Coronavirus : le schéma de l'évolution du Covid-19, devenu viral sur les réseaux sociaux, est-il exact ?
Le graphique s'appuie sur les conclusions de plusieurs études réalisées à partir de cas de patients souffrant du nouveau coronavirus. Mais il comporte de nombreuses erreurs ou approximations.
"Un bon croquis vaut mieux qu'un long discours", dit l'adage. Le schéma en anglais qui suit (et son adaptation en français) a été partagé par des milliers d'internautes sur les réseaux sociaux. Ce graphique est présenté comme une explication claire de l'évolution de la maladie Covid-19 provoquée par le coronavirus, dont le nom scientifique est Sars-CoV-2. Est-il vraiment juste ?
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Cette infographie, qui cite trois études pour références, est "truffée de fautes", observe Bruno Hoen, directeur de la recherche médicale à l'Institut Pasteur. Reste que "ce schéma est faux non par malhonnêté, mais par manque de connaissances sur le virus", tempère Gilles Pialoux, chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l'hôpital Tenon à Paris. Revue de détails.
Sur les cas asymptomatiques : trop affirmatif
Ce qu'indique le schéma. Le graphique divise la population en quatre catégories. A commencer par les personnes qui ne présentent pas de symptômes (30%).
Ce que disent les spécialistes. "On n'a pas la proportion de personnes asymptomatiques", pointe Gilles Pialoux. Des études, menées sur les passagers du paquebot de croisière Diamond Princess et sur les pensionnaires d'une maison de retraite du nord-ouest des Etats-Unis, confirment que des personnes peuvent être infectées par le virus sans développer la maladie, mais elles ne s'accordent pas sur le pourcentage de cas. "Il est peut-être de 30%. Il est peut-être de plus ou de moins. On ne le saura que lorsqu'on aura accès à de la sérologie en grande quantité", souligne Bruno Hoen.
Sur les cas modérés, sévères et critiques : plutôt inexact
Ce qu'indique le schéma. L'infographie distingue trois autres catégories : les malades qui ont des symptômes modérés (55%), ceux ayant des symptômes sévères (10%) et ceux présentant des symptômes critiques (5%).
Ce que disent les spécialistes. La principale publication sur le sujet, bâtie sur les données des autorités de santé chinoises, porte sur plus de 72 000 patients. Celle-ci indique que 81% des formes cliniques de la maladie observées étaient modérées, 14% sévères et 5% critiques. En France, "on ne dépiste plus que les gens qui ont des symptômes qui vont les amener à se rendre à l'hôpital, les gens qui ont des facteurs de gravité ou les personnels soignants", relève Gilles Pialoux. Difficile, dans ces conditions, d'évaluer le nombre de personnes souffrant de symptômes modérés.
Par ailleurs, le schéma peut faire croire (puisqu'il n'est pas précisé qu'il s'agit uniquement des personnes contaminées) que son 100% correspond à l'ensemble de la population. Comme l'a expliqué il y a quelques semaines à franceinfo l'épidémiologiste William Dab, "potentiellement 100%" de la population peut être infectée, car nos défenses immunitaires ne l'ont jamais affronté. Pour autant, rien ne permet d'affirmer que c'est le cas, puisqu'une vaste majorité de la population n'a jamais été testée.
Sur la période d'incubation : plutôt juste
Ce qu'indique le schéma. Le graphique fait survenir l'arrivée des symptômes cinq jours après la contamination.
Ce que relève une étude. Sur ce point, le schéma semble correct. D'après une étude portant sur 181 patients chinois positifs au Covid-19, la période d'incubation médiane est estimée à 5,1 jours, 97,5% des patients qui développent des symptômes le font dans les 11,5 jours qui suivent leur contamination.
Sur la période de contagiosité : à nuancer
Ce qu'indique le schéma. La période pendant laquelle une personne infectée est contagieuse commencerait dès le jour de la contamination. Cette contagiosité dure alors jusqu'au 14e jour, voire au 21e ou 25e jour, selon la gravité des symptômes, si l'on en croit cette visualisation.
