L'article à lire pour tout comprendre du projet de loi de bioéthique
C'est l'un des dossiers chauds de la rentrée du gouvernement. Une réforme technique, qui était aussi l'une des rares promesses sociétales d'Emmanuel Macron lors de sa campagne présidentielle.
Procréation médicalement assistée (PMA) ouverte à toutes les femmes, séquençage de l'ADN, recherches sur l'embryon... Les députés bouclent, mardi 15 octobre, l'examen du projet de loi de bioéthique par un vote solennel qui, sauf coup de théâtre, devrait approuver la réforme en première lecture, avant son arrivée au Sénat.
Fort de trente-deux articles, ce texte déborde largement du cadre de la seule PMA et s'intéresse à de nombreuses questions médicales et scientifiques. Voici tout ce qu'il faut savoir sur le projet de loi de bioéthique, qui annonce encore des débats tendus en cette fin d'année 2019, tant dans la société civile qu'au Palais du Luxembourg, où le texte est attendu cette semaine.
La bioéthique, c'est quoi ?
Le terme bioéthique désigne l'étude des problèmes moraux que soulève la recherche scientifique, et particulièrement les progrès technologiques en médecine et en génétique. Ces évolutions, qui peuvent donner lieu à des dérives, posent la question de l'encadrement par le droit. Avant 1994, des recommandations étaient émises par le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) mais n'étaient soumises à aucune législation. Aussi surprenant que cela puisse paraître, tout était donc autorisé sur les questions de bioéthique. C'est avec une loi de 1994 que le législateur a mis en place le premier cadre juridique, imposant un grand nombre d'interdits. Depuis, tous les cinq ans, ces lois de bioéthique sont révisées afin d'autoriser de nouvelles pratiques en France.
Selon Jean-Louis Touraine, rapporteur LREM du projet de loi de bioéthique et auteur du rapport sur lequel s'est appuyé le gouvernement, si le législateur autorise petit à petit ces nouvelles pratiques, c'est parce que les pouvoirs publics se sont aperçus "que ces interdictions allaient trop loin. Autour de nous, les pays qui n'avaient pas procédé ainsi ont connu de grands progrès pour les malades et on s'est rendu compte qu'il fallait légaliser un certain nombre de choses", explique-t-il à franceinfo.
Cinq ans après la dernière révision de la loi de bioéthique, les députés ont donc été à nouveau appelés à se prononcer sur de nouvelles modifications. Au terme de plus d'un mois de travail, et l'étude de 4 600 amendements, les députés doivent voter mardi après-midi la version finale de ce texte.
Et la PMA alors ?
La procréation médicalement assistée (PMA) est un ensemble de techniques destinées à permettre à des couples inféconds d'avoir des enfants. Après d'âpres débats, les députés ont validé la mesure phare de ce projet de loi : l'ouverture de cette technique, réservée aujourd'hui aux couples hétérosexuels, à toutes les femmes. La nouvelle loi ajoute les mentions "tout couple formé de deux femmes" et "toute femme non mariée" à la liste des personnes autorisées à accéder à la PMA. Tout en supprimant, purement et simplement, la condition d'infertilité mentionnée dans la version originale du texte. La prise en charge par l'Assurance-maladie est maintenue et étendue à toutes les femmes qui y auront recours.
L'ouverture de la procréation médicalement assistée s'accompagne de changements importants. Le premier d'entre eux : l'établissement de la filiation. Le projet de loi met en effet en place un mode de filiation pour les couples lesbiens en cherchant un difficile compromis : éviter les dispositifs discriminatoires, sans pour autant bouleverser le droit de la filiation. "L'accouchement de l'une des deux femmes est la condition de l'établissement de la filiation, et la reconnaissance conjointe est la condition pour le double lien de filiation maternelle", a expliqué jeudi 3 octobre la ministre de la Justice, Nicole Belloubet. Les couples lesbiens devront donc passer par une reconnaissance anticipée de l'enfant devant notaire, comme peuvent le faire les couples hétérosexuels non mariés.
Corrolaire abordé dans le projet de loi : l'incontournable question de l'accès aux origines. Cette réforme de la bioéthique prévoit un système garantissant aux enfants nés d'une technique de procréation médicalement assistée un accès à leurs origines. Désormais, les donneurs de gamètes devront accepter qu'à 18 ans, ces enfants nés de leur don puissent avoir accès aux informations du donneur (âge, caractéristiques physiques, voire identité). Il s'agit notamment de pouvoir garantir l'accès aux informations génétiques du donneur, afin d'être averti d'un risque de maladie. Pour donner ses gamètes désormais, il est donc obligatoire d'accepter cette transmission d'informations.
