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Transports : la voiture, bientôt bannie des villes (et déjà absente de la campagne présidentielle)

Plusieurs villes annoncent qu’elles vont mettre en place des zones à trafic limité, et les zones à faibles émissions se multiplient. Un changement majeur dans les déplacements au quotidien. Pourtant, le sujet est totalement absent des débats pour la présidentielle.

Article rédigé par franceinfo - Ariane Schwab
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Dans le but de limiter la pollution, la ville de Paris est devenue la plus grande zone de circulation restreinte de France (illustration). (OLIVIER BOITET / MAXPPP)

Cet article fait partie de notre opération "Les focus de franceinfo", qui met en avant des sujets-clés peu traités dans la campagne présidentielle : le coût du logement, la crise de l'hôpital public, le tabou de la santé mentale et l'empreinte carbone des transports.


Avec 48 000 décès préma­tu­rés par an imputés à la pollution, la question de la circulation de la voiture individuelle en milieu urbain est un enjeu de santé publique qui revient régulièrement en tête des préoccupations, à mesure que les scientifiques tirent la sonnette d'alarme. Mais les politiques restent frileux sur la question. Les candidats à la présidentielle 2022 font même quasiment tous l’impasse sur le sujet. Pourtant, sous la pression européenne, la législation a évolué en France ces dernières années, permettant à l’État et aux collectivités de mettre en œuvre des dispositifs de régulation du trafic routier en s’inspirant des dispositifs mis en place à l’étranger. ZAPA (zones d'action prioritaire pour l'air), ZCR (zone à circulation restreinte), ZFE (zone à faibles émissions), ZTL (zone à trafic limité)… Si les acronymes se multiplient pour désigner des zones urbaines où l’on entend limiter voire supprimer les voitures individuelles, émettrices de gaz à effet de serre, vous ne les retrouverez pas dans les programmes des candidats à la présidentielle.

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Quand Emmanuel Macron en 2017 promettait de diviser par deux le nombre de jours de pollution de l’air, la question a tout bonnement disparu de son programme 2022. À l’extrême droite, tant pour Marine Le Pen que pour Éric Zemmour, l’engagement est clairement exprimé de supprimer les ZFE, ces "zones de non droit". Pas mieux à l’extrême-gauche : Fabien Roussel comme Jean-Luc Mélenchon les considèrent comme un facteur de discrimination sociale. À droite, on craint que les "gilets jaunes" ne s’enflamment. Valérie Pécresse propose donc de reporter leur déploiement après 2025. Connue pour sa détermination à bannir les voitures des rues de Paris, la socialiste Anne Hidalgo, ne cesse de prendre des mesures pour réduire la circulation automobile à Paris depuis son élection en 2014. Multiplication des voies cyclables, fermeture de la voie Georges-Pompidou etc. Elle a encore récemment décidé de durcir les règles en promettant des zones à trafic limité d'ici 2024. Mais finalement, seul l’écologiste Yannick Jadot énonce clairement dans son programme son intention d’accompagner le déploiement de ZFE sur tout le territoire.

Les ZFE (zone à faibles émissions) visent à empêcher les véhicules les plus polluants de circuler en cas de pics de pollution. Les ZTL (zone à trafic limité), très rares en France (il n'en existe que deux, une à Nantes depuis 2012, l’autre à Grenoble depuis 2017), ont, elles, vocation à limiter la circulation des véhicules motorisés de façon permanente dans le but également de décongestionner les centres-villes, de limiter la pollution sonore et de rendre l’espace aux piétons et aux cyclistes. 

Un renoncement difficile 

Mais renoncer à l’usage de sa voiture personnelle est effectivement difficile, notamment pour les banlieusards des grandes villes qui accusent d’importants allongements de leurs temps de trajets avec un maillage de transports en commun insuffisant. D’aucuns y voient même une entrave à la liberté d’aller et venir. Est-ce la raison pour laquelle les candidats à l'élection présidentielle n'en font pas mention alors que l'écologie est au cœur des défis actuels et que huit Français sur dix se disent "inquiets" vis-à-vis de l'environnement et du changement climatique, d'après un sondage publié le 3 mars dernier ? Il ne s’agit pas là d’entraver la liberté de circuler mais bien de remettre en question la place de la voiture dans les transports, afin de lutter, en premier lieu, contre la pollution.

