"C'est travaillé, il n'improvise pas" : dans les coulisses de "l'hypercommunication" de Gabriel Attal

Article rédigé par Margaux Duguet, Clément Parrot
France Télévisions
Publié Mis à jour
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Le Premier ministre Gabriel Attal est réputé pour son excellente maîtrise de la communication. (PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)
Depuis son arrivée à Matignon il y a deux mois, le Premier ministre reprend les recettes qui ont fait son succès lors de ses diverses expériences ministérielles. Mais le jeune chef du gouvernement devra faire ses preuves avec des résultats rapides.

Depuis quelques semaines, Gabriel Attal tente de moins lire la presse, pour se préserver. "Avant, il contrôlait tout, il lisait tout", confie un conseiller de l'exécutif. Après une succession d'articles critiques liée à la seconde vague tardive du remaniement, son équipe filtre davantage. Mais au moment de fêter ses deux mois à Matignon, samedi 9 mars, une chose n'a pas changé : le nouveau chef du gouvernement s'appuie encore et toujours sur son meilleur atout : son image. "Cela reste le meilleur communicant au sein de la classe politique actuelle", observe Gaspard Gantzer, ancien conseiller com' de François Hollande.

Il faut dire que la recette est soigneusement travaillée depuis l'entrée au gouvernement du jeune ambitieux en 2018. "La méthode Attal, c'est du terrain et du dialogue. Cela a toujours été sa force, parce qu'il est très bon là-dessus", admet un conseiller de l'exécutif. Gabriel Attal était ainsi déjà en route avec les journalistes, quelques minutes après la passation de pouvoir avec Elisabeth Borne, le 9 janvier, pour se rendre auprès des sinistrés des inondations dans le Pas-de-Calais. Il n'a pas arrêté depuis, se déplaçant seize fois en deux mois, selon Matignon. Auprès des agriculteurs en Haute-Garonne, dans un commissariat, au sein d'un collège, sur un chantier pour parler logement... Le Premier ministre cherche à se montrer en mouvement.

"Il emploie la méthode Sarkozy"

Il se rend aussi sur les marchés et parfois au sein d'événements inattendus, comme lors de son passage à une soirée loto, le 23 février, en Charente-Maritime. "Il joue la carte de la convivialité et de la proximité. Il va au contact des gens, tout sourire. Et il n'a pas les défauts d'Emmanuel Macron, il évite les petites phrases blessantes", analyse Arnaud Mercier, spécialiste de la communication politique. A Matignon, lors du passage d'Elisabeth Borne, les officiers de sécurité avaient des envies d'ailleurs, "car ils ne bougeaient jamais", assure un ancien conseiller. Avec Gabriel Attal, ils vont être servis. "Il emploie la méthode Sarkozy, avec une omniprésence dès son arrivée au pouvoir", analyse Philippe Moreau-Chevrolet, professeur à Sciences Po et président de MCBG Conseil.

"Il crée un événement par jour, il reprend le contrôle de l'agenda médiatique, avec une énergie considérable et un message clair à l'opinion."

Philippe Moreau-Chevrolet, spécialiste de la communication politique

à franceinfo

Le Premier ministre refuse de subir l'actualité. Le samedi 24 février, Emmanuel Macron se retrouve malmené pour l'ouverture du Salon de l'agriculture. Le lendemain, Jordan Bardella enchaîne les selfies dans les allées. Matignon annonce alors une visite surprise de Gabriel Attal dès le dimanche soir. La séquence a été montée rapidement le dimanche matin, en partie après avoir regardé le patron du RN en démonstration sur les chaînes d'info en continu. "Même si l'idée, ce n'est pas de courir après le Rassemblement national", assure un conseiller de l'exécutif.

Gabriel Attal en visite au Salon de l'agriculture, à Paris, le 27 février 2024. (DIMITAR DILKOFF / AFP)

Plus qu'un coureur de fond, Gabriel Attal est un "puncher", voire un "sniper", note Philippe Moreau-Chevrolet. Il a fait de la méthode des phrases chocs sa marque de fabrique quand il était porte-parole du gouvernement entre 2020 et 2022. "A l'époque, il a beaucoup cogné sur les oppositions avec une vraie stratégie assumée de punchline", reconnaît un conseiller de l'exécutif. L'étoile montante de la macronie s'est ensuite recentrée sur ses sujets au Budget et à l'Education nationale, avant de ressortir l'artillerie lourde ces dernières semaines. "C'est vrai qu'il a repris ça à la faveur des élections européennes qui approchent et de la nécessité de contrer le RN", admet la même source.

