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Manif pour tous, militants catholiques, Veilleurs... Qui défile sous la bannière de "Marchons enfants" pour s'opposer à la PMA pour toutes ?

Dix-sept associations et collectifs se mobilisent dimanche dans les rues de Paris contre le projet de loi relatif à la bioéthique. "Marchons enfants", né cet été, rassemble des mouvements naissants et encore peu actifs, comme des anciens alliés de 2013. Avec un point commun : ils sont tous proches de La Manif pour tous. 

Article rédigé par Valentine Pasquesoone - Jean-Loup Adénor
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 13min
Des manifestants de La Manif pour tous mobilisés devant le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) pour protester contre l'extension de la PMA à toutes les femmes, le 25 septembre 2018 à Paris. (MICHEL STOUPAK / AFP)

Le texte était particulièrement attendu en Conseil des ministres. Ce mercredi 24 juillet 2019, le gouvernement d'Edouard Philippe, après plus de deux ans d'attente, dévoile enfin son projet de loi relatif à la bioéthique. Son article 1er, s'il entre en vigueur, prévoit une réforme sociétale majeure : l'ouverture de l'assistance médicale à la procréation (PMA) à toutes les femmes. 

En ce jour d'été à Paris, la réaction de certains opposants ne tarde pas. La Manif pour tous, l'association qui s'était fait connaître en 2013 lors de la légalisation du mariage homosexuel, entourée de seize autres associations et collectifs, organise une conférence de presse contre le projet de loi. Elle annonce la formation d'un nouveau mouvement, "Marchons enfants", dont la mobilisation prend forme à travers une manifestation organisée à Paris, dimanche 6 octobre. 

Anciens alliés catholiques des manifestations contre le mariage pour tous, jeunes mouvements embryonnaires : qui sont ces acteurs qui, pivotant tous autour de La Manif pour tous, mènent aujourd'hui la bataille contre la PMA pour toutes ? Eléments de réponse. 

Des forces catholiques connues

Dans ses efforts de mobilisation, La Manif pour tous s'appuie sur un allié de poids : les Associations familiales catholiques (AFC). Défilant déjà à ses côtés en 2012 et 2013, les AFC, nées en 1905, revendiquent 30 000 familles adhérentes et près de 350 sections locales en France. Leur rôle ? "Servir et promouvoir la famille à la lumière de la doctrine sociale de l'Eglise", explique Bertrand Lionel-Marie, secrétaire général de cette confédération d'associations conservatrices. À l'échelle locale, chaque AFC a pour but d'aider des familles pour l'éducation de leurs enfants, dans le respect des principes catholiques. "Il y a, par exemple, des groupes de discussion entre mères", relève le politologue Yann Raison du Cleuziou, auteur du livre Une contre-révolution catholique : aux origines de La Manif pour tous. 

Les AFC sont le navire amiral du militantisme catholique. C'est un réseau important de solidarité locale entre familles et, ainsi, un excellent ressort de mobilisation.

Yann Raison du Cleuziou, politologue

à franceinfo

Auprès d'eux se trouve une deuxième force militante du catholicisme conservateur : Alliance Vita. Cette association, opposée au droit à l'avortement et à l'euthanasie, est née juste avant l'adoption des premières lois de bioéthique en 1994. Sa fondatrice n'est autre que Christine Boutin, ancienne ministre du Logement, qui avait déclaré en 2014 que l'homosexualité était "une abomination"

Alliance Vita, aujourd'hui pilotée par l'ancien porte-parole de La Manif pour tous, Tugdual Derville, revendique 20 000 "soutiens réguliers", d'après Le Figaro"Nous produisons de l'information pour le grand public" sur la bioéthique "et avons des services d'écoute et d'aide sur l'infertilité, le handicap, l'avortement", résume Blanche Streb, directrice de la formation et de la recherche au sein de l'association. Alliance Vita anime ainsi sosbebe.org, une plateforme d'information sur l'IVG... plutôt anti-avortement, note Le Monde. Et chaque année, son "Université de la vie" est retransmise en direct dans plusieurs villes. Elle "forme" ses participants aux enjeux de la bioéthique. "Leurs militants sont très bien formés, souligne Yann Raison du Cleuziou. Ce sont des gens qui réfléchissent à la manière de se mobiliser."

Un mouvement "néo-conservateur" 

Un nom moins connu apparaît sous la bannière de "Marchons enfants" : les Eveilleurs d'espérance. Né il y a six ans, ce mouvement a émergé "dans le sillage de La Manif pour tous", raconte l'un de ses fondateurs, Benoît Sevillia. Avec son frère Nicolas, responsable de La Manif pour tous à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), et Pierre Nicolas, ancien directeur de cabinet de Marion Maréchal aujourd'hui en charge de la logistique du mouvement. L'avocat a lancé un mouvement de réflexion "à vocation culturelle", ouvertement "néo-conservateur". 

