiquée y compris dans son propre camp, certains redoutant une mesure repoussoir pour l'électorat de droite.

Depuis le 17 février, la candidate du RN souhaite finalement un système progressif de départ à la retraite, en réservant la retraite à 60 ans avec 40 annuités aux Français entrés dans la vie active avant l'âge de 20 ans. Pour ceux qui commencent à travailler après 20 ans et jusqu'à 24,5 ans, "un système progressif de 160 à 168 trimestres de cotisations sera mis en place", a-t-elle ajouté, pour un départ entre "60,7 et 62 ans".

7Le pourcentage des dépenses de retraites par rapport au PIB est "soutenable" : à nuancer

"Le pourcentage [du système de] retraites par rapport au PIB est soutenable."

Marine Le Pen

dans "Elysée 2022"

Après avoir détaillé son programme sur les retraites, Marine Le Pen a nuancé le poids des pensions dans l'économie française sur le long terme. "La part des dépenses de retraite dans le PIB a atteint un niveau particulièrement élevé en 2020, à 14,7% de la richesse nationale", mentionne le rapport du Conseil d'orientation des retraites (COR) de juin 2021. Mais il précise plus loin, à la page 9, que les dépenses du système de retraite par rapport au PIB diminueraient sur la période 2030-2070 dans tous les scénarios, "et varieraient ainsi de 11,3 % à 13,0 % à l'horizon de la projection." C'est à cette partie du document que la candidate du RN se réfère. 

Marine Le Pen oublie toutefois la suite. Cette tendance peut surprendre dans un contexte de vieillissement de la population. Mais elle s'explique par deux raisons, explique le COR : d'une part l'augmentation de l'âge de départ à la retraite (de 62,2 ans en 2019 à un peu moins de 64 ans vers 2040, si la loi n'est pas modifiée), les réformes passées et le recul de l'âge d'entrée dans la vie active. Et, d'autre part, une baisse des pensions moyennes par rapport aux revenus d'activité (31-36%, contre 50% actuellement). Des conditions plus dures, donc.

8La dette a augmenté de 600 milliards d'euros sous le quinquennat Macron : vrai

"Le bilan Macron sur le plan budgétaire, [c'est] 600 milliards de dettes supplémentaires en un quinquennat."

Marine Le Pen

dans "Elysée 2022"

La candidate du Rassemblement national a taclé le président de la République sur sa gestion des finances publiques, fustigeant les "600 milliards de dette supplémentaires" pendant le quinquennat. La dette est effectivement passée de 2 231,7 milliards d'euros à la fin du deuxième trimestre 2017, qui correspond au début du quinquennat d'Emmanuel Macron, à 2 834,3 milliards d'euros à la fin du troisième trimestre 2021, selon les dernières données de l'Insee disponibles. Soit 602,6 milliards d'euros de plus.

Ajoutons que le dernier budget de l'Assemblée nationale estime à "680 milliards" d'euros la dette sur l'ensemble sur quinquennat d'Emmanuel Macron. Une partie de ce chiffre s'explique par la crise sanitaire sans précédent qui a frappé la planète. La "dette Covid" s'élève à elle seule à 165 milliards d'euros, relève ainsi la Cour des comptes dans son dernier rapport public annuel (PDF).

9Les émissions CO2 importées représentent 50% de l'empreinte carbone de la France : vrai

"L'empreinte carbone de la France, c'est 50% de nos importations."

Marine Le Pen

dans "Elysée 2022"

Interrogée sur les questions climatiques, Marine Le Pen a dénoncé le poids des échanges internationaux dans les questions environnementales. Elle voulait sans doute dire "50% d'importations", en référence aux effets induits par la consommation sur le climat. Le chiffre évoqué par la candidate RN apparaît bien dans un rapport du Commissariat général au développement durable de janvier 2020 : les émissions importées représentent plus de la moitié de l'empreinte carbone de la France (57% en 2018).

Alors que les émissions intérieures ont diminué de 30% entre 1995 et 2018 (4,8 tonnes équivalent CO2 par habitant en 2018), les émissions importées - pétrole, automobile, électronique, etc. - ont augmenté de 78% (6,4 tonnes équivalent CO2). Face à cette évolution, Marine Le Pen recommande "de changer le système économique mondial avec du localisme et de l'économie circulaire". A demande constante, et en ramenant une partie de la production en France, il faudrait toutefois reporter une partie des émissions importées dans les émissions intérieures.

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