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Mission Artemis vers la Lune : retour sur quatre énigmes lunaires avant le décollage de la fusée

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
La mission Artemis, qui vise à terme l'installation d'une base à la surface de la Lune, va permettre de mieux connaître le satellite naturel de la Terre. (PIERRE-ALBERT JOSSERAND / FRANCEINFO)

"Nous n'avons pas exploré grand-chose de la Lune et, lors des missions Apollo, nous ne disposions pas des technologies que nous avons aujourd'hui", explique à franceinfo Jessica Flahaut, géologue lunaire.

Nous avons déjà foulé son sol, nous l'apercevons presque quotidiennement dans le ciel, mais la Lune recèle encore des secrets. Avec le premier volet de la mission Artemis qui doit enfin être lancée vers elle, mercredi 16 novembre, la Nasa entame un nouveau chapitre de la conquête spatiale. La mission, qui vise à s'installer de façon durable sur le satellite naturel de la Terre, est une étape importante pour préparer les futurs vols habités pour des destinations lointaines comme Mars. Elle va également permettre de mieux connaître cet astre. Voici quatre questions en suspens qui pourraient être éclairées grâce à la mission Artemis.

1Comment la Lune s'est-elle formée ?

La genèse de la Lune comporte encore des zones d'ombre. Si plusieurs scénarios sont sur la table, la piste de l'impact géant fait largement consensus depuis des décennies : un immense corps aurait violemment percuté la Terre encore en formation, lui arrachant un morceau. Ce dernier et de nombreux débris seraient restés en orbite autour de notre planète. L'ensemble aurait fini par s'agréger, donnant forme à la Lune. Radio-Canada revient sur cette hypothèse, formulée par le Canadien Reginald Daly, dans cette vidéo.

Sans être parfaite, l'hypothèse de l'impact géant présente plusieurs avantages, comme celui d'expliquer les différentes proportions de fer observées dans la composition de la Lune et de la Terre, puisque l'impact aurait uniquement arraché des roches pauvres en fer.

Un autre scénario tente de se démarquer. Une étude publiée en avril 2017 dans la revue scientifique Nature Geoscience (en anglais), a mis en avant l'hypothèse des impacts multiples. Elle privilégie l'idée d'une succession de collisions moins fortes. Chacune aurait donné naissance à des mini-lunes, qui auraient ensuite fusionné pour former la Lune que nous connaissons. "Au début du système solaire, les collisions étaient très courantes, il est donc plus naturel que plusieurs impacteurs assez communs soient à l'origine de la Lune plutôt qu'un seul", estimait Raluca Rufu, l'une des auteurs de l'étude.

L'analyse des futurs échantillons prélevés sur la Lune permettra de mieux connaître la composition du sol lunaire et d'affiner davantage les principales hypothèses. Pour l'instant, souligne Jessica Flahaut, seuls 4% de la surface de la Lune ont été échantillonnés. En effet, lors des différentes missions Apollo (menées entre 1969 et 1972 à la surface de la Lune), les astronautes américains s'étaient posés sur la face visible, principalement dans des plaines, qui ne sont pas "représentatives" du sol lunaire.

Infographie de l'Agence spatiale américaine pointant les sites où des vaisseaux américains de la mission Apollo se sont posés sur la Lune. (NASA)

Avec la mission Artemis, l'Agence spatiale américaine prévoit de se poser notamment au pôle Sud, une zone encore inexplorée et davantage à l'image de la majorité du sol lunaire. De plus, le fait d'envoyer des humains à la surface de la Lune plutôt que des robots présente "une vraie valeur ajoutée", selon Jessica Flahaut : "Un homme a plus facilement le réflexe de faire un prélèvement s'il trouve un affleurement ou une roche intéressante."

2Pourquoi la face visible est-elle si différente de la face cachée ?

La Lune nous présente toujours le même côté : sa face visible. Les observations ont montré qu'elle était bien moins accidentée que la face cachée, celle que nous ne voyons jamais depuis la Terre, mais que des sondes ont pu analyser. L'Institut d’études géologiques des Etats-Unis (USGS) a présenté, en avril 2020, une carte détaillée de la Lune (en anglais) réalisée avec la Nasa et le Lunar and Planetary Institute (LPI). Le document, visible ci-dessous, intitulé "carte géologique unifiée de la Lune" ("Unified Geologic Map of the Moon"), montre que la face visible (à gauche) compte bien moins de cratères que la face cachée (à droite).

"Carte géologique unifiée de la Lune" ("Unified Geologic Map of the Moon") réalisée par l'Institut d’études géologiques des Etats-Unis (USGS) avec la Nasa et le Lunar and Planetary Institute (LPI). (NASA / GSFC / USGS)

La face visible comporte de larges "mers" (en rose et rouge sur l'image). Ce sont de grandes plaines de roches volcaniques. Depuis la Terre, à l'œil nu, ces zones apparaissent foncées. En contraste, les autres zones, qui apparaissent claires à l'œil nu, sont communément appelées les "terres". D'après les calculs, ces dernières couvrent environ 83% de la surface de la Lune, et se trouvent davantage sur la face cachée. Avec les différents cratères qui s'y trouvent, l'épaisseur moyenne de la croûte lunaire de la face cachée est d'environ 60 km. C'est deux fois plus que celle de la face visible.

