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Coronavirus : quatre signes de l'impuissance de l'Union européenne face à l'épidémie de Covid-19

Institutions attentistes, désaccords entre pays du Nord et du Sud, vols de masques entre Etats… Face au coronavirus, l'Union européenne se montre incapable de parler d'une même voix.

Article rédigé par franceinfo
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
La réunion du conseil européen du 26 mars, regroupant les chefs d'Etat et de gouvernement de l'UE, s'est tenue par visioconférence en raison de l'épidémie de coronavirus. (PALAZZO CHIGI PRESS OFFICE / AFP)

La crise sanitaire provoquée par le coronavirus met l'Union européenne face à ses faiblesses. Elle semble plus que jamais démunie au regard des défis immédiats posés par le Covid-19 et de ses conséquences économiques.

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Cette crise confronte aussi l'Union européenne à un problème structurel : elle ne dispose que d'une "compétence d'appui" en matière sanitaire. "Elle ne peut pas fermer les écoles, suspendre des matchs de football ou mettre des villes en lockdown", illustre Alberto Alemanno, professeur de droit à HEC, cité par Slate. En matière de santé publique, "l'action de l'Union (...) complète les politiques nationales" et "encourage la coopération entre les Etats membres", selon l'article 168 du traité sur le fonctionnement de l'UE. Les Etats membres sont donc libres de s'organiser comme ils le souhaitent, au risque de révéler de profonds désaccords.

Tour d'horizon des signes de l'impuissance européenne face au Covid-19.

1Un retard à l'allumage face au drame italien

"Je vous présente mes excuses." La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a reconnu que l'Union avait tardé à réagir, face à la pandémie de Covid-19, dans une lettre adressée aux Italiens, le 2 avril. "Aujourd'hui, l'Europe se mobilise aux côtés de l'Italie, mais cela n'a pas toujours été le cas", a-t-elle concédé. Constat partagé par le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian. "L'Europe a eu du retard à l'allumage", mais "s'est bien rattrapée", a-t-il assuré lundi, au micro de BFMTV.

Ces dernières semaines, l'Italie n'a cessé d'appeler à la solidarité de ses voisins européens. L'ancien président du Parlement européen Antonio Tajani, membre du parti d'opposition Forza Italia (centre droit), a exprimé son exaspération, évoquant une "Europe lâche" et lente, alors que son pays "meurt et que l'économie s'effondre".

"Nous attendons de la loyauté de la part de nos partenaires européens. Nous attendons que l'Europe fasse sa part", a exhorté le ministre des Affaires étrangères Luigi Di Maio, dans un post Facebook publié le 27 mars.

2Un confinement à géométrie variable

Face à la propagation de l'épidémie en Europe, certaines frontières intérieures ont été fermées dans la précipitation, sans action coordonnée. Dans les deux premières semaines du mois de mars, au moins neuf pays, dont la Pologne, l'Espagne et la Hongrie, ont fermé leurs frontières. Un choix critiqué par Ursula von der Leyen, qui estimait que seuls "certains contrôles aux frontières pouvaient être justifiés". La fermeture partielle des frontières de l'Allemagne avec cinq pays, dont la France, le 15 mars, a changé la donne. Le lendemain, l'Union a annoncé la fermeture des frontières extérieures pour au moins trente jours. Une décision toutefois soumise au bon vouloir des Etats membres, libres de l'appliquer ou non.

En matière de confinement, les stratégies sont également variables. Le contraste est flagrant entre l'Italie, confinée depuis le 9 mars, et certains pays du nord de l'Europe. La Suède mise sur le civisme de ses citoyens, quand les Pays-Bas font le pari d'un "confinement intelligent" et limité. L'Autriche anticipe une sortie progressive du confinement à partir du 14 avril. Le Danemark et la Norvège, en régime de "semi-confinement", ont aussi communiqué des dates de redémarrage.

La Commission européenne a dû reporter sine die l'annonce, prévue mercredi, d'une feuille de route pour une sortie coordonnée, afin de ne pas brouiller le message des pays qui maintiennent un confinement strict, comme la France.