Enfin, la loi légalise l'autoconservation des gamètes, aujourd'hui extrêmement restreinte en France. Hommes comme femmes pourront donc faire conserver leurs gamètes dans les centres de PMA, pour un usage ultérieur. Des conditions d'âge limite pour procéder à cette conservation seront néanmoins posées par décret afin d'éviter de créer un effet incitatif.
N'est-il question que de la PMA dans ce projet de loi ?
Non, loin de là ! Si la PMA est mise en avant à la fois par les partisans et par les détracteurs du projet, le texte de loi comporte trente-deux articles qui concernent d'autres domaines : les greffes d'organes, la génétique et l'intelligence artificielle, les cellules souches embryonnaires... Le projet de loi encadre des pratiques qui se développent, desserre les freins de la recherche sur certains sujets ou tente de faciliter les soins médicaux.
Sur ce dernier point, le projet de loi de bioéthique cherche à développer le don d'organes croisé. En clair : une personne souhaite donner un organe à un proche, mais n'est pas compatible avec lui. Un autre donneur souhaite également donner à un proche, mais n'est pas non plus compatible avec lui. Ces deux paires de donneur/receveur seront croisées, de façon anonyme, lorsqu'elles sont compatibles entre elles. La nouvelle loi propose même d'aller plus loin, en développant de véritables "chaînes de don", impliquant plusieurs paires donneur/receveur, comme ce qui se pratique dans les pays anglo-saxons. Le nombre maximal de paires donneur/receveur doit être fixé par décret.
Sur la question de la recherche sur les cellules souches embryonnaires, le texte allège la procédure d'autorisation, les médecins et les chercheurs pourront donc les utiliser en informant l'Agence de biomédecine de leur protocole, plutôt qu'en leur faisant une demande de dérogation, beaucoup plus complexe. L'article 14 distingue notamment les cellules souches embryonnaires et les embryons, pour lesquels des demandes d'autorisation resteront nécessaires. En cas de pratiques contraires à l'éthique, l'Agence de biomédecine pourra mettre un terme à l'usage de ces cellules souches. Ces recherches ne peuvent se faire au-delà du quatorzième jour de développement de l'embryon.
Enfin, la question de l'intelligence artificielle est aussi abordée, quoique de façon encore assez superficielle. "Il s'agit plutôt de prendre date pour l'avenir, explique à franceinfo le rapporteur du projet de loi. Il faut rappeler à tous que ces machines doivent rester au service de l'homme et que l'algorithme ne doit pas décider de tout. La responsabilité doit toujours être celle de l'humain derrière la machine."
Qui est favorable au texte ?
Selon un sondage Ifop pour CNews et Sud Radio publié en septembre, 68% des Français sont favorables à l'ouverture de la PMA aux femmes non mariées et 65% des Français sont pour son ouverture aux couples de femmes, soit dix points de plus qu'en 2014. Il s'agit par ailleurs d'une revendication de longue date des associations LGBT+, qui militent pour l'égalité des couples devant la parentalité et la filiation. Ces mêmes associations critiquent néanmoins un projet de loi minimaliste. C'est notamment le cas de l'Inter-LGBT, qui a défilé à la Marche des fiertés sous ce slogan : "Filiation, PMA : marre des lois a minima !"
Les reproches adressés au texte par les associations LGBT+, auditionnées par l'Assemblée nationale le 24 août, visent l'interdiction faite aux hommes transgenres ayant conservé leur appareil reproducteur féminin d'avoir recours à la procréation médicalement assistée. "Dans la vie civile, seule l'identité civile déclarée compte. Une personne née femme déclarée homme à l'état civil, même en ayant gardé son appareil reproducteur féminin, sera considérée comme un homme. Il n'aura pas accès à la PMA", avait déclaré la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, le 9 septembre devant la commission chargée du projet de loi, suscitant l'ire des associations LGBT+.
Le gouvernement a également rendu un avis défavorable aux amendements qui visaient à autoriser la méthode Ropa, qui permet aux couples de femmes de partager la maternité : l'une fait un don d'ovocyte à sa compagne qui porte l'enfant après fécondation par un gamète masculin. Une technique jugée trop proche d'un "don dirigé", voire d'une gestation pour autrui (GPA), selon la ministre de la Santé. "C'est totalement contraire à notre éthique d'anonymat. Nous n'avons aucun moyen de contrôler le caractère contraint du don", avait-elle notamment déclaré.
Les associations de défense des familles homoparentales reconnaissent néanmoins avoir été "écoutées" par les députés de la commission parlementaire. "Le niveau des débats était plus élevé qu'en 2013, lors des auditions sur l'ouverture du mariage aux personnes homosexuelles. On voit qu'une étape a été franchie dans la connaissance et la reconnaissance des familles homoparentales. On est allés directement sur des questions juridiques", explique à franceinfo Nicolas Faget, porte-parole de l'Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL).
