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Station spatiale internationale : on vous explique pourquoi le départ de la Russie "après 2024" plombe l'atmosphère

Cinq mois après le début de la guerre en Ukraine, le contexte géopolitique tendu sur Terre se retrouve aussi dans l'espace. Et selon une experte interrogée par franceinfo, "personne n'est gagnant".

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Des cosmonautes russes, en mars 2012, lors d'une sortie extravéhiculaire à bord de la Station spatiale internationale. (ESA / NASA)

Une longue et vaste coopération internationale va prendre fin. Iouri Borissov, le nouveau patron de l'agence spatiale russe Roscosmos, a annoncé mardi 26 juillet que la Russie allait quitter la Station spatiale internationale (ISS) "après 2024". Un vrai big bang puisque, depuis son origine, l'ISS est le fruit d'un travail coordonné entre les Etats-Unis, la Russie, l'Europe, le Canada et le Japon. Franceinfo revient sur cette situation en cinq questions.

Qu'a déclaré le patron de Roscosmos ?

"Nous allons sans doute remplir toutes nos obligations à l'égard de nos partenaires (...) mais la décision de quitter cette station après 2024 a été prise", a déclaré Iouri Borissov lors d'une rencontre télévisée avec le président russe Vladimir Poutine. Voici les images (en russe) de l'agence de presse russe Tass.

Iouri Borissov a ensuite esquissé le futur de la Russie dans l'espace : "Je pense que d'ici là, nous commencerons à créer la station orbitale russe", qui sera "la principale priorité" du programme spatial national. "L'avenir des vols habités russes doit se baser avant tout sur un programme scientifique systémique et équilibré pour que chaque vol nous enrichisse en connaissances", a-t-il précisé.

"C'est un grand honneur pour moi, mais aussi des obligations supplémentaires", a également commenté Iouri Borissov. "Le domaine spatial est dans une situation difficile, et je pense que ma tâche principale (...) est de ne pas faire tomber la barre, mais de la placer plus haut, en fournissant avant tout les services spatiaux nécessaires pour l'économie russe."

Comment ont réagi la Nasa et l'ESA ?

Robyn Gatens, la directrice de l'ISS à la Nasa, a tenu une conférence de presse à Washington peu après cette annonce. "Nous n'avons reçu aucune déclaration officielle de notre partenaire concernant la nouvelle d'aujourd'hui", a-t-elle assuré. "Donc nous allons davantage discuter de leurs plans." Mais les Américains souhaitent-ils voir les Russes quitter la Station spatiale internationale ? "Non, absolument pas", a-t-elle affirmé.

"Ils ont été de bons partenaires, tout comme tous nos partenaires, et nous voulons continuer ensemble, en tant que partenariat, à opérer la station spatiale durant la décennie."

Robyn Gatens, directrice de l'ISS à la Nasa

lors d'une conférence de presse

Le fait que la Russie quitte l'ISS après 2024 et construise sa propre station spatiale "n'est pas nouveau et avait été mentionné par le passé", note de son côté l'Agence spatiale européenne (ESA), contactée par franceinfo.

Quel est le contexte de cette annonce ?

Depuis le début de la guerre en Ukraine, des coopérations spatiales internationales avec la Russie ont été stoppées ou suspendues, comme les lancements russes depuis Kourou, en Guyane, ou encore la mission Exomars. Mais au sein de l'ISS, le travail s'est poursuivi.

"L'ISS est restée cette petite bulle dans l’espace, hors des guerres terrestres. Un lieu où la Russie, les États-Unis et l’Europe collaborent."

Mathilde Fontanez, rédactrice en chef du magazine "Epsiloon"

sur franceinfo

"Même si les collaborations scientifiques entre les astronautes allemands et russes ont été interrompues. Tout s'est passé normalement", souligne encore la journaliste scientifique.

Cela a été constaté, dès le 30 mars, soit un peu plus d'un mois après le début de l'offensive russe : un astronaute américain est revenu de l'ISS à bord d'un vaisseau Soyouz en compagnie de deux cosmonautes russes, comme le rapportait France Inter.

L'astronaute américain Mark Vande Hei est pris en charge après s'être posé sur Terre, dans le Kazakhstan, le 30 mars 2022. Il a réalisé le trajet entre la Station spatiale internationale et le sol en compagnie de deux cosmonautes russes et à bord d'un vaisseau Soyouz. (RUSSIAN SPACE AGENCY ROSCOSMOS / AFP)

Plus récemment, la Nasa a annoncé à la mi-juillet reprendre les vols conjoints avec les Russes vers l'ISS pour assurer "la continuité des opérations" de la station. Deux astronautes américains voleront à bord d'une fusée russe Soyouz lors de deux missions distinctes, dont la première prévue pour septembre. Deux cosmonautes russes voleront également à bord de fusées SpaceX, une première.