"Les réactions des Etats européens faisant face au même coronavirus sont, à ce jour, très différentes parce que les populations sont différemment affectées", nuancent les professeurs de droit Frédérique Berrod et Pierrick Bruyas, dans une tribune publiée sur The Conversation. "Une solution européenne uniforme n'est ni juridiquement faisable ni objectivement souhaitable, plaident-ils. Cela ne veut pas dire que l'Europe ne se mobilise pas."

3Une guerre des masques entre Etats

Dans la lutte contre le virus, les Etats membres se livrent à une bataille discrète, mais sans merci : celles des masques. Le 4 mars, la France a adopté un décret de réquisition et Berlin a interdit leur exportation. Ces décisions unilatérales battent en brèche le principe de libre circulation des marchandises dans l'Union.

Les pays de l'Union n'hésitent pas non plus à se voler les précieux masques entre voisins. Comme l'a révélé L'Express, la France a saisi quatre millions de masques appartenant à la société suédoise Mölnlycke, en partie destinés à l'Espagne et l'Italie. La cargaison a finalement été restituée, sous la pression médiatique. La République tchèque a également saisi des masques, dont une partie devait être livrée en Italie. Prague a affirmé que la saisie avait été décidée "sur la base d'un soupçon de comportement frauduleux", mais s'est ensuite engagée à envoyer en Italie "dans les meilleurs délais l'équivalent du matériel".

Contre cette guerre des masques, l'Union tente de calmer le jeu et de rétablir la coordination entre Etats. Les fabricants doivent désormais obtenir le feu vert de la Commission européenne pour exporter leurs marchandises hors de l'Union. La Commission a aussi lancé un appel d'offres pour des stocks de masques, de gants, de lunettes de protection et de combinaisons. Objectif : limiter les coûts pour chaque pays. "Bien que ce soit une bonne nouvelle, la réponse de l'UE aurait dû arriver beaucoup plus tôt", estime Ivan Zupan, de Transparency international, auprès de Radio France.

4Un plan de sauvetage dans l'impasse

Les réunions se suivent, mais restent infructueuses. "Après seize heures de discussion, nous nous sommes rapprochés d'un accord, mais nous n'y sommes pas encore", a déclaré mercredi Mario Centeno, président de l'Eurogroupe, qui réunit les ministres des Finances de la zone euro. C'est pourtant la survie économique du continent qui est en jeu.

Les discussions achoppent sur la création d'un instrument pour relancer l'économie. Les pays les plus touchés, comme l'Italie, réclament qu'il puisse être financé par une dette commune, sous la forme d'obligations, également appelées "coronabonds" ou "eurobonds". Cette solution est soutenue par l'Espagne et la France, ainsi que la Grèce, Malte, le Luxembourg ou l'Irlande. L'idée d'une mutualisation des dettes constitue toutefois une ligne rouge, pour l'Allemagne et les Pays-Bas, qui refusent de s'engager avec les Etats très endettés du Sud, jugés laxistes dans leur gestion.

Autre point de blocage : la possibilité pour le Mécanisme européen de stabilité (MES), financé par les Etats membres, de prêter de l'argent à un Etat en difficulté, jusqu'à 2% de son PIB, soit 240 milliards d'euros pour l'ensemble de la zone euro. Les Pays-Bas, inflexibles, exigent que ces prêts s'accompagnent de "conditions à long terme", par exemple des demandes de réformes. Inacceptable, pour l'Italie, qui aurait pourtant bien besoin de ces prêts.

Sur ce dernier point, La Haye est soutenue par l'Autriche, la Suède, le Danemark et la Finlande. Pour Paris, ce blocage "ne peut pas durer". "Ce qui est en jeu derrière tout cela, c'est bien l'unité de l'Union européenne et la survie du projet européen", a prévenu Bruno Le Maire, lundi, sur France 2. "Imaginez qu'après une crise d'une violence qui n'est comparable qu'à celle de 1929, vous ayez des Etats qui redémarrent très vite parce qu'ils en ont les moyens et d'autres qui redémarrent très lentement (...). L'Europe ne résistera pas à cela, elle explosera si elle ne fait pas preuve de solidarité."

Une autre réunion par visioconférence est convoquée jeudi après-midi. En cas de nouvel échec, une solution devra être trouvée au niveau des chefs d'Etat et de gouvernement, qui n'avaient pas réussi à se mettre d'accord le 26 mars.

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