Ce que disent les spécialistes. La période de contagiosité varie bel et bien en fonction de la gravité des cas. "On considère que la contagiosité débute 24 à 48 heures avant les symptômes", précise Gilles Pialoux. Ce que note également le Centre de contrôle et de prévention des maladies (CDC) européen, qui estime que la période de contagiosité dure sept à douze jours pour les formes modérées de la maladie et jusqu'à deux semaines pour les formes plus sévères. "Dans les formes modérées, sans hospitalisation, la durée moyenne des symptômes est d'environ huit jours", poursuit Anne-Claude Crémieux, médecin au service des maladies infectieuses et tropicales de l'hôpital Saint-Louis à Paris.
"Dans les formes plus sévères, avec pneumonie, on a plus de mal à le déterminer", poursuit la spécialiste. "Chez les patients hospitalisés, on dépasse parfois les quatorze jours. Il y a beaucoup de variation entre les individus, insiste Anne-Claude Crémieux. Pour les patients les plus sévèrement atteints, il ne faut pas se fier à la disparition des symptômes, le portage viral va plus loin."
Une autre étude chinoise, parue dans The Lancet en mars et portant sur un échantillon de 191 patients hospitalisés à Wuhan, indique que le virus était encore détecté dans l'organisme des malades en moyenne 19 jours après le début des symptômes, pour les patients ayant développé une forme sévère de la maladie, et 24 jours après, chez ceux victimes d'une forme critique du Covid-19. Reste une constante : "La quantité de virus est maximale pendant la première semaine, et plus la forme de la maladie est sévère, plus la charge virale est intense et plus les patients portent longtemps en eux du virus."
2 schémas intéressants pour comprendre le #coronavirus et les cycles de la maladie
— Le Doc (@Le___Doc) March 28, 2020
Que retenir ?
- que la contagiosité débute avant les signes cliniques
- que cette contagiosité dure 2 à 3 semaines au minimum
C'est la distanciation et l'hygiène qui seule coupe la transmission pic.twitter.com/IYNV8YWDNA
Sur l'apparition et la persistance des symptômes : plutôt faux
Ce qu'indique le schéma. Le graphique montre que les symptômes sont intenses dès leur apparition dans les cas sévères ou critiques.
Ce que disent les spécialistes. "On ne rentre pas d'emblée dans les symptômes graves, contredit Bernard Hoen. Ça commence toujours par une installation progressive des symptômes, qui vont s'aggraver ou non dans un deuxième temps. S'ensuit une aggravation supplémentaire dans un troisième temps pour les formes critiques de la maladie."
Contrairement à la grippe, qui débute brutalement, l'installation des symptômes peut prendre plusieurs jours, précise l'Institut Pasteur. Un étude chinoise, menée sur 191 patients hospitalisés à Wuhan et parue en mars dans le Lancet, détaille cette chronologie. En moyenne, la fièvre apparaît au bout d'un jour et dure douze ou treize jours. La toux persiste pendant seize à dix-neuf jours. La sensation de gêne respiratoire se manifeste au bout d'une semaine et se poursuit pendant près de deux semaines.
En cas d'aggravation, le sepsis (la septicémie) se développe au bout de neuf à dix jours et le syndrome de détresse respiratoire aigu de dix à douze jours. Si l'état de santé du patient s'aggrave encore, l'atteinte au cœur et aux reins commence au 15e jour en moyenne, et une infection secondaire apparaît au 17e jour.
Sur l'hospitalisation : approximatif
Ce qu'indique le schéma. L'hospitalisation des patients, voire leur admission immédiate en unité de soins intensifs, survient au huitième jour de la maladie et dure jusqu'au 20e ou 21e jour, si l'en on croit ce graphique.
Ce que relèvent les études. Là encore, la chronologie est différente. D'après une étude clinique menée à Wuhan et parue dans The Lancet en janvier, les patients ont été hospitalisés en moyenne sept jours après l'apparition des symptômes. L'entrée en soins intensifs est intervenue au bout de 10,5 jours.
