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Reportage Réforme des retraites : à Annonay, l'enfant du pays Olivier Dussopt désormais taxé de "trahison" dans les manifestations

C'est dans cette commune d'Ardèche que le ministre du Travail est né, qu'il a été élu conseiller régional, député et maire. Mais depuis qu'il porte la réforme des retraites du gouvernement, Olivier Dussopt a les oreilles qui sifflent.
Article rédigé par Raphaël Godet - Envoyé spécial à Annonay (Ardèche)
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
La manifestation contre la réforme des retraites à Annonay (Ardèche), le 11 février 2023. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Raphaël Foïs a monté d'un coup le volume de la sono pile à ce moment-là. "Et maintenant, une chanson que vous connaissez tous : 'L'Opportuniste' de Jacques Dutronc ! Pour quelqu'un qui a aussi bien retourné sa veste que notre Olivier Dussopt, c'est idéal, n'est-ce pas ?" La foule exulte, reprend les paroles en levant les bras. Le secrétaire de l'Union locale CGT d'Annonay est content de sa trouvaille. Et pour cause : c'est dans cette commune d'Ardèche, située à 70 km au sud de Lyon, que l'actuel ministre du Travail est né il y a 44 ans, qu'il a été élu conseiller régional, puis député, puis maire. Mais depuis qu'il porte la réforme des retraites du gouvernement, l'enfant du pays a les oreilles qui sifflent.

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Samedi 11 février, ils étaient encore 6 500 à marcher dans les rues et 8 500 mardi lors de la dernière manifestation, selon la CGT, 5 500 selon la gendarmerie. "Cela représente la moitié des habitants", calcule approximativement Raphaël Foïs, béret sur le crâne. Dans cette ville d'un peu plus de 16 000 habitants, "normalement, une manif chez nous, c'est 200 ou 500 personnes".

Ici, encore plus qu'ailleurs, on n'a toujours pas digéré qu'"Olivier", comme tout le monde l'appelle, soit devenu macroniste. A l'avant du cortège, une banderole donne le ton : "Dussopt socialiste un jour, traître toujours." Michel, 51 ans, "pas syndiqué, pas politisé", a "'les boules". "J'ai tout le temps voté pour lui. Mais là, comment peut-il se regarder dans un miroir ? "Le père de famille a eu "un choc" en entendant l'élu du coin redire du bien de la réforme.

"Il me déçoit, il n'était pas comme ça quand je l'ai connu dans les années 2000."

Michel, un manifestant à Annonay

à franceinfo

Christian Bernardon, 77 ans, soudeur à la retraite, est lui aussi en colère. "J'ai même honte d'être Annonéen. Pour moi, c'est un collabo. Comment peut-on vriller comme ça ?" peste-t-il en redressant la pancarte spécialement fabriquée "en hommage" à celui qui a été son maire pendant neuf ans, de 2008 à 2017. 

La manifestation contre la réforme des retraites à Annonay (Ardèche), le 11 février 2023. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

"Olivier ?" Une dame croisée dans un commerce du centre-ville en parle d'ailleurs au passé : "Je le connais depuis 25 ans. C'était quelqu'un qui était proche des gens, quelqu'un de facile d'accès, quelqu'un avec qui on pouvait discuter. Je me sens trahie." Elle lui a dit ce qu'elle pensait il y a quelque temps : "Olivier, même si ce n'est pas ta faute directement, regarde : j'ai gardé des enfants toute ma vie, et je touche 800 euros par mois à la retraite." 

"Sifflez ! Qu'il entende notre colère !"

C'est un pur hasard, mais c'est ainsi : samedi, le cortège est passé devant un bâtiment de la Saur, avenue de la gare. La CGT en a profité pour "lancer une petite dédicace" : le ministre est soupçonné par la justice de "favoritisme" dans une affaire de marché public autour d'un contrat conclu en 2009 avec ce groupe de traitement des eaux. Hasard encore, une centaine de mètres plus loin, lorsque l'immeuble où vit Olivier Dussopt se dresse devant les manifestants. "Sifflez, sifflez ! Qu'il entende notre colère !" crie-t-on au micro.

