Emeutes en Nouvelle-Calédonie : Kanaks, FLNKS, CCAT... Les mots pour comprendre la crise actuelle

Article rédigé par Thibaud Le Meneec
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7 min
Des émeutiers dans une rue de Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, le 14 mai 2024. (DELPHINE MAYEUR / AFP)
Depuis plus d'une semaine, l'archipel est en proie à des émeutes qui ont fait six morts, dans un contexte de fortes revendications indépendantistes sur ce territoire français ultramarin.

Six morts, des centaines de blessés, des risques de pénurie et un archipel en pleine crise : la Nouvelle-Calédonie est touchée depuis une semaine par de violentes émeutes déclenchées par des soutiens aux forces indépendantistes. Ces tensions ont éclaté alors qu'une révision constitutionnelle en cours prévoit de modifier le corps électoral de ce territoire de 271 400 habitants.

Qui sont les Kanaks ? Que représente l'accord de Nouméa ? Qu'est-ce que la CCAT ? Pourquoi la réforme constitutionnelle est-elle contestée par les indépendantistes ? Franceinfo passe en revue 13 termes essentiels pour tenter de comprendre les émeutes actuelles sur l'archipel.

Les Kanaks

Ils représentent la population autochtone mélanésienne de l'archipel et forment sa principale communauté : sur les 271 400 habitants, ils représentaient plus de 41% de la population, selon le dernier recensement de l'Institut de la statistique et des études économiques de la Nouvelle-Calédonie (Isee) réalisé en 2019. "C'était le peuple qui était là quand les Français sont arrivés, avec 3 000 ans de présence", résume Louis-José Barbançon, historien spécialiste de la Nouvelle-Calédonie. Ils étaient environ 27 000 au début des années 1920, contre plus de 110 000 lors du recensement de 2019.

La Kanaky

Il s'agit du nom donné à la Nouvelle-Calédonie par les indépendantistes opposés au pouvoir central français. Comme le rappelle Louis-José Barbançon auprès de franceinfo, "c'est un mot récent dans l'histoire du pays, qui a émergé dans les années 1970" et la poussée des revendications indépendantistes.  

Les Caldoches

Les Caldoches représentent l'une des principales communautés de la Nouvelle-Calédonie, avec 24% de la population, selon l'Isee. Le terme est en premier lieu utilisé par la communauté kanake pour désigner les descendants des colons libres ou des bagnards français, nés en Nouvelle-Calédonie. Les Calédoniens d'origine européenne n'utilisent pas ce terme, alors que les documents officiels français font état de la "communauté européenne". La moyenne d'âge de ces habitants est plus élevée que celle des Kanaks (environ 41 ans) et ils vivent souvent à l'opposé de cette autre communauté, au sud du territoire.

Les Zoreilles

C'est le surnom dont sont affublés les non-natifs de Nouvelle-Calédonie par certains kanaks. En 2019, lors du dernier recensement réalisé par l'Isee, 14% des habitants du "Caillou", le surnom de l'archipel, étaient nés en France métropolitaine ou dans un département d'outre-mer, 4% à l'étranger, 2,5% à Wallis et Futuna et 1,5% en Polynésie française.

Le FLNKS

En Nouvelle-Calédonie, le principal clivage politique ne se situe pas entre gauche et droite ou entre souverainistes et libéraux, mais entre indépendantistes et non-indépendantistes. Le FLNKS (Front de libération nationale kanak et socialiste) est le principal mouvement indépendantiste. Il a été créé en 1984, après la dissolution du Front indépendantiste, et il est composé de "plusieurs partis avec des spécificités propres", souligne Louis-José Barbançon. Ces structures luttent pour l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie, en s'inscrivant dans l'histoire de la lutte contre la colonisation. 

La CCAT

La Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) est une organisation récente, créée en novembre 2023. "C'est un groupement de fait qui regroupe l'ensemble des partis nationalistes du FLNKS", dont il est "assez autonome", observe Mathias Chauchat, professeur de droit public à l'université de Nouvelle-Calédonie. La CCAT est frontalement opposée à la réforme électorale, point de départ de la crise actuelle.

La CCAT est dans le collimateur du gouvernement : les autorités accusent ses responsables d'être les commanditaires des violences. Le parquet de Nouméa a ouvert une enquête notamment pour association de malfaiteurs visant "des commanditaires" des émeutes, dont "certains membres de la CCAT". Le collectif indépendantiste a été qualifié d'"organisation mafieuse" par le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin.

Les indépendantistes, dont certains ont été assignés à résidence, parlent d'une "campagne de désinformation" orchestrée par l'Etat. "Criminaliser les dirigeants de la CCAT, c'est criminaliser directement des membres de la direction des partis du FLNKS", estime Mathias Chauchat, qui alerte sur le "risque" pour Paris de "se priver d'interlocuteurs".

