Vrai ou faux On a vérifié six affirmations du Raptor, le youtubeur qui qualifie le réchauffement climatique d'"arnaque mondiale"
"Je suis de retour pour anéantir l'escroquerie climatiste." La figure de la fachosphère Ismaïl Ouslimani, alias le Raptor (anciennement Raptor Dissident), a refait surface sur YouTube après deux ans de silence. Ces dernières années, le vidéaste s'était spécialisé dans le coaching et la vente de compléments alimentaires, dont il fait d'ailleurs toujours mention. Dans sa nouvelle vidéo, publiée dimanche 8 septembre et qui a dépassé les 700 000 vues en une semaine, il s'attaque à un nouveau sujet : le réchauffement climatique. Il promet le "décryptage d'une arnaque mondiale". A l'aide d'un montage habile et rythmé, truffé de références aux dessins animés japonais, le vidéaste relativise la contribution humaine à l'élévation des températures. Il enchaîne pendant 1h12 les raccourcis trompeurs, les contrevérités, les raisonnements fallacieux, voire les théories du complot, les insultes et les attaques. Autant de procédés à même d'instiller le doute.
Cette vidéo est "un medley [mélange] des arguments climatosceptiques classiques que je présente à mes étudiants", observe auprès de franceinfo Roland Séférian, ingénieur-chercheur au Centre national de recherches météorologiques (CNRM) de Météo-France, et coauteur du rapport spécial du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) de 2018. S'il y a un air de déjà-vu, c'est parce que le livre Unsettled (2021) du physicien américain Steven Koonin, ancien scientifique en chef du géant pétrolier BP devenu une égérie des climatosceptiques, "a servi grandement à l’élaboration de cette vidéo". Le Raptor le reconnaît au détour d'un document (en PDF) dans lequel il laisse entendre qu'il présente les sources de son travail, mais qui lui sert en réalité à dénigrer ses détracteurs. Franceinfo décrypte six affirmations du vidéaste.
1 Les températures variaient déjà dans le passé : trompeur
Pour le Raptor, inutile de s'inquiéter puisque "des siècles de températures plus élevées ont précédé un petit âge de glace entre 1450 et 1850, avant de repartir sur un réchauffement plus rapide jusqu'à aujourd'hui". Certes, le climat alterne depuis toujours entre périodes glaciaires et interglaciaires, plus chaudes, avec parfois des pics. Mais, comme le rappelait la climatologue Valérie Masson-Delmotte en 2023 à franceinfo, ces changements se sont opérés sur "plusieurs dizaines ou centaines de milliers d'années", à un rythme "d'à peu près un degré par millénaire" pour le plus rapide de ces changements. Aujourd'hui, le rythme du réchauffement est d'un degré de plus en 100 ans. C'est "exceptionnel à l'échelle planétaire par rapport à ces variations passées", soulignait-elle. Et cela ne laisse pas le temps aux écosystèmes de s'adapter.
Selon une étude de 2021 de chercheuses de l'Institut de Potsdam pour la recherche sur l'impact climatique (PIK), les émissions de CO2 liées aux activités humaines pourraient reporter "l'apparition naturelle du prochain début de période glaciaire dans 600 000 ans ou plus", au lieu de 120 000 ans si ce cycle naturel était suivi.
2 L'effet de serre est utile : à nuancer
"Merci l'effet de serre", se réjouit le Raptor, qui expose : grâce aux gaz à effet de serre qui retiennent une partie de l'énergie solaire, "la terre congelée remonte de -18°C (température d'équilibre planétaire) à environ +15°C de moyenne". C'est vrai, mais c'est réducteur et trompeur. "Sans cet effet de serre, la température moyenne négative sur Terre serait impropre à la vie", explique Roland Séférian. Le Raptor "en déduit que l'effet de serre, c'est bon. Mais il ne fait pas la différence entre les chiffres sur l'état naturel du système et la perturbation [d'origine humaine]. Il compare des pommes et des poires", résume le chercheur.
