: Portrait Olivier Dussopt, le ministre "punching-ball" en première ligne sur la réforme des retraites
"Je suis parfois obligé de faire l'impasse le matin sur ma séance d'abdos." Olivier Dussopt garde le sourire, vendredi 10 mars, dans son bureau de la rue de Grenelle, même si la fatigue est bien là. Le ministre du Travail se contente ces derniers jours de nuits de trois ou quatre heures, n'a pas allumé la télévision depuis plusieurs semaines et peine à trouver le temps de lire. Ses efforts ont néanmoins été récompensés dimanche, avec un vote au Sénat en faveur de la réforme des retraites.
Il a fallu pour cela dégainer l'article 44.3 de la Constitution, obligeant les sénateurs à se prononcer par un seul vote sur le texte. Le patron des sénateurs socialistes, Patrick Kanner, a dénoncé sur Twitter un "coup de force". Le ministre s'exaspère, lui, devant ce qu'il considère comme de "l'obstruction parlementaire". "S'opposer, c'est légitime. Mais organiser les choses pour ne pas voter quand on est parlementaire, c'est une négation de son propre rôle", juge l'ancien député socialiste. Tous les regards sont désormais tournés vers la commission mixte paritaire chargée de trouver mercredi un compromis.
En attendant un possible vote final du Parlement, jeudi, le numéro 7 du gouvernement s'offre un court répit, après des semaines parfois chaotiques concernant l'une des réformes les plus impopulaires depuis les débuts du macronisme. "C'est quand même plus facile de mener un débat sans être malade", souffle-t-il, après avoir cumulé laryngite et bronchite pendant les séances à l'Assemblée. "Il faisait un froid de chien. La laryngite est en tout cas la meilleure méthode pour me faire taire, c'est plus efficace que La France insoumise", ironise le ministre. "Il a un peu servi de punching-ball. Je pense qu'il a somatisé", estime de son côté un député PS.
"Procès en trahison"
Olivier Dussopt, 44 ans, a subi de nombreuses attaques sur sa gauche, où il a longtemps navigué au sein de divers courants. Plus jeune député de France en 2007, d'abord proche de la gauche du Parti socialiste, portée par Henri Emmanuelli et Benoît Hamon, il devient porte-parole de la campagne de Martine Aubry lors de la primaire en 2011, avant de rejoindre l'écurie de Manuel Valls en 2016.
En novembre 2017, il tourne le dos au PS quand on lui propose le poste de secrétaire d'Etat auprès de Gérald Darmanin, alors ministre de l'Action et des Comptes publics. Il hésite quelques jours. "A l'époque, il m'appelle pour me dire : 'Je fais quoi ?' Je lui réponds : 'Tu sais très bien ce que tu vas faire', mais je l'avertis aussi qu'il va prendre des coups, se souvient un député PS, longtemps proche du ministre. Les accusations de trahison se sont calmées au fil du temps, mais la réforme des retraites les a relancées. Avec ce texte, il ne peut plus faire illusion."
"Il mérite son trophée de traître à la cause sociale", a ainsi chargé début mars, notamment sur Twitter, l'"insoumise" Manon Aubry. "J'ai honte pour vous", lui a lancé à l'Assemblée le patron du PS, Olivier Faure. Le ministre est tombé aussi dans le piège du jeune député socialiste Inaki Echaniz qui lui a posé une question en reprenant mot pour mot une intervention faite par Olivier Dussopt lui-même contre une réforme des retraites voulue par le gouvernement Fillon, en 2010. "J'ai tenté le coup, même si je pensais que ses conseillers lui feraient remarquer", raconte l'élu des Pyrénées-Atlantiques, qui a publié une vidéo de l'échange sur Twitter.
"La séquence a mieux marché que je ne l'espérais, car elle montre bien à quel point, il a mis toutes ses convictions de côté pour un maroquin ministériel."
