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Station spatiale, exploration de la Lune, rover sur Mars... Que vaut le programme spatial chinois ?

Les spécialistes interrogés par franceinfo s'accordent à dire qu'il est sérieux, fiable, et qu'avec ses activités dans l'espace, la Chine n'a pas à rougir face aux Etats-Unis.

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6 min
Une fusée chinoise Long March 5B décolle du centre spatial de Wenchang, dans la province chinoise du Hainan, le 31 octobre 2022. (CNS / AFP)

Tiangong, "palais céleste" en mandarin. C'est le nom de la station spatiale chinoise (CSS), qui doit être achevée d'ici la fin de l'année, selon Pékin. Son dernier module s'est arrimé avec succès, le 2 novembre, donnant à la station sa forme de T. Des taïkonautes ont ensuite pu y pénétrer, a rapporté l'agence d'Etat Chine nouvelle. Ils ont été rejoints par trois collègues, mercredi 30 novembre, et ont pu réaliser le tout premier transfert d'équipage en orbite de la Chine. Avec cette station orbitale et ses récents exploits, la Chine affiche en grand ses ambitions dans l'espace. Son programme est-il à la hauteur ?

La Chine est entrée en 2003 dans le club restreint des pays capables d'envoyer des humains dans l'espace. Elle n'a cessé de progresser depuis. En avril, trois taïkonautes sont revenus sur Terre après six mois en orbite. Ce périple de 183 jours a pulvérisé le précédent record de 92 jours, établi l'année précédente. La CSS en cours de finition confirme aussi, entre autres, la maîtrise chinoise des vols habités, avec des hommes et des femmes réalisant désormais des sorties extravéhiculaires, c'est-à-dire dans l'espace, de plusieurs heures.

Comme la Station spatiale internationale (ISS), Tiangong orbite à environ 400 km d'altitude. Trois fois plus petit (110 m3 contre 388 m3), le "palais céleste" doit fonctionner une dizaine d'années minimum et devenir le laboratoire de diverses expériences en matière de sciences de la vie et de physique, selon le média d'Etat chinois CGTN.

A la conquête de la face cachée de la Lune

Au-delà des vols habités et de cet assemblage en impesanteur, la Chine enregistre plusieurs réalisations notables. La mission Chang'e 4 (Chang'e désignant la déesse de la Lune) a réalisé une première mondiale en se posant sur la face cachée de la Lune, en janvier 2019. Une prouesse car le relief de cette face est bien plus accidenté que celui de la face visible, sans compter qu'elle nécessite davantage de technique. "C'est très compliqué de le faire parce qu'il faut un satellite relais", explique Gilles Dawidowicz, vice-président de la Société astronomique française.

Depuis, le rover Yutu-2 ("Lapin de jade-2") continue son exploration du satellite naturel de la Terre. "Les rovers que les Chinois envoient sur la Lune ont des autonomies et des longévités incroyables", remarque encore Gilles Dawidowicz. Le médiateur scientifique Pierre Henriquet avait rapporté en mai une aventure du petit robot.

Nouveau tour de force en décembre 2020. La Chine est devenue le troisième pays, après les Etats-Unis et la Russie, à ramener des échantillons de roches lunaires avec la mission Chang'e 5 : 1,7 kg (contre un total de 382 kg ramenés sur Terre par les Etats-Unis). L'analyse des prélèvements réalisés par la Chine a mis en évidence un volcanisme tardif de la Lune. Ces échantillons sont datés de 2 milliards d'années alors que les spécialistes estimaient qu'il n'y avait plus d'activité sur le satellite naturel de la Terre depuis 3,5 voire 4 milliards d'années.

Un robot chinois sur Mars

Fort de ces succès, Pékin poursuit son exploration. En mai 2021, a mission Tianwen-1 ("Questionnement au ciel-1"), dépose le robot Zhurong (Dieu du feu) sur Mars. Seuls les Américains avaient réalisé une telle prouesse jusqu'alors. "Les Chinois ont réussi du premier coup", souligne Gilles Dawidowicz. Depuis son arrivée, Zhurong a parcouru quelque 2 km et pris des photos de la planète rouge.

En route vers le sud de Mars, Zhurong continue à documenter les paysages dans lesquels il évolue. Les scientifiques chinois ont aussi eu l'idée de lui faire prendre un selfie, à l'aide d'une caméra sans fil posée au sol.