Les non-indépendantistes et les loyalistes

Les premiers sont partisans d'un maintien de la Nouvelle-Calédonie dans le giron de la France, sans processus vers l'indépendance. Une partie d'entre eux sont des loyalistes, des sympathisants du mouvement politique de l'ancienne secrétaire d'Etat Sonia Backès, opposés à l'indépendance.

Les accords de Matignon

Ils ont été signés en 1988 après un soulèvement kanak et de violents affrontements entre les indépendantistes et les forces de l'ordre, qui culminent avec une prise d'otages meurtrière dans une grotte de l'île d'Ouvéa, au printemps 1988. A la fin du mois de juin, sous l'égide du Premier ministre Michel Rocard, le mouvement de l'anti-indépendantiste Jacques Lafleur et le FLNKS du Kanak Jean-Marie Tjibaou concluent un accord pour rétablir la paix.

Les accords ratifiés en novembre 1988 créent trois provinces dans l'archipel : la Province Nord, la Province Sud et la Province des îles Loyauté. Ils prévoient aussi un rééquilibrage économique en faveur des Kanaks, un référendum local sur l'indépendance prévu dix ans plus tard et l'ouverture du corps électoral aux populations autochtones.

L'accord de Nouméa en 1998

En 1998, l'accord de Nouméa reconnaît d'abord que "le choc de la colonisation a constitué un traumatisme durable pour la population d'origine"L'accord dote l'archipel d'un statut unique en France, avec une autonomie progressive et un gouvernement propre à ce territoire. Inscrit dans la Constitution, l'accord prévoit la mise en place d'un corps électoral spécifique. Les référendums d'autodétermination sont repoussés de 20 ans.

La révision constitutionnelle de 2007

Depuis la révision constitutionnelle de 2007, seules les personnes inscrites sur les listes électorales avant la signature de l'accord de Nouméa, en 1998, peuvent voter aux élections provinciales. Concrètement, ce changement donne aux Kanaks une voix prépondérante dans certains scrutins.

Le "destin commun"

Cette expression figure dans le préambule de l'accord de Nouméa en 1998 : "Il est aujourd'hui nécessaire de poser les bases d'une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie, permettant au peuple d'origine de constituer avec les hommes et les femmes qui y vivent une communauté humaine affirmant son destin commun".

"Il s'agit d'une périphrase pour le peuple calédonien, qui n'est pas lui-même évoqué", explique Mathias Chauchat. "L'idée générale de l'accord de Nouméa est que les deux affluents de population, le peuple kanak et le peuple français, puissent à l'occasion du 'oui' à l'indépendance constituer ensemble le peuple calédonien. Le peuple calédonien n'existe pas, il naîtra du 'oui' au destin commun dans un pays commun", replace le professeur.

Les référendums de 2018, 2020 et 2021

L'accord de Nouméa prévoyait trois référendums sur l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie, en cas de vote négatif pour les deux premiers, ce qui s'est vérifié. Le "non" à l'indépendance l'a emporté à 56,4% en 2018 et à 53,26% en 2020.

En 2021, le troisième scrutin est marqué par une très forte abstention du camp indépendantiste, qui réclamait un report en raison de la crise du Covid-19. Cette abstention se traduit logiquement par une victoire écrasante des partisans du "non" à l'indépendance, à 96,49%. Après ces référendums, les responsables politiques locaux n'ont pas réussi à s'entendre sur un nouveau statut pour ce territoire.

La révision constitutionnelle de 2024

Le projet de révision constitutionnelle prévoit de remettre en question la révision constitutionnelle de 2007. "C'est une rupture fondamentale", insiste Mathias Chauchat. Elle a pour but d'ouvrir le corps électoral à tous les natifs et aux personnes ayant au moins dix ans de résidence en Nouvelle-Calédonie. D'après les estimations du gouvernement, qui veut rendre le corps électoral "plus conforme aux principes de la démocratie", 25 000 personnes supplémentaires pourraient ainsi se rendre aux urnes.

Le texte a été voté par le Sénat puis l'Assemblée nationale, mercredi dernier. Puisqu'il s'agit d'une réforme constitutionnelle, le Parlement doit l'adopter en Congrès. Ce rendez-vous politique majeur est théoriquement prévu pour le mois de juin, mais des voix s'élèvent pour demander à l'exécutif son report. Pour le camp indépendantiste, il s'agit d'un "coup de force" ayant pour but de mettre les Kanaks en minorité.

"Le dégel du corps électoral des élections provinciales est une nécessité juridique et démocratique", justifie de son côté Matignon. Selon certains spécialistes, cette réforme a conduit aux émeutes actuelles. "On sait pertinemment que toucher au corps électoral, sans un accord global et un compromis général, c'est déterrer la hache de guerre", explique Benoît Trépied, chargé de recherches au CNRS, à franceinfo.

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