"Il sait que les punchlines, ça fonctionne très bien dans les médias et dans l'opinion."

Un conseiller de l'exécutif

à franceinfo


"Tu casses, tu répares, tu salis, tu nettoies", a ainsi lancé Gabriel Attal lors de sa déclaration de politique générale, en visant les jeunes délinquants. Plus récemment, il a décrit Marine Le Pen et les députés RN comme "les troupes de Vladimir Poutine". "Il a toujours une petite fiche avec ses punchlines à l'Assemblée, c'est travaillé. Il n'improvise pas", a bien remarqué un cadre de la majorité.

Pour élaborer ses formules, le chef du gouvernement s'appuie depuis de nombreuses années sur un carré de fidèles conseillers, surnommés les "power rangers" ou les "quatre fantastiques". A côté du communicant Louis Jublin, se trouvent la directrice adjointe de cabinet Fanny Anor, le chef de cabinet Maxime Cordier qui se charge de la rédaction des discours et le conseiller aux affaires réservées Antoine Lesieur. Ces quatre-là ont une parole très libre devant le Premier ministre. "Sa force, c'est aussi son équipe, la bande des quatre", estime un conseiller du pouvoir.

Autre astuce, dans ses prises de parole très préparées, Gabriel Attal répète à l'envi l'expression "J'assume", à l'image de son discours de politique générale où le verbe est décliné à onze reprises. Cela lui permet de poser un acte d'autorité, quitte à agacer au sein même de son camp. "Il le met à toutes les sauces, son 'J'assume', raille un député Renaissance. Ce n'est que de la communication et du 'Moi, je'. Il ne sera bientôt plus audible s'il continue."

"Il ne faut pas dévaluer la fonction"

Au-delà des mots, Gabriel Attal tient à prendre ses responsabilités, même quand il devient la cible des oppositions. Surpris en pleine séance à l'Assemblée nationale en train de montrer à des ministres une photo de sa chienne, une femelle chow-chow prénommée Volta, pendant une intervention du socialiste Boris Vallaud sur la souffrance au travail, le Premier ministre assume encore dans Le Parisien. "Il utilise l'arme numéro un de la com' : ne pas se renier, ne pas montrer de faiblesse, analyse Philippe Moreau-Chevrolet. C'est une posture moderne plus adaptée à l'époque, que la stratégie du déni à la François Fillon."

Gabriel Attal assume tellement qu'il publie, juste après l'interview au Parisien, un cliché sur le réseau Instagram le mettant en scène avec Volta. La communication numérique est un autre ingrédient de la stratégie de l'ancien porte-parole. Après s'être démarqué par ses formats questions-réponses en prise direct avec ses abonnés, ses émissions sur Twitch ou ses vidéos d'explication sur TikTok, le chef du gouvernement de 34 ans a depuis début février investi BeReal, un réseau prisé des jeunes qui consiste à se prendre en photo face à son environnement une fois par jour. Pour l'instant, il distille une photo par semaine, quand le moment s'y prête, au Salon de l'agriculture ou sous les dorures de son nouveau bureau.

"Il fait un effort de pédagogie, grâce aux codes de la jeunesse et des réseaux qu'il maîtrise bien", observe un ancien communicant de Matignon. "ll est Premier ministre, donc il ne faut pas non plus dévaluer la fonction, il peut casser un peu les codes mais par touches", confie un conseiller de l'exécutif.

"Les vis sont moins serrées"

Le numérique ne lui fait pas oublier les règles classiques de la communication, notamment avec les incontournables chaînes info. "Je me suis fixé deux principes, assurait-t-il déjà sur BFMTV en 2020 en pleine crise du Covid-19. La transparence et la clarté." Aujourd'hui, le trentenaire continue d'appliquer une méthode qui a fait ses preuves. "Il s'exprime parfaitement, il est très fluide dans son expression", reconnaît Gaspard Gantzer. "Il parle très simplement et c'est un avantage dans un monde politique compliqué qui peut être très technique", appuie un ancien conseiller passé par Matignon.

Le chef du gouvernement est aussi un adepte de "la com' performative". "On ne parle que lorsque l'on a des choses à dire ou à annoncer", traduit un conseiller de l'exécutif. Un mantra que les équipes de communication de l'exécutif cherchent à reproduire avec le reste du gouvernement, en limitant les passages de ministres dans les matinales.