La mission initiale de quatre-vingt-dix jours de Zhurong a été prolongée à plusieurs reprises. En hibernation depuis le 18 mai, avec l'arrivée de l'hiver dans l'hémisphère sud, le rover pourrait reprendre ses activités fin décembre, a rapporté sur Twitter (en anglais) un journaliste américain spécialiste du programme spatial chinois.

Des années de retard rattrapées

Toutes ces prouesses sont le fruit d'un travail de long terme. "Le programme spatial chinois a véritablement commencé au milieu des années 1980", remarque auprès de franceinfo Isabelle Sourbès-Verger, géographe, directrice de recherche au CNRS et spécialiste des politiques spatiales. La Chine a coopéré un temps avec la Russie mais cette dernière, malgré son expérience soviétique, n'est plus à la pointe de la technologie, précise-t-elle. Dans le même temps, Pékin n'a pas pu bénéficier de transfert de technologie américaine alors que ce sont essentiellement les Etats-Unis qui opèrent dans l'espace, dans les domaines publics, privés, civils et militaires. Cette situation a retardé le programme spatial de la Chine, contrainte de développer ses propres technologies.

"La Chine est, depuis 2010, une puissance spatiale confirmée et autonome, avec des missions spatiales de très bon niveau."

Isabelle Sourbès-Verger, directrice de recherche au CNRS, spécialiste des politiques spatiales

à franceinfo

Toutefois, les missions chinoises n'égalent pas encore le degré de sophistication des missions américaines. Un écart qui peut s'expliquer par la différence de budget entre les Etats-Unis et la Chine : Washington consacre 23 milliards de dollars par an à son programme spatial quand Pékin dégage environ 15 milliards de dollars, selon les estimations des spécialistes. Et cette différence budgétaire perdure depuis plusieurs décennies.

A titre de comparaison, le budget de l'Agence spatiale européenne pour 2021 s'élevait à 6,49 milliards d'euros (6,73 milliards de dollars), et son budget pour la période 2023-2025 s'établit à 16,9 milliards d'euros. Si l'ESA collabore avec d'autres agences spatiales comme la Nasa, elle se voit dans l'obligation de rehausses ses ambitions pour rester une grande puissance spatiale, développer son indépendance et "faire bloc face aux ambitions chinoises et américaines", selon les mots de Bruno Le Maire, le ministre de l'Economie.

La deuxième puissance spatiale ?

La Chine n'a pas à rougir de ses performances. Ce qu'elle fait dans l'espace est "remarquable", "très solide" et "fiable", commente Gilles Dawidowicz. Pour Paul Wohrer, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique, qualifie le programme spatial chinois de "très sérieux", pointant "des missions d'une complexité grandissante". Les experts contactés par franceinfo soulignent tous l'autonomie de la Chine et le fait qu'elle ait développé toute une gamme de lanceurs, des petits jusqu'aux plus massifs. Si bien que l'on peut à présent considérer la Chine "comme la seconde puissance spatiale", selon Paul Wohrer. 

"La Chine dispose de l'intégralité de la gamme des activités spatiales : lancement, satellites d'observations, satellites de communication, missions scientifiques et vols habités. Elle fait absolument tout."

Paul Wohrer, spécialiste des questions spatiales

à franceinfo

"C'est la deuxième puissance économique mondiale et son programme spatial reflète cette deuxième place", résume le chercheur. Isabelle Sourbès-Verger place elle aussi la Chine derrière les Etats-Unis qui restent, selon elle, une "hyperpuissance spatiale".

Va-t-elle finir par les dépasser ? Les spécialistes joints par franceinfo écartent pour l'instant l'idée de course à l'espace et de compétition frontale, la Chine suivant son propre rythme et sa propre logique de rattrapage technologique. D'après Isabelle Sourbès-Verger, ce sont davantage les Américains qui mettent en scène une rivalité avec les Chinois, en partie pour justifier leurs dépenses dans le domaine spatial.

Pour la chercheuse, "bien sûr, à terme, la Chine vise la parité avec les Etats-Unis". C'est sûrement pour cette raison que le patron d'un groupe aérospatial chinois a confirmé en octobre, lors du 20e congrès du Parti communiste chinois, que la Chine lancerait prochainement un programme lunaire habité, la construction d'une base sur la Lune, des missions de retour d'échantillons de sol martien et l'exploration d'astéroïdes. Si pour l'instant Washington tient la distance, Pékin semble avoir déjà rattrapé quelques années-lumière de retard.

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