Comment expliquer ce constat ? "Cela fait partie des mystères de la géologie lunaire", a résumé Pierre Thomas, professeur émérite de planétologie à l'ENS Lyon lors d'une conférence tenue en 2019 (vers 52 minutes). Patrick Pinet, directeur de recherches au CNRS et directeur adjoint de l'Institut de recherche en astrophysique et planétologie, évoque plusieurs pistes auprès de franceinfo, notamment une "cause externe avec un bombardement asymétrique entre la face visible et la face cachée depuis le début de l'histoire du système Terre-Lune, avec la Terre qui a pu faire écran". Il mentionne aussi "une cause interne", liée à la circulation de la matière à l'intérieur de la Lune lorsqu'elle était encore jeune.

3Quelle est cette glace qui se trouve à sa surface ?

"Jusqu'en 2008, nous pensions que la Lune était un milieu anhydre", c'est-à-dire sans eau, rappelle à franceinfo Patrick Pinet. L'idée s'est effondrée quand d'infimes éléments d'eau ont été détectés grâce à des sondes. Dix ans plus tard, la Nasa a confirmé la présence de glace à la surface de la Lune, ce qui était pressenti depuis longtemps. Cette glace se trouve aux pôles Nord et Sud du satellite naturel de la Terre. Elle se loge dans des cratères où les rayons du soleil ne pénètrent pas. Dans ces zones, la température ne dépasse jamais les -150 °C. Une visualisation du pôle Sud et de ses profonds cratères est montrée dans la vidéo ci-dessous réalisée par la Nasa (à partir de 1 minute 39). Cette zone du pôle Sud appelée Aitken est le bassin d'impacts le plus grand du système solaire, avec ses quelque 2 500 km de diamètre.

"D'où vient cette glace ? Quelle est son origine ? En quelle quantité se trouve-t-elle à la surface de la Lune ?" s'interroge Jessica Flahaut, se demandant si elle provient de météorites, de comètes ou du "dégazement de volcans lunaires".  Autre inconnue pour cette glace lunaire : sa composition. Elle demeure totalement mystérieuse puisque ni l'être humain ni les robots n'ont pu en prélever jusqu'à maintenant.

"Nous partons de l'hypothèse qu'il s'agit de glace d'eau, mais est-ce de la glace d'eau pure ?"

Jessica Flahaut, géologue lunaire

à franceinfo

En l'absence d'analyses, les questions restent ouvertes. "Est-ce de la glace d'eau mélangée avec de la rhyolite [de la roche volcanique] ? Ou de l'eau implantée à la surface de grains rocheux, comme on peut le voir à d'autres latitudes de la Lune ?" énumère Jessica Flahaut. 

4Quelle est son activité sismique et volcanique ?

La Lune est souvent présentée comme un astre mort. Ce qui mérite un peu de nuance. "Si on la compare à la Terre ou à Mars, c'est beaucoup moins actif, c'est sûr, parce que c'est un plus petit corps, donc elle s'est refroidie plus vite, explique Jessica Flahaut. Mais il a été détecté des volcans à la surface qui ont très peu de cratères. Cela signifie qu'en apparence, ils sont plutôt jeunes." "Les Chinois ont ramené des échantillons relativement jeunes pour l'histoire de la Lune, datés de 2 milliards d'années, poursuit la chercheuse. Nous pensions qu'il n'y avait plus d'activité sur la Lune depuis 3,5 voire 4 milliards d'années. Il a donc pu y avoir, localement, du volcanisme tardif qui s'est étalé sur des milliards d'années."

Ce volcanisme lunaire amène à la question des séismes sur la Lune. Peu ont été mesurés car seules les missions Apollo ont apporté des sismomètres sur place. "Nous avons encore aujourd'hui des difficultés à comprendre l'origine de ces séismes plus ou moins profonds, observe Jessica Flahaut. Certains séismes lunaires pourraient être liés à des effets de marée : la Lune a des effets de marée sur la Terre, mais la Terre a aussi des effets de marée sur la Lune." Ces secousses aux origines énigmatiques ont une puissance peu comparable à celles qui surviennent sur Terre, estime-t-elle. De son côté, Pierre Thomas a avancé que lors de ces secousses, "la Lune libérait un cent milliardième de fois moins d'énergie sismique que la Terre", lors d'une conférence donnée en 2019 (vers 48 minutes).

Ces séismes, selon Jessica Flahaut, ont également des comportements totalement différents de ceux observés sur Terre "en raison des propriétés élastiques de la croûte lunaire" : l'atténuation est beaucoup plus longue et progressive. "Ce sont des choses nouvelles à découvrir, surtout que nous avons aujourd'hui des sismomètres bien plus sensibles qu'il y a cinquante ans", résume auprès de franceinfo Jean Blouvac, responsable des programmes d'exploration et de vols habités au Centre national d'études spatiales (Cnes). Les Terriens n'ont pas fini d'être secoués par des découvertes sur leur satellite naturel.

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