Cet "état naturel" de la Terre est aujourd'hui menacé. "Les activités humaines, principalement par le biais des émissions de gaz à effet de serre, ont sans équivoque provoqué le réchauffement de la planète", estime le Giec dans son sixième et dernier rapport. Le dioxyde de carbone (CO2) est le principal gaz à effet de serre. Il représente à lui seul les trois quarts des émissions mondiales. Et, entre 2013 et 2022, il a été émis à 88% lors de la combustion de charbon, pétrole ou gaz, selon les travaux des chercheurs du Global Carbon Budget 2023. En mai 2022, l'Agence américaine d'observation océanique et atmosphérique (NOAA) avait signalé que la barre des 420 parties par million (ppm), l'unité de mesure utilisée pour quantifier la pollution dans l'air, avait été franchie. Avant la révolution industrielle, le niveau de CO2 se maintenait autour de 280 ppm de manière constante, soit 1,5 fois moins, rappelait alors la NOAA. Le niveau atteint désormais "est comparable" à ce qu'il était il y a "entre 4,1 et 4,5 millions d'années", notait l'agence. Bien avant l'apparition de l'espèce humaine sur Terre.
3 La montée des eaux n'est pas un problème puisqu'elle est "cyclique" : trompeur
Le youtubeur assure qu'Al Gore, vice-président démocrate pendant le mandat de Bill Clinton et figure américaine de la lutte contre le réchauffement climatique, ainsi que le Giec avaient prévu en 2007 "l'élévation catastrophique du niveau des eaux, jusqu'à 6 mètres d'ici 2016, recouvrant totalement la Statue de la Liberté" à New York. Une allégation non sourcée et erronée. "Il aurait pu être scénariste pour le film Le Jour d'après", rétorque Angélique Melet, océanographe à l'institut de recherche toulousain Mercator Ocean International (MOI). En 2007, à l'époque du 4e rapport du Giec, les projections se situaient entre "20 et 60 cm" pour l'élévation du niveau de la mer, entre la fin du XXe siècle et la fin du XXIe siècle, rappelle la spécialiste.
Depuis 2007, les projections ont été revues à la hausse, mais elles restent bien en deçà du chiffre avancé par le Raptor. "Le scénario le plus probable, si l’on émet très fortement des gaz à effet de serre, c'est une hausse de 80 cm d'ici à 2100", explique Angélique Melet. Il existe un scénario plus extrême encore, avec une montée de deux mètres, qui serait provoquée par une fonte plus rapide des calottes glaciaires. Mais ce scénario "fixe une limite haute pour 2100", tempère la spécialiste de la montée des eaux.
Comme il le fait pour les variations de température, le Raptor met en avant l'aspect "cyclique" du phénomène, rappelant que la montée des eaux, "c'est le cas depuis 12 000 ans". En effet, le niveau de la mer varie au gré de la fonte des glaces. Ainsi, lorsque la Terre est sortie d'une période glaciaire, il y a 20 000 ans, et que les calottes glaciaires se sont effondrées, "il y a eu une hausse du niveau de la mer de 130 mètres en plusieurs millénaires", explique Angélique Melet.
"Ce qu'on voit aujourd'hui est une hausse très rapide, dans un contexte tout autre, qui n'est pas celui d'une période de déglaciation naturelle", alerte l'océanographe. La montée des eaux bouleverse déjà les îles du Pacifique, au point que l'ONU a lancé un "SOS mondial" fin août. Le littoral français est également menacé par l'érosion. Près de 500 communes à risque ont été identifiées. Plusieurs centaines de milliers de bâtiments seront potentiellement touchés d'ici à 2100, selon un rapport du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema).
4 Les phénomènes climatiques extrêmes ne sont pas plus puissants qu'avant : faux
"Les ouragans et les tempêtes, RAS [rien à signaler]. Pareil pour les sécheresses, inondations et feux de forêt", assène le Raptor. Pour le youtubeur, ces phénomènes ne sont pas plus violents aujourd'hui que par le passé. Un constat à rebours du consensus scientifique. "Le nombre global de cyclones tropicaux n'a pas changé au niveau mondial, mais le changement climatique a augmenté la survenue des tempêtes les plus intenses et destructrices", constate le World Weather Attribution (WWA), un groupe de scientifiques qui étudie le lien entre événements météorologiques extrêmes et climat.
En effet, les ouragans se forment au-dessus d'eaux chaudes. "On observe, que ce soit dans le golfe du Mexique, l'océan Pacifique, la Méditerranée, l'Atlantique, des températures qui sont très fortes et qui sont de l'énergie transférée vers ces cyclones", détaillait en 2023 à franceinfo Alix Roumagnac, ingénieur et président de Predict Services. "C'est pour cette raison que l'on observe des cyclones de plus en plus puissants." Le dernier rapport du Giec anticipe d'ailleurs une augmentation à l'échelle mondiale de "la proportion de cyclones tropicaux intenses" avec le réchauffement climatique. En France, comme le montrent les données de Météo-France analysées par franceinfo, les tempêtes se sont aussi intensifiées depuis 1980.
