Coronavirus : on vous explique pourquoi il faut être prudent avec la notion de "pic épidémique"
La France n'a pas encore atteint le pic de l'épidémie, a prévenu le directeur général de la santé Jérôme Salomon, mardi. Le passage de ce cap marquerait le recul de l'épidémie de coronavirus, mais ne signerait pas pour autant la victoire contre le virus.
Avec plus de 10 000 morts liées à l'épidémie de Covid-19 en France, la pression sur les hôpitaux et les Ehpad reste très forte. Le pays a enregistré, mercredi 8 avril, 328 nouveaux décès en milieu hospialier, 24 heures après avoir connu son pire bilan quotidien, avec 607 morts à l'hôpital. "Nous ne sommes pas encore au pic" de l'épidémie, prévient le directeur général de la santé, Jérôme Salomon.
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L'arrivée de ce pic, qui marque le moment à partir duquel l'épidémie doit décroître, était pourtant espérée pour le début de la semaine. Alors, pourquoi est-elle si compliquée à prévoir ? Où en est la France ? Eléments de réponse.
Comment prévoir le pic épidémique ?
La définition du pic épidémique est simple : il s'agit du moment où la courbe des nouvelles contaminations s'infléchit. Le prévoir est plus complexe et nécessite de recourir à des équations mathématiques pour modéliser la propagation du virus. Le modèle baptisé SEIR décrit l'évolution de l'état de quatre groupes principaux : la population saine (S), exposée (E), infectée (I) et remise (R). "C'est le contact entre les personnes saines (S) et les personnes infectées (I) qui fait que l'épidémie évolue" et se propage, résume Jean-Stéphane Dhersin, mathématicien spécialiste des épidémies au CNRS, à franceinfo. Les personnes infectées (I) peuvent ensuite basculer dans le groupe des personnes remises (R). A ce modèle, qui s'apparente (de manière très simplifiée) à un système de vases communicants, peuvent être ajoutés des critères comme des tranches d'âge ou des mouvements de population, explique le CNRS.
Dans ce modèle, un paramètre est essentiel : le R0, qui correspond au nombre moyen de personnes infectées par un malade. Il permet de calculer la date et l'ampleur du pic, ainsi que le taux d'immunité collective, c'est-à-dire le seuil à partir duquel suffisamment de personnes sont immunisées pour enrayer la propagation de l'épidémie. Lorsque que le R0 passe en dessous de 1, l'épidémie recule. Pour y parvenir, on peut renforcer l'immunité collective, avec un vaccin, par exemple. Dans le cas du Covid-19, cette solution n'existe pas encore. Pour essayer de faire baisser le R0, on peut donc isoler les malades, prendre des mesures de distanciation sociale et de confinement de la population.
Le taux exact du R0 du coronavirus n'est pas encore connu. Jean-Stéphane Dhersin estime qu'il se situe autour de 2,5. Appliqué à de grands nombres, cela signifie que 1 000 malades en contaminent 2 500. "Il n'existe à ce jour aucune communication officielle de la France sur ce R0 et aucune publication scientifique sur ces chiffres", tempère Samuel Alizon, spécialiste de l'évolution des maladies infectieuses au CNRS, interrogé par franceinfo. En se basant sur les données obtenues en Asie, il suggère un taux situé entre 2,5 et 3,5. "Les modèles sont là, mais il faut leur donner les bons paramètres et nous sommes dépendants d'un travail de terrain, d'études cliniques", ajoute-t-il.
Où en sommes-nous en France ?
Plusieurs dates pour le pic épidémique ont été annoncées, depuis le début de la crise sanitaire. Le 20 mars, Jérôme Salomon annonçait le pic pour le week-end du 28-29 mars, une douzaine de jours après la mise en place des mesures de confinement. Le directeur général de la santé s'appuyait sur l'évolution de l'épidémie en Chine, où le pic semble avoir débuté 12 jours après le début du confinement. "Jérôme Salomon a peut-être été optimiste", observe Samuel Alizon.
"Quand vous mettez en place des mesures de confinement, vous ne voyez pas leur efficacité tout de suite", alerte le chercheur. Les premiers effets ne sont pas perceptibles avant les deux ou trois semaines suivantes, qui correspondent "au temps d'apparition des symptômes, d'hospitalisation et de décès". Près d'un mois après le début du confinement, les scientifiques scrutent donc l'évolution quotidienne du nombre d'hospitalisations et de morts. "Ce sont des données plus robustes que celles des nouveaux cas", assure Samuel Alizon. L'évolution du nombre de nouveaux cas est en effet peu significative, car le pays a changé sa stratégie de dépistage au cours de l'épidémie, en augmentant le nombre de tests. "En dépistant davantage, on trouve forcément plus de cas et on ne peut rien en conclure", résume Samuel Alizon.