Qui s’y oppose ?
Une vingtaine d'associations, réunies derrière La Manif pour tous, dénoncent les mesures retenues dans ce projet de loi de bioéthique, et particulièrement l'ouverture de la PMA. Certains de ces opposants ont également été auditionnés, le 27 août, par la commission parlementaire chargée d'étudier le texte.
Ces associations demandent le "maintien du statu quo, c'est-à-dire d'une procréation médicalement assistée pour les couples concernés par une pathologie, un problème médical et qui, par conséquent, évite de créer délibérément des enfants privés de père", déclare à franceinfo Ludovine de la Rochère. Elles réclament donc le retrait pur et simple de la mesure phare de ce projet de loi. La présidente de La Manif pour tous assure que l'association reçoit "des milliers de messages et d'interpellations qui montrent à quel point les gens sont inquiets et choqués".
D'autres oppositions existent, en dehors du groupe porté par La Manif pour tous. C'est le cas notamment de Virginie Tellenne, ex-Frigide Barjot, qui a créé son propre mouvement, baptisé "Avenir pour tous". Elle propose un système radicalement différent de celui défendu par le gouvernement, une "union coparentale" qui consiste à "faire appel à des personnes qui vont les assister dans la procréation. Cette coparentalité maintient la filiation biologique de l'enfant sur son acte de naissance, mais prend en compte les parents éducateurs sur le livret de famille." Une pluri-parentalité, donc, organisée par contrat entre le ou les géniteurs et les parents d'intention.
Une journée de mobilisation a été organisée, dimanche 6 octobre, à l'appel de La Manif pour tous et des associations partenaires. Parmi elles, l'Alliance Vita, créée par Christine Boutin pour lutter contre l'avortement, les associations de familles catholiques, les Veilleurs, ou encore VigiGender. Autant d'associations proches des milieux catholiques conservateurs. Bilan : un peu moins de 75 000 personnes mobilisées, selon le cabinet indépendant Occurrence, 40 000 selon la préfecture de police et... 600 000 selon les organisateurs.
La loi est-elle définitivement adoptée ?
Pas encore ! Ce texte n'est qu'au début du processus législatif. Après son long examen en commission et après la discussion et le vote de l'Assemblée nationale, le projet de loi de bioéthique doit désormais naviguer jusqu'au Sénat, à majorité Les Républicains (LR). Si, à l'Assemblée, le doute n'a jamais vraiment été permis quant à son adoption finale, le Palais du Luxembourg devrait vraisemblablement être une étape plus éprouvante.
Et pourtant, quelle que soit l'aprêté des débats sénatoriaux, les députés de l'Assemblée nationale auront bel et bien le dernier mot. Et parmi ceux-là, on trouve les députés de la majorité, quasi unanimement favorables au texte. Chez les députés de gauche aussi, le texte trouve un très fort soutien, même si l'on regrette de n'avoir pu le pousser plus loin. Et même chez LR, qui devrait tout de même voter majoritairement contre, certains députés ont apporté leur soutien au projet de loi du gouvernement.
Le travail parlementaire étant avant tout une négociation de longue haleine, il ne faut pas s'attendre à voir ce texte définitivement voté avant "le début de l'année prochaine", prévient Jean-Louis Touraine, le rapporteur LREM du projet de loi.
J’ai eu la flemme de tout lire, vous pouvez me faire un résumé ?
Le projet de loi de bioéthique présenté en septembre ouvre la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes et aux femmes célibataires. Mais il touche aussi à des domaines aussi vastes que la recherche sur les embryons, l'intelligence artificielle ou le don d'organes. L'ouverture de la PMA va, quant à elle, avoir des incidences importantes sur l'établissement de la filiation, l'accès aux origines des personnes nées d'un don, ou encore la conservation des ovocytes pour les femmes.
Parmi les personnes favorables au projet, chez les associations LGBT+ et de familles homoparentales, on déplore néanmoins le maintien de cette interdiction aux hommes transgenres ou le refus de méthodes de PMA permettant un partage de la maternité entre les deux femmes du couple. Si, selon une étude récente, 65% des Français sont pour l'ouverture de la PMA, une frange plus traditionaliste et conservatrice, incarnée par La Manif pour tous, réclame le retrait de la principale mesure de ce projet de loi. Ils sont pour l'instant parvenus à réunir près de 75 000 personnes à Paris, loin de la vague rose et bleue de 2013.
Ces résistances n'ont pas vraiment de quoi inquiéter le gouvernement et les députés de la majorité, qui estiment que cette réforme sera adoptée au début de l'année 2020, après un long processus parlementaire.
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