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PMA pour toutes les femmes : la Manif pour tous peut-elle remobiliser ses troupes de 2013 contre la loi de bioéthique ?

Article rédigé par franceinfo - Jean-Loup Adénor
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10 min
Ludovine de la Rochère, présidente de la Manif pour tous, le 25 septembre 2018 à Paris.  (OLIVIER DONNARS / NURPHOTO / AFP)

Regroupés dans une vingtaine d'associations, les anti-PMA espèrent initier un important mouvement opposé au projet du gouvernement. Pourtant, la situation de 2019 est très loin d'être celle de 2013. Voici pourquoi.

"On a le sentiment qu'ils n'y croient plus eux-mêmes." Quand il évoque la Manif pour tous, Charles*, un jeune étudiant parisien qui, en 2013, a défilé avec ses parents contre l'ouverture du mariage aux couples homosexuels, ne mâche pas ses mots. "Ils n'ont tout simplement pas accepté d'avoir perdu le combat", estime-t-il. Il ne répondra pas, six ans plus tard, à l'appel de Marchons enfants !, ce collectif porté par la Manif pour tous et qui réunit une vingtaine d'associations opposées à l'ouverture de la PMA aux couples de femmes et aux femmes seules. Elles organisent, le 6 octobre, une manifestation contre le projet de loi de bioéthique proposé par le gouvernement. "Je trouve ça inutile maintenant que la loi sur le mariage est passée. Il faut avancer sur d'autres combats, ne pas se perdre sur les mêmes thématiques", juge le jeune homme, pour qui la Manif pour tous cherche à "cliver" à tout prix.

Une mobilisation de l'ampleur de celle contre le mariage pour tous est-elle possible ? De novembre 2012 à mai 2013, le mouvement avait multiplié les manifestations, parvenant à réunir plusieurs centaines de milliers de personnes à Paris et en province. Ludovine de La Rochère, présidente de la Manif pour tous, veut croire à un nouveau succès. "La question de la 'PMA sans père pour l'enfant' n'est pas une question religieuse, elle concerne tous les Français, nous martèle-t-elle. Il s'agit d'une grande injustice pour les enfants et d'une remise en cause des pères. Je pense qu'il y a une opposition très large. Nous voyons bien les milliers de messages et d'interpellations que nous recevons, qui montrent à quel point les gens sont inquiets, choqués." Côté chiffres pourtant, difficile de prévoir un raz-de-marée rose et bleu.

Des catholiques conservateurs divisés

Car sur le papier, le compte n'y est pas. Aujourd'hui, 65% des Français sont favorables à la PMA pour les couples de femmes, soit 10 points de plus qu'en 2014, selon un sondage BVA publié en avril. Et même parmi les catholiques, pas sûr que le sujet mobilise autant que le mariage pour tous. "Le catholicisme conservateur est divisé", note Yann Raison du Cleuziou, maître de conférences, chercheur et auteur d'Une contre-révolution catholique : aux origines de la Manif pour tous. Le sociologue caractérise en effet trois positions parmi les catholiques conservateurs. D'abord, ceux qui n'abandonnent pas, au chant d'"on ne lâche rien". Ils tentent d'ailleurs de rallier la cause écologiste en parlant d'"écosystème familial" ou de "dérèglement bioéthique".

L'écologie, c'est aussi savoir ce qu'on fait du vivant, ce qu'on fait des outils médicaux, de l'être humain de demain.

Ludovine de La Rochère, présidente de la Manif pour tous

à franceinfo

Viennent ensuite ceux qui considèrent que la Manif pour tous a échoué parce que le mouvement n'a pas réussi à se radicaliser. "Cette tendance-là a regardé avec intérêt ce qui s'est passé avec les 'gilets jaunes'. Ses tenants considèrent que ce mouvement leur donne raison, car ils étaient moins nombreux [que la Manif pour tous] dans la rue et ont pourtant obtenu que le gouvernement recule sur un certain nombre de sujets", explique Yann Raison du Cleuziou. Parmi ces militants, certains ont ainsi tenté de se faire une place dans ce mouvement social en créant les "Gilets jaunes catholiques".

Enfin, un troisième courant estime qu'il ne faut pas limiter le discours catholique aux seules questions bioéthiques. "Certains militants, très actifs lors de la Manif pour tous, ont aujourd'hui une ligne beaucoup plus nuancée, beaucoup plus en faveur d'une mobilisation autre. Ils sont pour un redéploiement et l'élargissement de la proposition catholique", détaille le chercheur. Or, rappelle-t-il, en 2013, ces trois courants étaient rassemblés. "Le catholicisme conservateur est divisé, ce qui laisse présager une démobilisation relative", prédit Yann Raison du Cleuziou.