Nous sommes face à une crise culturelle, identitaire, religieuse et sociale. Les grands bouleversements sociétaux nous inquiètent.

Benoît Sevillia, cofondateur des Eveilleurs d'espérance

à franceinfo

Depuis 2015, les Eveilleurs d'espérance organisent entretiens et débats sur l'identité française, l'Europe ou l'islam. Leurs invités ? Des figures de la droite conservatrice et de l'extrême droite. Patrick Buisson, François-Xavier Bellamy, Philippe de Villiers, Marion Maréchal ou Robert Ménard. Mais aussi, en contradicteurs, Bruno Le Maire et Jacques Attali. Autre intervenant régulier : le polémiste Eric Zemmour, récemment condamné pour "provocation à la haine religieuse" après des propos islamophobes. Sur YouTube, leurs vidéos enregistrent entre trois cents et plusieurs centaines de milliers de vues.

L'opposition à la PMA pour toutes marque un autre combat de l'association. "La Manif pour tous, avec qui nous sommes toujours en lien, nous a informés qu'il y avait le projet d'une grande manifestation le 6 octobre, se remémore Benoît Sévillia. Nous avons tout de suite proposé d'apporter notre soutien." 

Veilleurs, Sentinelles et Gavroches

A Versailles (Yvelines), Benoît Sevillia et Pierre Nicolas ont animé durant trois ans le mouvement des Veilleurs, autre émanation de La Manif pour tous que l'on retrouve dans "Marchons enfants". En 2013, ces militants anti-mariage pour tous organisaient des soirées de "résistance non-violente" dans des espaces publics. Ils y lisaient à voix haute des textes d'écrivains, de philosophes, et "restaient accroupis en silence devant les policiers", se remémore Yann Raison du Cleuziou. Les Veilleurs étaient jeunes, diplômés et issus du scoutisme, poursuit sa consœur Magali Della Sudda, chercheuse au CNRS. Mais "après 2014, le mouvement s'est essouflé."

Ils ne sont pas les seuls à avoir mené des actions de rue contre la loi Taubira, et à réapparaître avec "Marchons enfants". À leurs côtés se trouvent les Gavroches, cette vingtaine de militants vêtus à la manière du personnage de Victor Hugo, rendus visibles en 2013 par des débats et performances musicales en pleine rue. Leur créneau ? "Une défense de la famille traditionnelle, qui va avec une défense de la nation française", analyse pour franceinfo le sociologue Josselin Tricou, spécialiste des questions de genre et de catholicisme. Eux aussi étaient bien moins en vue ces dernières années.

Les Sentinelles, ces manifestants immobiles, debout et en silence devant des institutions publiques pendant la mobilisation contre le mariage pour tous, avaient réussi à maintenir une petite présence dans la rue ces dernières années. Jusqu'en 2017, ils réunissaient chaque semaine quelques dizaines de personnes à Bordeaux (Gironde), d'après Magali Della Sudda. Avec la PMA pour toutes, ces Sentinelles appellent à de nouvelles "veilles".  

Des juristes et des maires 

VigiGender, le collectif de parents opposé à une supposée "théorie du genre" à l'école, lui aussi fondé par un proche de La Manif pour tous en 2013, fait partie intégrante de "Marchons enfants". Il compte aujourd'hui "une vingtaine de personnes très vigilantes" dans plusieurs régions, d'après sa coordinatrice, Esther Pivet. Et c'est notamment grâce à l'association Juristes pour l'enfance, née en 2008, qu'il a rejoint le collectif anti-PMA. 

Ces juristes, avec l'Institut famille et République (IF&R), constituent au sein de "Marchons enfants" "des universitaires produisant de l'expertise sur les conséquences qu'ils considèrent comme néfastes" du projet de loi de bioéthique, décrypte le politologue Yann Raison du Cleuziou. A la tête de l'IF&R, on trouve Guillaume Drago, professeur en droit public à l'université Paris 2 Panthéon-Assas, mais également membre du conseil scientifique de l'ISSEP, l'école fondée par Marion Maréchal.

Quant aux Juristes pour l'enfance, leur porte-parole, la maître de conférences en droit privé Aude Mirkovic, est elle aussi une ancienne figure de La Manif pour tous (mais aussi du rock identitaire, d'après Mediapart). L'objectif de son association : proposer et recueillir de l'expertise sur les droits des enfants, pour "faire des propositions juridiques aux politiques", précise la porte-parole. Mais aussi agir en justice. En 2015, l'association a demandé le rejet d'une demande d'adoption d'un enfant né d'une PMA à l'étranger, rappelle La CroixElle s'oppose fermement à l'adoption par des couples de même sexe, ou encore au don de gamètes. 