Une autre étude chinoise, réalisée sur 138 patients hospitalisés à Wuhan, et publiée en février, indique que l'hospitalisation a duré en moyenne dix jours. L'étude chinoise parue en mars dans The Lancet précise que l'hospitalisation dure en moyenne onze jours et le séjour en soins intensifs huit jours. Lorsqu'elle est nécessaire, la ventilation mécanique des patients intervient en moyenne au bout de 14,5 jours. Et il s'écoule en moyenne 22 jours entre le moment où le patient a été infecté et celui où il peut sortir de l'hôpital.
Contrairement à ce que laisse croire le schéma, "il n'y a quasiment pas de patients qui vont directement en réanimation, fait remarquer Bernard Hoen. Dans tous les sites hospitaliers, on hospitalise d'abord dans une unité dédiée où les patients sont surveillés. Les trois quarts vont pouvoir rester dans cette unité standard avec parfois de l'oxygène et un quart des patients vont avoir besoin d'aller en réanimation. Mais ça se fait toujours en deux temps."
Sur la mortalité : en partie faux
Ce qu'indique le schéma. La mort survient entre le 21e et le 25e jour pour les patients dans un état critique. Le taux de létalité du virus est de 50% pour ces malades et de 15% pour ceux qui souffrent d'une forme sévère de la maladie.
Ce que relèvent les études. L'étude portant sur les données de plus de 72 000 patients rassemblées par le CDC chinois confirme que presque malade sur deux (49%) atteint d'une forme critique du Covid-19 meurt. Elle précise toutefois qu'une issue fatale n'est survenue que chez ces patients, ce qui porte le taux de létalité global à 2,3% des malades. Les décès surviennent en moyenne au bout de 18,5 jours de maladie, dans les cas observés par l'étude publiée par The Lancet en mars.
Bernard Hoen relativise ce constat : "Le pourcentage de gens qui meurent dans les formes graves est très dépendant de la stratégie de prise en charge et du système de soins, donc ce n'est pas universel. En France, si l'état de santé des gens qui vont à l'hôpital s'aggrave, ils vont en réanimation. Ils meurent rarement dans l'unité de soins."
Sur l'immunisation : trop affirmatif
Ce qu'indique le schéma. Les personnes ayant été infectées, mais n'ayant pas développé de symptômes sont immunisées contre le virus dès la fin de la période d'incubation. Les malades qui ont eu une forme modérée du Covid-19 le sont lorsque les symptômes disparaissent. Ceux ayant contracté une forme sévère, voire critique de la maladie sont immunisés après leur hospitalisation.
Ce que disent les spécialistes. L'immunité reste une énigme. Les médecins ne disposent d'aucune information fiable sur une possible réinfection par le virus après une première guérison. Ils savent que la charge virale diminue après la fin des symptômes, mais qu'elle reste présente dans l'organisme pendant des jours, voire des semaines. Pour autant, la détection de cette charge virale pendant la convalescence n'indique pas forcément que le virus est capable de provoquer une nouvelle infection.
"Quand on fait des tests sérologiques, on détecte la présence d'anticorps au huitième jour, mais ils ne sont pas présents en assez grande quantité pour dire que le patient est immunisé. On commence à avoir un taux intéressant plutôt après quatorze jours, mais détecter une trace sérologique d'anticorps ne signifie pas l'immunité", expose Anne-Claude Crémieux.
"On n'a pas d'information, parce qu'on n'a pas d'analyse sérologique à grande échelle, pour la raison pure et simple que les tests sont en cours d'évaluation, fait valoir Gilles Pialoux. Ces tests permettront de savoir quel est le taux de personnes qui ont des anticorps. Ensuite, il faudra savoir quel est le taux d'anticorps et si cette immunité est protectrice." Il ajoute, non sans crainte : "Plusieurs études en cours tendent à dire que moins de 10% de la population serait immunisée. Si tel est le cas, alors on aura un vrai problème à la sortie du confinement. Si on laisse sortir de chez elle 90% de la population qui n'a jamais rencontré le virus et si le virus circule encore, c'est là que la question de la deuxième vague se posera."
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