Dernièrement, Samantha Cristoforetti a réalisé le 22 juillet la première sortie dans l'espace d'une spationaute européenne depuis l'ISS. L'Italienne a travaillé durant six heures, à quelque 400 km d'altitude, en compagnie du cosmonaute russe Oleg Artemiev.

"A bord de la Station, ce sont tous des professionnels : les Russes font le job, les autres aussi. Ils sont tous entraînés à travailler ensemble, et ils sont dans des circonstances telles qu'ils ne peuvent que travailler ensemble", précise la géographe Isabelle Sourbès-Verger, chercheuse au CNRS et spécialiste des questions spatiales.

Quelles seront les conséquences pour l'ISS ?

Sur ce point, tout reste à éclaircir. Mais pour comprendre les implications du départ de la Russie, il faut revenir sur son rôle. Ces dernières années, "le grand changement pour les Russes réside dans le fait que nous n'avons plus besoin de leur vaisseau pour rejoindre la Station spatiale internationale", rappelle Isabelle Sourbès-Verger.

La société américaine SpaceX, du milliardaire Elon Musk, a en effet réalisé en novembre 2020 sa première mission "opérationnelle" en envoyant à bord de l'ISS quatre astronautes. SpaceX devenait ainsi la première société privée à accomplir cette prouesse. Avec ce nouveau moyen de transport spatial, la Nasa a mis fin à neuf ans de dépendance envers les vaisseaux russes. D'autres trajets faisant appel à SpaceX ont eu lieu depuis, dont celui du Français Thomas Pesquet.

La dépendance à la Russie s'est davantage effritée lorsque, pour la première fois, la trajectoire de l'ISS a été corrigée par un vaisseau qui n'était pas russe. Depuis 1998, et le début de la Station spatiale internationale, il est nécessaire d'intervenir régulièrement pour qu'elle ne dévie pas, et éviter qu'elle finisse par s'écraser sur Terre. Historiquement, "c'est le rôle des cargos russes. Seuls, eux ont la capacité d’allumer leurs moteurs pour donner une petite impulsion à la station et garantir la stabilité de son orbite", explique Mathilde Fontanez.

En mars, au début de la guerre en Ukraine, la Russie avait menacé de mettre fin à ces manœuvres. Mais fin juin, un cargo Cygnus (de l'industriel Northrop Grumman), qui ravitaille en vivres et en matériel la Station, a réalisé un test avant de quitter l'ISS. Tout en restant amarré à la tation, le cargo a allumé son moteur principal pendant cinq minutes. Cela a permis à l'ISS de remonter de quelques centaines de mètres.

Toutefois, ce premier essai concluant ne règle pas tout et le retrait de la Russie a des conséquences. "Si les Russes se retirent en emmenant avec eux leur capacité à remettre la Station sur orbite, la Nasa va devoir trouver un moyen de le faire elle-même et cela ne sera pas facile", a prévenu Bill Harwood, consultant sur les questions spatiales, interrogé sur la chaîne CBS (en anglais).

Pour Isabelle Sourbès-Verger, des questions se posent notamment quant à "l'entretien de la partie russe" de la Station spatiale internationale, et aux éventuelles difficultés que cela peut engendrer. L'ISS fonctionne avec un accord international et y toucher induit de longues négociations, expose-t-elle. Elle précise qu'il s'agira "essentiellement de discussions entre juristes" pour définir les conditions de départ de la Russie.

"C'est une situation compliquée pour les Russes et pour les Américains. Personne n'est gagnant là-dedans."

Isabelle Sourbès-Verger, chercheuse au CNRS

à franceinfo

En clair, rien n'est tranché pour l'instant et le fonctionnement de l'ISS est assuré jusqu'à 2024. L'Agence spatiale européenne souligne que Roscosmos a confirmé qu'elle allait "remplir ses toutes obligations à l'égard de ses partenaires".

Quand la fin de l'ISS est-elle prévue ?

L'ESA compte continuer à faire fonctionner le module européen Colombus jusqu'en 2030. De son côté, la Nasa a fait savoir, au début de l'année, que la fin de l'ISS était programmée pour 2031 (en anglais). Une fois vidée du matériel précieux et réutilisable, la Station sera désorbitée et retombera sur Terre. Mais pas n'importe où : au point Nemo. Cet endroit est le pôle d'inaccessibilité océanique de la Terre. "Il n'y a pour ainsi dire rien dans cette partie du Pacifique Sud : pas d'île, pas d'habitant, presque pas de trafic maritime ou aérien", remarque Benjamin Bastida Virgili, ingénieur au bureau des débris spatiaux de l'ESA, sur franceinfo. C'est là qu'ont terminé la station Mir en 2001 et la station Skylab en 1979.

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