Inaki Echaniz, député socialisteà franceinfo
Face à ce "procès en trahison", Olivier Dussopt lève les yeux au ciel. "Venant de ceux qui ont vendu la social-démocratie à Mélenchon, ça m'en touche une sans faire bouger l'autre, comme disait Chirac. Et normalement, je suis même plus grossier." Le ministre reconnaît avoir "évolué" sur ses positions à la suite de son expérience de député au cours du quinquennat Hollande, notamment sur la nécessité de respecter les équilibres budgétaires. Il se dit "conscient de l'effort demandé aux Français" en décalant l'âge de départ à la retraite à 64 ans, mais préfère évoquer les "mesures d'accompagnement" sur les critères de pénibilité et les petites pensions.
Il n'en demeure pas moins insensible aux critiques qui fusent dans son fief ardéchois d'Annonay, où il a été maire pendant près de dix ans (2008-2017). "Il avait un capital sympathie impressionnant, mais ça commence à s'effriter fortement. Les salariés du bassin industriel se sentent trahis", témoigne Raphaël Foïs, un responsable local de la CGT. "Olivier est un ami. Il est profondément humain, proche des gens. Je pense qu'il a été choisi pour ça, pour faire passer une loi antisociale qui ne lui ressemble pas, témoigne un militant socialiste de la commune. Aujourd'hui, je suis déçu et c'est difficile d'être déçu par les gens qu'on aime."
"Le sentiment d'être au ball-trap"
A l'Assemblée, les attaques les plus rudes sont venues du groupe LFI. Le député Thomas Portes a été sanctionné pour avoir posté sur les réseaux sociaux une photo où il tient sous son pied un ballon à l'effigie du ministre du Travail. Son collègue Aurélien Saintoul a qualifié Olivier Dussopt d'"imposteur" et d'"assassin", avant de présenter ses excuses. "Etre traité d'assassin ne se pardonne pas", avait alors répondu le ministre dans l'hémicycle. "Oui, ça m'a blessé. Ensuite, quand je dis : 'Je ne pardonne pas', ça ne veut pas dire que je me réveille la nuit en y pensant", explique-t-il aujourd'hui.
"Je pardonne les maladresses, les erreurs. Mais pas la méchanceté ni la trahison de la parole donnée."
Olivier Dussopt, ministre du Travailà franceinfo
"Il est rancunier", admet l'ancien Premier ministre Edouard Philippe, qui est resté "très proche" de son ancien secrétaire d'Etat. "Quand on lui ment, qu'on lui fait une crasse, il n'oublie pas facilement." Face aux attaques, le ministre a tenté de garder son calme, mais il s'est laissé emporter à la fin des débats à l'Assemblée, s'en prenant aux "insoumis". "Il y a de la fatigue, du ras-le-bol, de la tension et une voix complètement foutue, commente-t-il à froid. Et il y a de la colère, car je savais que cela faisait des semaines que les députés LFI voulaient me faire craquer."
"Il a très peu perdu pied, alors que tout a été fait pour le couler. Il a enduré les débats en se faisant cartonner, on a eu parfois le sentiment d'être au ball-trap", admire le député LR Stéphane Viry. Le ministre a le cuir épais. Comme il le confiait à Libération en 2007, les épreuves lui ont forgé une carapace, notamment la mort de son frère dans un accident de moto, en 2004, et le décès de son père, en 2006. Issu d'un milieu modeste ardéchois, il a vu ses parents affronter les difficultés quand la carrosserie familiale a fait faillite. "Tout ça a été très difficile. C'est vraiment une histoire de merde", assure un ancien camarade socialiste.
"Je sais ce que c'est qu'être un transfuge de classe. Rien dans mon parcours ne me prédestinait à devenir ministre ou député", affirme Olivier Dussopt. Le jeune lycéen s'en est sorti grâce aux études. Un professeur de lycée lui parle de Sciences Po Grenoble et l'aide à préparer le concours. Sa grand-mère lui offre de quoi s'acheter des livres et le jeune ambitieux se donne les moyens de réussir. "Il a commencé sa carrière avec le mordant, en allant chercher ses premiers mandats avec les dents", résume le député PS de l'Ardèche Hervé Saulignac.
"Il ne se plaint pas pour rien"
De cette période, il a gardé une ténacité louée par nombre de ses collègues au gouvernement. "Il mène courageusement la bataille sur cette réforme en alliant précision technique et clarté politique", salue Gabriel Attal, ministre en charge des Comptes publics. "Il est engagé et courageux", renchérit Olivia Grégoire, en charge des PME. Le plus élogieux reste Edouard Philippe : "Il ne se plaint pas pour rien, il ne crée pas de problèmes et essaye de trouver des solutions."