La CGT se frotte les mains : "Avoir le 'Monsieur Retraites' de Macron qui est d'ici, c'est du pain béni. Sans le vouloir, il met en lumière notre combat." Dans le local du syndicat, quelqu'un a gribouillé à la craie "Dussopt, Borne, dehors !!!" sur le tableau. Sur une porte, un autre a collé une photo du ministre barrée du mot "traître". Juste en dessous, un petit malin a également punaisé une écharpe tricolore qui a appartenu à Olivier Dussopt, à l'époque où il n'était encore que secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Action et des Comptes publics.

Dans les locaux de la CGT à Annonay (Ardèche), le 11 février 2023. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

Dans une ville historiquement à gauche, qui a placé Jean-Luc Mélenchon en tête du premier tour de la dernière présidentielle, ce changement de camp ne passe pas. "Je n'ai pas oublié qu'Olivier Dussopt a dit un jour dans une interview qu'il lisait Karl Marx à 17 ans, poursuit Raphaël Foïs. Je n'ai pas oublié non plus qu'il était lui-même opposé à la réforme des retraites d'Eric Woerth en 2010". "Il a la réputation d'être un homme de dossier, un bosseur, et je pense que c'est vrai", commence par dire Christophe Goulouzelle, candidat Nupes qui a affronté Olivier Dussopt lors des dernières législatives dans la 2e circonscription d'Ardèche. "Enfin, je crois qu'il maîtrise surtout les éléments de langage et qu'il va là où le vent le mène."

"C'est un fusible"

En ville, le nom du ministre revient toujours dans les discussions. "On a même parlé de lui dans notre réunion de réflexologie, sourient deux femmes. Mais il faut faire attention à qui est là. Il y en a qui ont de la haine, c'est terrible." Les gérants d'un café de la place des Cordeliers, dans le centre-ville, ont fini par retirer du frigo une dédicace que leur avait faite "Olivier". Raison officielle : "Elle était abîmée..." En terrasse, un client tente une blague : "Pour combien vous prendriez son poste ?" Un monsieur ose : "Des millions. Faut bien ça pour accepter ce poste à la con, c'est un fusible". 

Raphaël Foïs, secrétaire général de l'union locale CGT d'Annonay (Ardèche), prépare une banderole avant la manifestation contre la réforme des retraites, le 11 février 2023. (RAPHAEL GODET / FRANCEINFO)

La réforme des retraites n'était évidemment pas à l'ordre du jour du dernier conseil municipal mi-janvier, mais c'est tout comme. "On en discute de manière informelle", concède Patrick Saigne, adjoint socialiste en charge de la jeunesse et la citoyenneté.

"C'est quand même embêtant ce qui se passe, car la très, très grande majorité des conseillers municipaux est contre cette réforme que défend Olivier."

Patrick Saigne, adjoint au maire d'Annonay

à franceinfo

L'actuel maire Simon Plénet semble aussi mal à l'aise. S'il est lui-même opposé au texte, cela ne "remet pas en cause les liens amicaux tissés avec Olivier Dussopt" ainsi que "la reconnaissance de l'immense travail que celui-ci a accompli sur le territoire", explique l'édile dans la presse locale.

"On n'est plus d'accord politiquement"

Un signe ? Le ministre "descend" moins qu'avant dans son fief. "Vous imaginez bien qu'il est occupé en ce moment !" le défend un proche. Avant de reconnaître que "les choses ont changé pour lui ici". Il était par exemple attendu aux vœux du maire, le 13 janvier dernier. "Il n'est pas venu au dernier moment, car il savait que nous, la CGT, on lui préparait un comité d'accueil", veut croire Raphaël Foïs.

Patrick Saigne, qui était déjà sur la liste d'Olivier Dussopt aux municipales en 2014, l'admet : "A la mairie, certains sont fâchés et en colère. Ils ne veulent plus lui parler, ils ont pris leurs distances. A titre personnel, j'aurais préféré qu'il soit ministre sous François Hollande que sous Emmanuel Macron. Maintenant, ça reste un ami. Simplement, on n'est plus d'accord politiquement."

Il y a quelques jours, il a échangé quelques SMS avec l'intéressé : "Bien sûr qu'il est affecté par tout ce qu'il entend et voit sur lui. Encore plus quand ça vient d'habitants qu'il a administrés."

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