"On est tous sidérés" : les députés sortants pris de vertige face à la dissolution et la campagne express des législatives

Echafauder une stratégie pour conserver son siège au Palais-Bourbon, ouvrir un compte de campagne ou courir chez l'imprimeur pour les tracts... Quel que soit leur camp politique, les élus qui s'apprêtent à remettre leur mandat en jeu sont sous le choc, mais prêts à enfiler de nouveau le bleu de chauffe.
Article rédigé par Margaux Duguet - avec la rédaction de franceinfo
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L'hémicycle de l'Assemblée nationale vide, le 19 mai 2020, pendant la pandémie de Covid-19. (CHRISTOPHE PETIT TESSON / AFP)

"Je vais comme un lendemain de dissolution", soupire Benoît Bordat, député Renaissance sortant de Côte-d'Or, en ce lundi 10 juin un peu particulier. Elu pour la première fois en 2022, son mandat n'aura duré que deux ans, au lieu des cinq prévus. Dimanche soir, le président de la République a pris le pays de court, jusqu'à son propre camp, en annonçant la dissolution de l'Assemblée nationale et la tenue d'élections législatives anticipées dès les 30 juin et 7 juillet. Une réaction à la percée historique du Rassemblement national et à la défaite cinglante de la liste Renaissance aux élections européennes. "Mes collaborateurs sont très ébranlés, c'est pour eux le plus dur. Ils sont tous sans travail maintenant, raconte Benoît Bordat. Nous on savait que l'on était sur des sièges éjectables."

Depuis la perte de la majorité absolue en juin 2022, le spectre de la dissolution rôdait pourtant dans les couloirs du Palais-Bourbon. Mais personne ne s'attendait à ce que le couperet tombe dès dimanche soir, alors que le camp présidentiel n'avait cessé de répéter qu'il ne fallait pas faire de ce scrutin un enjeu national. "Il y a une erreur au niveau du timing, juste avant les JO. Cela aurait été mieux pendant les textes budgétaires à l'automne", confie la députée sortante MoDem Delphine Lingemann, qui dénonce même "un manque de respect pour les parlementaires et nos équipes". "C'est la gueule de bois, c'est sûr, je n'arrive toujours pas à comprendre la logique, mais peut-être qu'il a raison", livre, amer, Ludovic Mendes, deputé Renaissance sortant de Moselle.

"Pour un député, la décision prise par le président de la République est violente. Depuis dimanche minuit, on n'est plus député et on n'a plus rien."

Ludovic Mendes, député Renaissance sortant

à franceinfo

Dans l'opposition aussi, ils sont nombreux à s'être laissés surprendre, quel que soit le bord politique. "Je savais que la dissolution arriverait, que le président serait dans une impasse. Mais qu'il fasse ça à ce moment là, je ne vais pas vous dire que je l'avais anticipé", concède l'élu LR Fabien Di Filippo. "On a peut-être été pris au dépourvu au moment de l'annonce, mais c'est une campagne comme une autre", veut croire Aurélien Lopez-Liguori, député RN sortant. Le score extrêmement élevé du parti d'extrême droite aux européennes (31,4%) donne de très grands espoirs aux soutiens de Marine Le Pen

"Un marathon à courir comme un 400 m"

En face, l'écologiste Sandra Regol ne décolère pas. "On est tous sidérés. Il y a quelques jours, lors des commémorations du 80e anniversaire du Débarquement, on disait : 'Plus jamais ça'. Quelques jours après, le président de la République offre quasiment la France à Jordan Bardella et Marine Le Pen. C'est du jamais vu." L'organisation de cette campagne express de trois semaines ulcère également la désormais ex-vice-présidente du groupe écologiste à l'Assemblée. "On vivait avec l'épée de Damoclès de la dissolution. Mais là, c'est le pire scénario." 

"Emmanuel Macron a pris le délai le plus court. Qu'est-ce qu'on a le temps de diffuser en vingt jours comme débats et idées ?"

Sandra Regol, députée écologiste sortante

à franceinfo

Selon l'article 12 de la Constitution, Emmanuel Macron disposait d'un délai de vingt à quarante jours pour convoquer de nouvelles élections. Il a donc opté pour l'option la plus resserrée. Sandra Regol n'est pas la seule à pester contre le choix de l'Elysée. "Il y a la violence de la dissolution, mais à cela s'ajoute le contexte que l'on nous impose, à savoir trois semaines pour faire campagne. C'est un marathon qu'on vous demande de courir au rythme d'un 400 mètres", fustige Fabien Di Filippo. "Tout le monde est pris au dépourvu dans l'organisation. C'est très court, mais on va le faire. Il faut remettre le bleu de chauffe, même si, personnellement, je ne l'ai jamais enlevé", confie Benjamin Saint-Huile, député Liot sortant.

