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Les ratés du climat (4/6) : l'élection manquée d'Al Gore

Aux États-Unis, Al Gore a longtemps été l'un des rares dirigeants à se préoccuper du changement climatique. Mais en 2000, il perd l'élection présidentielle face à George W. Bush. Que se serait-il passé si Al Gore avait été élu ?
Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Temps de lecture : 8min
L'élection manquée d'Al Gore. (STEPHANIE BERLU / RADIO FRANCE)

Quand il était étudiant à Harvard, Al Gore avait eu cours avec Roger Revelle, un des pionniers de la science du climat aux Etats-Unis. À l’époque, le changement climatique est encore assez peu connu, et les premiers travaux de modélisation ne sont guère pris au sérieux.

En 1981, Al Gore, jeune élu du Tennessee, est président d'une sous-commission de contrôle de la commission "Science et Technologie" du Congrès. Autant dire qu'il est totalement inconnu. Il a l'idée d'utiliser la sous-commission qu'il préside pour organiser des auditions de scientifiques, sur divers sujets environnementaux.

Le trou dans la couche d'ozone face au changement climatique

Mais cet intérêt naissant pour le changement climatique va être tué dans l'œuf par l'administration Reagan, qui ne voit pas de raison de s'affoler. Et les gouvernements allaient plutôt s'attacher à résoudre un autre problème environnemental : celui du trou dans la couche d'ozone, qui avait été découvert quelques années plus tôt. Pour la couche d'ozone, tout va très vite : les gaz à effet de serre qui sont responsables de sa destruction sont les CFC, les chlorofluorocarbures. On va rapidement leur trouver des substituts industriels, et les politiques vont se saisir du problème : le trou dans la couche d'ozone alarme l'opinion publique, et capture les peurs de l'époque. 

Un collègue républicain d'Al Gore, Curtis Moore, va avoir l'idée d'utiliser l'engouement pour la couche d'ozone de manière à en faire bénéficier le changement climatique : comme un cycliste qui se place dans le sillage d'un autre pour bénéficier de sa traînée, il s'agit d'arrimer le changement climatique à la locomotive du trou dans la couche d'ozone, contre lequel on prend des mesures radicales. Et en juin 1986, avec Al Gore, James Hansen et toute la bande, on va réaliser au Sénat américain une audition conjointe sur le trou dans la couche d'ozone et le changement climatique. La presse va s'emparer des deux sujets, et c'est à partir de là que la confusion du public entre le trou dans la couche d'ozone et le changement climatique va devenir courante. 

À l’époque, on est convaincu que le changement climatique va faire, lui aussi, l'objet d'un traité environnemental contraignant, comme pour la couche d'ozone. Entretemps, Al Gore a été élu sénateur du Tennessee, et il a même envisagé de se présenter à la présidentielle en 1987, pour attirer l'attention sur le sujet du changement climatique. Il va donc à nouveau convoquer James Hansen pour des auditions au Sénat. L'audition la plus marquante a lieu le 23 juin 1988. Ce jour-là, la chaleur est étouffante : il fait 37 degrés à Washington, c'est le 23 juin le plus chaud que les Etats-Unis n'aient jamais enregistré. L'université Harvard devra même fermer quelques jours à cause de la chaleur. Devant les sénateurs, Hansen fait une déclaration choc : le changement climatique était déjà là. 

"Le mode de vie américain n'est pas négociable"

Aux Etats-Unis précisément, en pleine campagne électorale, le futur président George Bush Senior se présente comme un grand environnementaliste. Au lendemain de son élection, il prend conseil auprès des anciens présidents Carter et Ford, qui lui conseillent de faire du climat une grande priorité nationale, et de doubler le budget de l'Agence fédérale de Protection de l'Environnement. Mais pendant tout son mandat, les Etats-Unis vont traîner les pieds sur le climat, jusqu'à cette fameuse phrase qu'il prononce lors du Sommet de la Terre à Rio : "Le mode de vie américain n'est pas négociable". 

En 1992, Al Gore aurait pu se présenter à l'élection présidentielle, mais un événement tragique allait en décider autrement : en 1989, son fils est grièvement blessé dans un accident de voiture, ce qui l'amènera à reconsidérer ses priorités. Mais lors de la campagne électorale de 1992, Al Gore va néanmoins être choisi comme colistier par Bill Clinton : en tant que sénateur, il avait déjà une solide expérience politique, et surtout il était connu pour son engagement écologiste. Clinton va être élu, ce qui va donner à Al Gore la possibilité de remettre le changement climatique à l'avant-plan.  

Grâce à sa proximité avec Bill Clinton, Gore est généralement considéré comme l'un des vice-présidents les plus influents et actifs de l'histoire des Etats-Unis. Il engage plusieurs initiatives visant à promouvoir les énergies renouvelables ou à réduire la déforestation, mais surtout il va jouer un rôle moteur dans la négociation du Protocole de Kyoto. Il s'y implique personnellement et fait le voyage au Japon. 

En 1999, c'est son heure. Le 16 juillet, il annonce officiellement sa candidature à la présidence des Etats-Unis. Il va facilement remporter la primaire démocrate face à un ancien joueur de basket-ball, Bill Bradley, et va choisir le sénateur du Connecticut Joe Liebermann comme colistier. La campagne est serrée, il est au coude-à-coude avec George W. Bush, le fils de l'ancien président. Le changement climatique est un point central de sa campagne, mais Gore donne parfois l'impression d'être condescendant face à George W. Bush dans les débats télévisés. Il est gêné par un petit candidat écologiste indépendant, Ralph Nader, qui obtiendra finalement 2,79% des voix.

Al Gore remporte le vote populaire... Mais pas l'élection

Le jour de l'élection, le 7 novembre 2000, Al Gore va perdre trois Etats-clés. S'il avait gagné un seul de ces Etats, il aurait été élu président. Il va d'abord perdre son propre Etat, le Tennessee. Ensuite, il va perdre le Virginie Occidentale et ses cinq grands électeurs. À l’époque, la Virginie occidentale est un Etat plutôt démocrate - Bill Clinton l'a gagné facilement, en 1992 et en 1996. Mais c'est aussi un Etat dont l'économie repose largement sur les mines de charbon. Et l'engagement d'Al Gore pour le climat va effrayer les électeurs de Virginie Occidentale. Et surtout, il va perdre la Floride, qui était encore considérée comme un Etat pivot à l'époque. Le vote va être incroyablement serré. Il y a énormément de bulletins litigieux, il faut procéder à des recomptages.

Finalement c'est la Cour Suprême, plus d'un mois après l'élection, le 12 décembre, qui va attribuer la Floride à George W. Bush, par 5 voix contre 4 parmi les juges de la Cour. Al Gore a largement remporté le vote populaire au niveau national, mais George W. Bush a remporté la Floride par 537 voix d'avance, soit 0,009%. C'est l'une des élections les plus disputées de l'histoire des Etats-Unis. George W. Bush est élu avec 271 Grands électeurs, contre 266 à Al Gore, qui reconnaît sa défaite le 13 décembre 2000.

Que se serait-il passé si Al Gore avait élu ? "Les Etats-Unis auraient pu prendre le leadership de la lutte contre le réchauffement climatique", estime Jean Jouzel. Mais ça ne sera hélas jamais le cas.


"Les ratés du climat", un podcast franceinfo de François Gemenne en collaboration avec Pauline Pennanec'h, réalisé par François Richer, mis en ondes par Thomas Coudreuse. Un podcast à retrouver sur le site de franceinfo, l'application Radio France et plusieurs autres plateformes comme Apple podcasts, Podcast Addict, Spotify, ou Deezer.

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