"L'épiscopat a les scandales de pédophilie à gérer"

La mobilisation de la frange catholique des anti-PMA est d'autant moins évidente que, pour beaucoup, le souvenir de 2013 est loin d'être agréable. La Manif pour tous n'a mobilisé qu'une partie des catholiques, suscitant dans le même temps beaucoup de défiance, y compris chez les pratiquants. "Ces catholiques, minoritaires et plus conservateurs, ont crispé toute une partie de l'opinion catholique", explique Yann Raison du Cleuziou.

C'est ce que nous ont confirmé certains croyants, laïcs ou clercs. "En 2013, l'Eglise s'est vu confisquer la parole par un groupe de militants qui nous a représentés dans les médias", regrette le diacre Augustin Grillon, qui a depuis été chargé de créer un groupe diocésain de dialogue entre personnes homosexuelles catholiques, dont "l'objectif est de panser les blessures". "En 2012-2013, presque un catholique sur deux en France se prononce pour le mariage homosexuel, rappelle Christine Pedotti, écrivaine, journaliste et directrice de la rédaction et de la publication de Témoignage chrétien. Leurs voix sont totalement occultées, alors que cette statistique reste stable sur toute la période : la Manif pour tous n'y a rien changé."

Paradoxalement, au moment de la Manif pour tous, beaucoup de catholiques ont compris qu'on ne pouvait plus attaquer l'homosexualité, que c'était un fait social, qu'il fallait redéployer leur discours autrement.

Yann Raison du Cleuziou

à franceinfo

"Personnellement, j'ai arrêté d'aller à la messe à cette période-là. Il faut dire qu'à la sortie des églises, on distribuait des tickets de bus pour pousser les catholiques à aller manifester à Paris, confie Christine Pedotti. Cette fois-ci, l'épiscopat a plutôt l'intention de faire profil bas. Il n'a pas l'air prêt à partir au combat et les derniers scandales de pédophilie l'occupent encore beaucoup."

Une analyse confirmée par un prêtre parisien qui estime que "l'année a été suffisamment difficile. Certains se rendront peut-être à la manifestation à titre personnel, mais de là à appeler à défiler…" L'épiscopat français a déjà transmis son argumentaire aux députés par le biais de l'aumônerie catholique du 7e arrondissement de Paris. Les évêques ont également signé à l'unanimité, fin 2018, une déclaration s'opposant fermement à l'extension du droit à la PMA. "Ils vont protester, ils vont tenir des propos publics… Mais ils ont les scandales de pédophilie à gérer. C'est une vraie crise d'appareil, les évêques ne bénéficient pas vraiment d'un grand crédit médiatique en ce moment", décrypte Yann Raison du Cleuziou.

A droite, liberté de vote et d'expression

Sur le plan des soutiens extérieurs, la Manif pour tous de 2019 manque également d'un appui de taille : celui des politiques. "C'est peu connu, mais ce qui a fait le succès numérique de la Manif pour tous, c'est le soutien de la droite qui a pris la balle au bond, y voyant une façon de structurer l'opposition à François Hollande, rappelle Yann Raison du Cleuziou. Cela a beaucoup joué dans le fait de rassembler un public plus large. Aujourd'hui, la droite est beaucoup moins mobilisée." Une analyse que ne partage pas la présidente de la Manif pour tous.

L'opposition à François Hollande n'a jamais été le sujet. Lors des premières manifs, en novembre 2012, il n'y avait pas un seul politique mais déjà énormément de monde. Les politiques ont bien rejoint un mouvement populaire et citoyen.

Ludovine de La Rochère

à franceinfo

Le chef des députés Les Républicains (LR), Christian Jacob, a déjà prévenu ses troupes : il y aura sur ce sujet une "liberté totale de vote et d'expression". Un certain nombre de députés LR pourraient d'ailleurs choisir d'approuver la loi de bioéthique. Cinq d'entre eux, dont l'élu de l'Oise Maxime Minot, se sont même fendus d'une tribune, en octobre 2018, pour refuser "d'être enfermés dans une posture hostile au progrès". Certaines figures du parti affichent à l'inverse leur opposition au projet de loi. C'est le cas du député européen et ex-tête de liste LR, François-Xavier Bellamy, qui a annoncé vendredi 30 août sur franceinfo qu'il participerait à la mobilisation du 6 octobre.