"J'ai vu dans mon gouvernement quelqu'un de bien, de compétent, d'estimable."
Edouard Philippe, ancien Premier ministreà franceinfo
Au fil des ans, il s'est forgé une réputation de technicien, qui se distingue par sa maîtrise des dossiers. "C'est un gros travailleur, presque un robot, sa vie est réglée comme du papier à musique", souligne un ancien camarade du PS. Après avoir mené à bien la réforme de la fonction publique en 2019, il se retrouve à la baguette sur celle de l'assurance-chômage à l'automne, avant de voir arriver le dossier des retraites. "Quand il m'a dit qu'il allait gérer le dossier 'retraites', je lui ai dit : 'Tu es complètement fou' ! Mais il voulait le faire, raconte un ami ardéchois. Cette loi est trop compliquée. Il n'y a qu'un Olivier Dussopt pour maîtriser ça, avec son caractère tatillon et minutieux."
"Il s'est réfugié derrière la technicité du texte pour éviter de se faire bouger", observe Hervé Saulignac. "Lors des premiers contacts avec les parlementaires, je le trouvais très à l'aise, très au point, très précis. Je me suis dit : 'Il va être très coriace'", ajoute son collègue Jérôme Guedj. Ce dernier a finalement donné du fil à retordre au ministre, notamment sur la question du nombre de retraités concernés par la pension à 1 200 euros. "Mais là aussi, poursuit le député, il ne s'est pas laissé prendre au piège, ce sont les autres qui se sont laissé aller à des approximations." Olivier Dussopt, lui, ne charge pas ses collègues. "Je suis très compréhensif, parce que le sujet est tellement complexe que je défie quiconque de ne pas faire d'erreur."
"Un temps de rodage" avec Elisabeth Borne
Il ne se montre pas plus acrimonieux en évoquant ses relations avec Elisabeth Borne, qui ont pourtant connu des turbulences. "Si la question est de savoir qu'on a du caractère tous les deux, la réponse est oui, minimise-t-il. Mais quand on lit dans la presse qu'on ne se parle plus, ça nous fait marrer. On se voit tous les jours, on se téléphone matin, midi et soir." "Il a peut-être fallu un temps de rodage, mais aujourd'hui les relations entre les deux sont au beau fixe", assure également une ministre.
Avec Emmanuel Macron, l'histoire avait également mal commencé en 2014, quand le ministre de l'Economie avait fait une sortie sur les ouvrières "illettrées" de Gad. Ce "mépris" avait provoqué l'ire du jeune socialiste, racontait alors "Le Lab" d'Europe 1. Depuis, de l'eau a coulé sous les ponts. "C'est avant tout mon chef, celui que j'ai choisi de servir. Mais c'est aussi un homme attachant, prévenant et j'apprécie sa confiance", détaille le ministre. Le chef de l'Etat, pour part, loue ce serviteur taiseux et loyal, à qui il a apporté son soutien au moment de l'ouverture d'une enquête pour des soupçons de "favoritisme".
La discrétion du ministre confine parfois au "culte du secret", selon certains proches. Sur les applications, il envoie des messages qui s'effacent au bout de 24 heures. Il en dévoile par ailleurs le moins possible sur sa vie privée. "Je ne ferai pas la couverture de Paris Match en train de faire la cuisine. Chacun a son jardin privé et je considère que l'endroit où je vais en vacances n'intéresse personne", revendique-t-il.
Après la réforme des retraites, le ministre du Travail va continuer à s'exposer avec l'arrivée de la loi immigration et la future loi sur le "plein emploi" pour laquelle il consulte déjà les parlementaires. Sauf si un remaniement vient contrecarrer ce programme. Certains de ses proches l'imaginent bien postuler à un ministère régalien, quand lui refuse "les plans sur la comète" : "Tous ceux qui espèrent et qui demandent sont généralement déçus. J'ai lu quelque part que j'étais frustré, je peux vous assurer que c'est faux."
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