"Les Français en ont ras-le-bol de nous voir commenter l'actualité."

Un conseiller de l'exécutif

à franceinfo

Un mot d'ordre qui fait grincer des dents. "Le nombre de ministres en matinale est faible, le gouvernement préempte moins l'espace médiatique aujourd'hui, remarque un conseiller ministériel. Dans un gouvernement à 35, cela crée de l'embouteillage si on limite à un sujet par semaine." D'autres jugent au contraire que "les vis sont moins serrées", que "la réactivité est plus grande" et que Matignon est "plus politique" que sous Elisabeth Borne. Les réunions hebdomadaires des conseillers com', chaque mardi soir à 19 heures dans le salon bleu de Matignon, sont pour l'instant systématiques, alors qu'elles étaient plus espacées sous l'ère Borne.

Ces réunions sont aussi le moment pour rappeler aux équipes des ministres de "jouer collectif" et d'éviter les petites phrases assassines et anonymes dans la presse. Une consigne qui peut prêter à sourire, Gabriel Attal et ses équipes ayant été adeptes de ce genre de pratiques. "Attal balançait sans cesse des saloperies sur ses collègues. Il y a plein de personnes dans la majorité qui ont été la cible de la bande des quatre", rapporte un macroniste, citant notamment le cas de Jean-Michel Blanquer, ex-ministre de l'Education nationale. 

Désormais au cœur du pouvoir, le premier des ministres et ses proches entendent aussi réorganiser la communication gouvernementale, en limitant notamment les interviews de presse écrite. La priorité sera donnée à des récits incluant des citations du Premier ministre et la formule sera proposée aux autres ministres. "Il y a eu trop d'interviews de ministres pour ne rien dire", remarque un conseiller de l'exécutif.

"Il y a le risque de lasser"

Les ministres relégués au second plan ? Les députés pourraient en tout cas bien assister bientôt à "un PM show", selon les mots d'un stratège de la macronie, puisque Gabriel Attal se verrait bien répondre seul les mercredis aux questions au gouvernement. "Je ne suis pas du genre à me planquer derrière mes ministres", avait-il assuré mi-février, lors d'un déplacement dans la Marne.

La formule, proposée à Elisabeth Borne mais "refusée car jugée trop risquée par ses conseillers" selon un connaisseur du dossier, a de bonnes chances d'aboutir. "Il est plutôt bon dans cet exercice et ça permettrait de montrer aux oppositions une forme de respect", juge un conseiller de l'exécutif. "Le Premier ministre doit vraiment être en première ligne, très à l'offensive. Il n'y aura pas de parole rare", poursuit-il.

Au risque d'en faire trop ? "Il y a le risque de lasser et de s'user beaucoup plus vite. Attal, c'est un beau phénomène médiatique avec une belle popularité mais il y a une différence entre ça et être un capitaine politique", assure Philippe Moreau-Chevrolet. "Il a la jeunesse pour lui, mais ensuite ça peut aussi être sa limite, est-ce que ça durera dans le temps ?" interroge un ancien stratège de Matignon. "L'hypercommunication, ça s'use", abonde Gaspard Gantzer.

"Il apparaît déjà un peu moins flamboyant. On s'est déjà habitué à lui, on n'est déjà plus dans l'Attal-mania."

Gaspard Gantzer, ancien communicant de François Hollande

à franceinfo

Au-delà de la com' qu'il maîtrise parfaitement, Gabriel Attal va surtout devoir démontrer qu'il peut gérer la machine gouvernementale. "La com', c'est important, essentiel, surtout de nos jours, mais on est plus au porte-parolat. Matignon, c'est une maison à arbitrages, avec des décisions à prendre", rappelle un ancien de la maison.

Le parcours fulgurant du plus jeune Premier ministre de la Ve République suscite quelques doutes jusque dans son propre camp. "Qu'est-ce qu'il reste des annonces de Gabriel Attal aux comptes publics ? Pas grand chose. A l'Education, il fait la une avec l'abaya et le harcèlement et puis il se barre. A quel moment est-ce qu'il concrétise ?" cingle un conseiller du pouvoir. "On a la volonté que les choses avancent, rétorque un conseiller. Si on se revoit dans un an, vous nous direz : 'En fait, ce n'est pas que de la com'."

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