En fin d'année dernière, nous avons lancé un recours contre l'Agence de la biomédecine, qui menait une campagne de promotion du don de gamètes.

Aude Mirkovic, porte-parole de Juristes pour l'enfance

à franceinfo

Juristes pour l'enfance revendique aujourd'hui quelque 250 membres, "pas tous actifs". "On est vraiment une association de niche", concède Aude Mirkovic.

À ses côtés au sein de "Marchons enfants", comme lors de La Manif pour tous : le collectif des Maires pour l'enfance. Ce mouvement, né en 2005 après le premier mariage gay célébré France, à Bègles (Gironde), réunit des maires et adjoints opposés au mariage et à l'adoption par des couples gays et lesbiens. En 2012, il revendiquait quelque 20 000 soutiens, affirme son porte-parole, Franck Meyer. Et aujourd'hui ? "Nous n'avons pas refait de pointage depuis 2012", répond le maire centriste de Sotteville-sous-le-Val. "Nous continuons surtout une bataille juridique" avec l'objectif de "défendre la liberté de conscience des maires", souligne-t-il. Autrement dit, leur liberté de refuser de célébrer un mariage homosexuel. Le collectif a, entre autres, saisi la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) sur ce point. 

De nouveaux opposants à la PMA pour toutes

Sur la liste de "Marchons enfants", on trouve en parallèle le Collectif pour le respect de la médecine, la Fédération nationale de la médaille de la famille française ou l'Agence européenne des adoptés. Les membres de l'association Les familles plumées, repérées en 2014 pour leur combat contre la modulation des allocations familiales selon les revenus, n'étaient plus vraiment actifs depuis 2016 mais ils défileront aussi dimanche. Mais quel est le lien entre allocations familiales et bioéthique ? "On s'interroge sur la pertinence du remboursement par la Sécurité sociale de la PMA", justifie auprès de franceinfo le porte-parole du collectif, Didier Leprince-Ringuet. Ce dernier, membre d'un bureau des associations familiales catholiques dans les Yvelines, a rejoint "Marchons enfants" par ce biais.

Mais on y croise aussi de plus jeunes mouvements, nés depuis à peine un an. C'est le cas de Trace ta route, qui rassemble une poignée d'étudiants et jeunes actifs autour d'une devise : "Le droit d'avoir un père et une mère". Ces militants organisent des courses-relais, comme celle menée à Bordeaux en juin dernier, qui n'a cependant réuni qu'une dizaine de personnes. Autres nouveaux parmi les anti-PMA pour toutes : La Voix des sans père ou encore Générations avenir, un collectif d'une douzaine de jeunes, lancé cette année avec la campagne "Grâce à mon père".

"On a fait cette campagne en sachant évidemment que, dans les prochains mois, la loi de bioéthique allait arriver", relate auprès de franceinfo son président, Bastien Uranga, qui avait lui aussi défilé avec La Manif pour tous en 2013. "On a voulu mettre l'accent sur l'importance de la filiation père-fils et père-fille", et ainsi dénoncer une "PMA sans père", ajoute-t-il.

Il y a moins de dix jours, un dernier collectif, plus éloigné, a rejoint le mouvement. Il s'agit des Poissons roses, "une plateforme de réflexion de chrétiens de gauche", née en 2010 pour "redonner une dimension spirituelle au Parti socialiste", d'après son président, Patrice Obert. Il revendique aujourd'hui une centaine d'adhérents.

"En juillet, notre conseil n'était pas d'accord pour signer, reconnaît Patrice Obert auprès de franceinfo. Et puis, nous avons écouté la façon dont l'examen de la loi [de bioéthique] était menée, et nous avons fini par nous dire qu'il valait mieux participer, poursuit-il. Il ne faut pas laisser le monopole de cette manifestation à des gens de droite."

Ces nouveaux acteurs viendront garnir les rangs d'une mobilisation à l'ampleur encore inconnue. Les profils qui défileront derrière "Marchons enfants" ont beau être multiples, il est encore difficile d'en estimer le nombre et la portée. Yann Raison du Cleuziou rappelle que, aujourd'hui, par rapport à la mobilisation de 2013 contre le mariage pour tous, "ceux qui restent, ce sont les militants les plus actifs, les plus convaincus". La taille du cortège de dimanche permettra d'en savoir un peu plus sur la capacité de ce mouvement à peser dans un débat appelé à durer, au moins, jusqu'à la fin de l'hiver.

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