Frigide Barjot, l'icône déchue

Par ailleurs, si la Manif pour tous a connu un tel succès en 2013, c'est aussi grâce à la figure de Virginie Tellenne, alias Frigide Barjot"Frigide Barjot, qui avait anticipé les accusations d'homophobie à l'égard des catholiques, ne collait pas au cliché que l'on peut s'en faire, explique Yann Raison du Cleuziou. Elle a porté plus loin que chez les seuls catholiques en prenant une posture qui consistait à dire 'il faut reconnaître l'amour homosexuel, mais pas avec le mariage'. Elle a réussi un coup médiatique."

Interrogée, l'ex-Frigide Barjot, qui veut aujourd'hui être appelée par son vrai nom, affirme être empêchée de s'exprimer le 6 octobre. "Comment voulez-vous mobiliser des gens quand vous ne mettez pas sur le podium les mêmes personnes que celles qui ont mis, en 2013, un million de personnes dans la rue [300 000 selon la police] ? s'indigne-t-elle. Ce n'est pas Ludovine de La Rochère qui a mis un million de personnes dans la rue. Elle a fait ce qu'elle sait faire : organiser."

On s'est servi de ce rassemblement populaire pour créer des réseaux politiques et administrer les votes des gens. Aujourd'hui, il y a une manipulation antidémocratique qui est extrêmement grave.

Virginie Tellenne, ex-Frigide Barjot

à franceinfo

Le hic, c'est que Virginie Tellenne défend une position tout à fait différente de celle de la Manif pour tous. Avec son association L'Avenir pour tous, elle milite aujourd'hui pour la mise en place d'une "procréation naturellement assistée". En clair, le cumul d'une filiation biologique entre les parents géniteurs et d'un statut parental des parents d'intention, les "parents éducateurs". Ce système, plutôt novateur en France, ouvrirait la parentalité aux couples homosexuels tout en préservant, sur l'acte de naissance et dans la vie de l'enfant, un lien avec le parent géniteur. Une coparentalité très éloignée des revendications de ses anciens camarades.

"Ce que propose Frigide Barjot n'est pas du tout acceptable, balaie d'un revers de main Ludovine de La Rochère. C'est un bidouillage… Quels hommes vont accepter cette situation ? C'est instaurer l'idée qu'un enfant va commencer sa vie avec des parents d'un côté et de l'autre." La présidente de la Manif pour tous assure néanmoins que l'ex-égérie du mouvement est la bienvenue à la manifestation du 6 octobre à condition, bien sûr, de défendre une ligne anti-PMA.

Un durcissement de la ligne ? 

Pour Virginie Tellenne, c'est hors de question. "La Manif pour tous de Ludovine de La Rochère et toutes les associations du 6 octobre sont sur la même ligne, la ligne de l'Eglise, dénonce-t-elle. La Manif pour tous, ce n'est plus la Manif pour tous aujourd'hui. Celle que nous avions montée était plurielle et démocratique. Elle représentait une pluralité de points de vue citoyens et non pas des réseaux institutionnels de l'Eglise. Aujourd'hui, c'est une manif avec un seul représentant qui dit la même chose : 'Pas d'enfant pour les gens qui ne sont pas dans un couple hétérosexuel traditionnel.'"

La Manif pour tous de 2019 est-elle sur une ligne plus dure que celle de 2013 ? A en croire sa présidente, pas vraiment. "Frigide Barjot, elle est extraordinaire… ironise Ludovine de La Rochère. Elle a commencé à défendre l'union civile homosexuelle coparentale une fois seulement que la loi a été votée. Elle réécrit, réinvente, réimagine chaque jour l'histoire de la Manif pour tous."

Pour Yann Raison du Cleuziou, "il y a eu un durcissement de la ligne, tout simplement parce qu'ils ont perdu le bras de fer de 2013. Ils ont perpétué le mouvement et ceux qui restent, ce sont les militants les plus actifs, les plus convaincus." Alors que reste-t-il des mobilisations de 2013 ? Aujourd'hui, avant tout une "marque politique", analyse le chercheur. "C'est une mobilisation très importante dans l'histoire de la Ve République. Ses porte-parole officiels peuvent réveiller cette menace d'un mouvement social long, intense, qui a très profondément parasité l'action du gouvernement de François Hollande." C'est une des raisons pour lesquelles la manifestation du 6 octobre est si importante pour le mouvement anti-PMA. Car pour continuer à capitaliser sur cette image héritée de 2013, encore faut-il que la Manif pour tous puisse prouver sa capacité intacte à mobiliser.

* Le prénom a été changé 

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