Dès dimanche soir, les députés, privés de leur mandat, se sont attelés à la montagne de tâches qui les attend pour mener campagne dans un laps de temps très réduit. D'abord, clôturer leur mandat et fermer la page de cette XVIe législature. On cueille ainsi Aurélien Lopez-Liguori en plein déménagement de ses cartons à l'Assemblée. Pas tellement le temps de s'étendre auprès de la presse. "On purge ce qu'on a à purger. J'ai résilié les contrats de mes collaborateurs", explique de son côté Ludovic Mendes. "On attend les instructions de l'Assemblée pour voir ce que l'on peut faire ou pas, détaille longuement Pascal Lavergne, député Renaissance sortant en Gironde. J'ai déjà recréé une boite mail de campagne pour ne plus utiliser celle de l'Assemblée et j'ai rompu le bail de ma permanence de député pour faire un contrat de permanence de campagne." 

"Ma première préoccupation, c'est de trouver du papier"

Car il faut se projeter sans attendre sur la logistique. "La première chose à faire, c'était de voir si mon suppléant repartait avec moi, et c'est le cas. Et puis, il y a des détails très prosaïques, comme ouvrir un compte de campagne et désigner un mandataire financier", relate Fabien Di Filippo. "Compte tenu des délais, ma première préoccupation, c'est de trouver du papier", raconte Benoît Bordat.

"Je me bats avec mon imprimeur pour trouver du papier pour la propagande électorale. Les imprimeurs n'avaient pas prévu la dissolution !"

Benoît Bordat, député Renaissance sortant

à franceinfo

Il a également pris contact avec un photographe pour de nouveaux clichés de campagne. "J'attends le nouveau slogan national [du parti] mais on repart sur les mêmes affiches. Je garde la photo, je n'ai pas trop vieilli en deux ans", s'amuse Pascal Lavergne. 

Aucun des députés sortants contactés par franceinfo n'a décidé de jeter l'éponge et de ne pas se représenter. "Je suis passée de l'effroi au moment de l'annonce des résultats et de la dissolution à une combativité hors norme, raconte Sandra Regol. J'étais épuisée, j'avais le dos abimé par une mauvaise chute, mais je tiens sur un truc : si on n'y va pas à fond, c'est la démocratie, les valeurs de notre République, qui vont être bafouées". Elle ajoute, la voix déterminée : "C'est à moitié de la rage et à moitié de la niaque. J'ai envie d'en découdre à fond". Elu de justesse il y a deux ans (51,7%) face à une candidate RN, Benjamin Saint-Huile cible lui les électeurs de l'extrême droite. "J'assume parfaitement de parler à tous les électeurs et à ceux qui ont envoyé un message de colère", dit-il.

Enjeux nationaux et locaux

En parallèle des détails pratiques, ces députés sortants doivent aussi réfléchir à une stratégie de campagne bien différente de celle qu'ils ont menée il y a deux ans. Il y a d'abord le contexte national bouleversé et sur lequel certains vont jouer. Delphine Lingemann, élue pour le MoDem avec 116 voix d'avance face à une candidate de la Nupes, évoque essentiellement le combat contre le RN dans un département où Jordan Bardella a fait près de 30% dimanche. "Aujourd'hui, il ne s'agit plus de donner une majorité au président, mais une majorité républicaine au pays, affirme-t-elle. Je veux faire une campagne projet contre projet pour montrer le vide du programme du RN."

"Je me suis dit que je ne pouvais pas laisser la circonscription aux mains du RN. On ne va donc rien lâcher, même si le combat s'annonce difficile."

Delphine Lingemann, députée MoDem sortante

à franceinfo

Et la future candidate de pester : "Je vais avoir en face de moi un candidat qui va sortir du chapeau. On va voir débouler quelqu'un qui ne connait pas le territoire et qui, parce qu'il aura la photo de Bardella et de Marine Le Pen sur son affiche, va faire un score. Ça me met hors de moi". Du côté du Rassemblement national justement, on entend surfer sur le contexte électoral très favorable au parti d'extrême droite. "Il faut aller chercher les électeurs des européennes, mobiliser notre base, élargir", assure Aurélien Lopez-Liguori. 

Mais beaucoup de candidats vont surtout se concentrer sur les enjeux locaux et miser sur leur bilan pour espérer l'emporter de nouveau. "Je vais me vendre moi", glisse Ludovic Mendes. Pour le camp présidentiel, il s'agit de faire oublier le score catastrophique de Renaissance aux européennes. "J'ai un bilan local, je reviens devant les électeurs avec la tête haute", assure Pascal Lavergne. "Normalement, à cette période, on fait le bilan de l'année [avant la fin des travaux parlementaires pour l'été]. Là, je vais condenser ce que j'ai fait en deux ans", embraye Benoît Bordat.

Tous vont à présent utiliser chaque minute qui passe pour aller à la rencontre des électeurs. "Je vais courir partout jusqu'à ce que mort s'en suive", résume Fabien Di Filippo. Prochaine étape : déposer leur candidature en préfecture avant le 16 juin

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