Comment le secteur spatial russe se porte-t-il avant l'envoi d'un vaisseau Soyouz vers l'ISS ?

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié
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Le vaisseau Soyouz MS-25 sur le pas de tir du cosmodrome de Baïkonour, au Kazakhstan, le 18 mars 2024. (ROSCOSMOS / AFP)
Pionnière de la conquête spatiale, l'agence russe Roscosmos peine désormais à mener des projets ambitieux, malgré une technologie fiable datant des années 1960.

Du retard à l'allumage. La Russie doit tenter de lancer, samedi 23 mars, après un report de deux jours, un vaisseau Soyouz vers la Station spatiale internationale (ISS). L'équipage du MS-25, qui doit décoller de la base de Baïkonour au Kazakhstan, compte trois membres : l'astronaute américaine Tracy C. Dyson, le cosmonaute russe expérimenté Oleg Novitski et la première cosmonaute biélorusse Marina Vassilevskaïa.

Alors que la Russie compte arrêter sa collaboration au sein de l'ISS après 2025, et qu'elle a essuyé un échec lors d'une tentative d'alunissage en août 2023, franceinfo dresse le bilan du secteur spatial russe.

Il est vieillissant

Au XXe siècle, l'Union soviétique était aux avant-postes de la conquête spatiale avec les Etats-Unis. Mais au fil des décennies, le secteur spatial russe a ralenti son développement. Si sa technologie est fiable, celle-ci vieillit et n'est pas renouvelée. "La colonne vertébrale du secteur spatial repose sur des éléments développés dans les années 1960. C'est de la très ancienne technologie", remarque Paul Wohrer, spécialiste des questions spatiales à l'Institut français des relations internationales (Ifri). Pour lui, la Russie est désormais "une puissance spatiale en déclin".

L'agence spatiale Roscosmos est "sous-financée", relevait la géographe Isabelle Sourbès-Verger sur franceinfo en août 2023. Conséquence : la Russie peine à innover.

"La Russie a envoyé le premier satellite en 1957 et le premier homme dans l'espace en 1961, mais elle n'arrive pas à créer de nouveaux projets."

Paul Wohrer, spécialiste des questions spatiales

à franceinfo

En face, la concurrence s'est renforcée. L'Europe s'est affirmée puis, plus récemment, d'autres pays comme la Chine ou encore l'Inde ont développé leur secteur spatial. Sans compter l'effervescence des acteurs privés, la montée en puissance de SpaceX, et de tout un vivier de start-up, communément appelé le milieu du "New Space".

Il est déclinant 

La Russie ne compte pas pour autant se laisser déborder. Elle s'est lancée dans la nouvelle course vers la Lune alors que les missions se multiplient, comme Artemis, menée par la Nasa, qui prévoit d'installer de façon durable une base au pôle Sud de notre satellite naturel.

Sauf que le programme Luna-25 s'est soldé par un échec : en août, la sonde russe s'est écrasée sur la Lune. Un revers d'autant plus symbolique que la Chine et l'Inde ont réussi cette tâche particulièrement compliquée. "Même en termes d'exploration interplanétaire, là où elle était pionnière, la Russie n'arrive plus" à mener des projets majeurs, relève Paul Wohrer.

Anticipant la fin de l'ISS prévue pour 2030, Moscou compte lancer une nouvelle station spatiale russe, présentée comme la priorité de Roscosmos. Vladimir Poutine a affirmé en octobre que le premier segment de cette station devrait être mis en orbite en 2027. Cette échéance doit être prise avec précaution, car les retards sont monnaie courante pour la Russie. Moscou et Pékin ont aussi annoncé en 2021 la construction d'une station spatiale "à la surface ou en orbite" de la Lune. Mais "la Chine évoque de plus en rarement son partenaire russe et le programme semble être mené principalement par la Chine", souligne Paul Wohrer.

Même sur des éléments à la fiabilité robuste, comme ses lanceurs Soyouz qui lui permettraient de nourrir ses grandes ambitions, la Russie se retrouve en difficulté. Plusieurs incidents ont été constatés ces dernières années : un lancement en 2018 s'est soldé par un échec, ce qui est rarissime. Un autre Soyouz transportant un robot n'a pas réussi à s'arrimer à l'ISS en 2019. Plus récemment, en 2023, d'importantes fuites de liquide de refroidissement ont été observées sur un vaisseau, obligeant Washington et Moscou à élaborer un plan de secours pour récupérer deux Russes et un Américain bloqués dans l'ISS. "On constate une perte importante de qualité et du contrôle qualité", selon Paul Wohrer.

Il est corrompu

Plus grave, le secteur spatial russe est "extrêmement corrompu, à toutes les strates", assure Paul Wohrer. En décembre 2023, le directeur adjoint de l'agence spatiale russe a ainsi été accusé de corruption et placé en détention. Ce dirigeant et deux autres personnes ont été accusés de "fraude à grande échelle" pour un montant de 435 millions de roubles, soit 4,3 millions d'euros. Ils sont en attente de leur jugement.

"Cette corruption massive pose des problèmes majeurs : des pas de tirs ont du mal à être construits."

Paul Wohrer, spécialiste des questions spatiales

à franceinfo

En 2018, quatre responsables d'une entreprise impliquée dans le chantier du cosmodrome de Vostotchny (Russie) ont été condamnés à des peines allant de quatre ans et demi à huit ans de prison pour des détournements estimés à 1,3 milliard de roubles (17,8 millions d'euros au taux de l'époque). Le site avait été livré avec plusieurs mois de retard sur le plan initial, devenant le symbole d'une partie des problèmes du secteur spatial russe. "J'attends de vous une attitude plus responsable", avait déclaré Vladimir Poutine l'année suivante au cours d'une réunion avec des responsables du secteur, à la suite d'une visite du cosmodrome.

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