Le 31 mars, Jérôme Salomon prédisait à nouveau : "A partir de cette fin de semaine [vers le 4 ou 5 avril], on devrait avoir moins de personnes qui arrivent à l'hôpital, notamment en réanimation." Un espoir que les chiffres semblaient confirmer : 588 nouveaux décès ont été enregistrés dans les hôpitaux dans la journée de vendredi, avant de passer à 441 le samedi puis à 357 le dimanche. La courbe des nouvelles hospitalisations suivait une dynamique similaire. Le bilan est toutefois reparti à la hausse lundi, avec 605 morts dans les hôpitaux et 607 mardi. Même constat pour le rythme des hospitalisations, en augmentation depuis le début de la semaine.
Le pic sera-t-il atteint en même temps partout en France ?
L'Hexagone n'est pas uniformément touché par le coronavirus. La région Grand Est est particulièrement éprouvée, avec plus de 1 500 décès en milieu hospitalier depuis le début de l'épidémie. A l'inverse, l'Occitanie semble pour le moment relativement épargnée, avec moins de 200 décès à l'hôpital. La hauteur du pic épidémique de la France pourrait donc être à géographie variable. "En termes d'ampleur, parler d'un pic épidémique en France peut être trompeur", prévient Samuel Alizon. Les départements qui enregistrent plus d'hospitalisations et de décès vont mathématiquement tirer la moyenne nationale vers eux.
Concernant sa date, "si l'impact du confinement est le même partout, il va se produire à peu près au même moment", prédit Jean-Stéphane Dhersin. Un constat partagé par Samuel Alizon, qui précise que "si le confinement a été très peu suivi dans certains endroits, il y aura potentiellement un décalage". Empiriquement, il est peu probable que ce soit le cas, suggère le chercheur. Le pic épidémique devrait donc survenir globalement au même moment sur l'ensemble du territoire.
Parle-t-on plutôt de "plateau" ou de "pic" ?
Certains experts privilégient la notion de "plateau épidémique". L'épidémiologiste Antoine Flahault, professeur de santé publique à l'université de Genève (Suisse), estime que les mesures de confinement entraînent la formation d'un "pic raboté". Pour Samuel Alizon, la formation d'un plateau s'explique plutôt par la façon de représenter les données.
Lorsque les chercheurs utilisent l'incidence, c'est-à-dire le nombre de nouveaux cas, hospitalisations et décès, enregistrés chaque jour, il est peu probable de voir apparaître un plateau. "Il faudrait que le R0 reste très proche de 1 pendant plusieurs jours, ce qui signifie qu'une personne en contamine une seule autre", détaille-t-il. Une hypothèse "peu probable", selon le chercheur.
En revanche, en observant les données d'incidence cumulée, c'est-à-dire le nombre total de cas, d'hospitalisations et de décès recensés, depuis le début de l'épidémie, il est possible de discerner un plateau. "Si le nombre de nouvelles hospitalisations tombe à zéro, l'incidence cumulée stagnera", interprète Samuel Alizon. Les hôpitaux n'enregistreront plus de nouveaux entrants, mais beaucoup de patients resteront encore en réanimation pendant plusieurs semaines.
Un deuxième pic est-il envisageable ?
Le franchissement du pic ne signe pas la victoire contre le virus. Il existe un risque d'effet rebond. En admettant un R0 situé dans la fourchette basse, autour de 2,5, il faudrait que 60% de la population soit immunisée pour que l'immunité de groupe soit totalement acquise et que l'épidémie disparaisse. "Tant que les deux tiers de la population ne sont pas immunisés, on va vers un pic épidémique", explique Samuel Alizon. Si on considère un R0 encore plus élevé, autour de 3,5, alors ce seuil devrait grimper à 70%. Or, selon une estimation de l'Imperial College de Londres publiée le 30 mars (PDF, en anglais), au 28 mars, seulement 1 à 7% des Français avaient été infectés.
"Sur le long terme, il y a deux options pour se débarrasser d'une épidémie : l'existence d'un vaccin ou l'immunité de groupe", résume Samuel Alizon. En l'absence de vaccin pour le moment, il faudra continuer à trouver d'autres moyens pour diminuer de nouveau le R0, avec des masques et des applications de tracking, estime le chercheur. Les tests sérologiques sont également indispensables, pour Jean-Stéphane Dhersin : "Ils permettront de voir les zones où la population est plus immunisée et de donner plus de latitude pour déconfiner."
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