"Des preuves des changements observés dans les phénomènes extrêmes, comme les vagues de chaleur, les fortes précipitations, les sécheresses et les cyclones tropicaux, et, en particulier, leur attribution à l'influence humaine, ont été encore renforcées" ces dernières années, note le Giec dans son dernier rapport. Le groupe d'experts prévoit une intensification des cyclones et des tempêtes, mais aussi des sécheresses et des incendies. Selon le climatologue Roland Séférian, les scientifiques anticipent aussi "une intensification du cycle hydrologique, avec des régions humides de plus en plus humides, et des phénomènes de sécheresse exacerbés dans les régions sèches". La sécheresse et les fortes chaleurs liées au réchauffement climatique contribuent d'ailleurs à fragiliser la végétation, en la rendant plus inflammable. Le nombre et l'intensité des feux de forêt extrêmes ont d'ailleurs déjà plus que doublé depuis vingt ans, selon une étude de la revue Nature Ecology & Evolution.
5 La modélisation climatique est imprécise : trompeur
Dans sa vidéo, le Raptor s'attaque aux modèles climatiques du Giec, manipulés selon lui afin de coller à la "propagande climatiste" attribuée au cofondateur du Forum économique mondial Klaus Schwab, personnalité honnie des complotistes, et à la présidente de la Commission européenne, Ursula Von der Leyen. "Plus on en apprend sur le climat, plus nos grilles tridimensionnelles [les modèles climatiques] s'affinent, plus les incertitudes semblent augmenter", affirme-t-il, les accusant de mal représenter les événements climatologiques du passé et de ne pas comprendre ceux du présent. Or, ce n'est pas leur rôle.
"Nos outils de modélisation ne sont pas faits pour reproduire la chronologie des événements météorologiques ou climatiques passés", explique Roland Séférian. "Ils sont là pour analyser la perturbation. Et là, on arrive bien à représenter que le réchauffement observé aujourd'hui est imputé à 100% à l'activité humaine", tranche le climatologue. Autrement dit : la modélisation climatique est fiable. Par ailleurs, tout au long de sa démonstration, le vidéaste "confond les prévisions météorologiques (...) et les projections climatiques", pointe auprès du média Vert Christophe Cassou, climatologue, directeur de recherche au CNRS et coauteur du dernier rapport du Giec. Cela traduit, pour le chercheur, "une incompréhension totale du fonctionnement même du système climatique".
6 Le résumé du Giec est biaisé et rédigé par les gouvernements : faux
A croire le vidéaste, il existerait une conspiration autour du réchauffement climatique, ourdie par les gouvernements, les médias, les influenceurs et les ONG, afin de contrôler la population et en tirer un bénéfice financier. Les scientifiques du Giec participent selon lui à cette "stratégie de manipulation des médias", également utilisée dans le "covidisme", allusion à la crise sanitaire du Covid-19. Quant à leur rapport préliminaire, il ne ferait pas l'objet d'une validation par des observateurs neutres. Le youtubeur réclame la "mise en place d'une 'red team', une équipe de scientifiques sans pitié qui serait chargée de confronter l'étude en la reproduisant de manière indépendante". Ces allégations sont, une fois de plus, infondées et sa description du travail des membres du Giec est trompeuse.
"Pour le dernier rapport du Giec, nous avons examiné environ 66 000 publications scientifiques, qui sont par nature passées par le filtre de la révision [par les pairs]. Nos 'brouillons', le petit nom de nos versions de travail, ont été commentés par 3 000 relecteurs [scientifiques] de 92 pays, qui ont laissé plus de 200 000 remarques, auxquelles nous avons intégralement répondu", rappelle Christophe Cassou auprès de Vert.
Quant à la version synthétique du rapport du Giec, le résumé à l'intention des décideurs, le Raptor soutient que celui-ci est "fortement influencé, si ce n'est carrément rédigé par les gouvernements". Ce condensé "ne sort pas de la poche des gouvernements", conteste le climatologue Roland Séférian. "La première version du résumé émane des scientifiques, qui ont eux-mêmes participé à la rédaction du rapport complet. Elle est relue, corrigée, et c'est uniquement la version finale qui est validée par les délégations", explique le chercheur, qui pointe un "processus de coconstruction", dans lequel "c'est toujours le scientifique qui a le dernier mot".
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