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En France, il a fallu attendre que la justice européenne condamne l'État français pour son inaction et que le Conseil d'État ordonne pour voir une réaction vraiment concrète. La loi d'orientation des mobilités publiée au Journal officiel en décembre 2019 met l’accent sur les ZFE, qui reposent sur le système des vignettes Crit’Air instauré depuis juillet 2016. L’instauration d’une ZFE relève de la compétence des collectivités. Sa mise en place est obligatoire pour les villes qui dépassent régulièrement les normes de qualité de l’air. Cela concerne l’agglomération parisienne (40 communes dont Paris), la Métropole de Grenoble (27 communes dont Grenoble), la Métropole de Lyon et depuis 2021, les métropoles d’Aix-Marseille-Provence, Nice-Côte d'Azur, Toulon-Provence-Méditerranée, Toulouse, Montpellier-Méditerranée, Strasbourg et Rouen-Normandie. D’ici le 31 décembre 2024, la loi climat et résilience prévoit la mise en place de ZFE dans toutes les agglomérations métropolitaines de plus de 150 000 habitants (35 ZFE en plus). 

La France tente de combler son retard

Certaines initiatives récentes et très locales tendent timidement de renverser la vapeur avec les ZTL (zones à trafic limité). L'acronyme qui est apparu en France dans le cadre des assises nationales de la mobilité de 2017 est un terme avec lequel les habitants des villes vont devoir, semble-t-il, se familiariser. Paris a annoncé mi-février qu’elle allait en mettre une en place d’ici 2024, nommée "zone apaisée". Ce n’est pas une zone strictement piétonnière mais bien une zone à trafic limité, c’est-à-dire que seuls quelques engins motorisés y seront acceptés, sous conditions. Le secteur concerné comprendra les 1er, 2e, 3e et 4e arrondissements et la partie de la rive gauche située au nord du boulevard Saint-Germain (5e, 6e et 7e). Le trafic de transit y sera interdit. Seuls les transports en commun, les piétons et les cyclistes y seront librement autorisés à circuler, comme les taxis et VTC. Ne pourront y pénétrer que les automobilistes ou deux-roues justifiant d’une dérogation permanente ou ponctuelle.

Rennes de son côté va tester une ZTL de juillet à mi-octobre dans son centre-ville historique. Et la municipalité annonce d’ores et déjà des modifications sans marche arrière possible dès septembre. Face aux enjeux environnementaux, "on n'a pas le choix : il faut agir maintenant", justifie-t-elle. L’idée est que les véhicules qui veulent traverser la ville devront en contourner le centre, y compris les 600 bus qui ne passeront plus dans la ZTL mais en lisière. La ville autorisera juste une navette électrique gratuite, destinée en priorité aux personnes âgées et à mobilité réduite, qui sera déployée avant la fin de l’année. Un certain nombre de véhicules pourront encore pénétrer dans la ZTL : les riverains, les services de santé et de sécurité, les taxis, artisans, livreurs, clients d’hôtels avec réservation, etc. Mais certains devront justifier leur présence sous peine d’être verbalisés.   

Si aucune évaluation quantitative d’impact des ZTL sur la qualité de l’air ou autres facteurs environnementaux n’a pu être trouvée, notait l’Ademe en 2019, le confinement décrété en raison de l’épidémie de Covid-19 en mars 2020 donne quelques éléments de réponse. Entre janvier et avril 2020, la France a vu ses émissions de CO2 diminuer de 7% sur cette période. Et, l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (Ineris), qui a réalisé des simulations, estime que la pollution au NO2 (dioxyde d’azote) a été réduite de 50% en moyenne dans 100 des plus grandes villes françaises. À Paris et dans la région Île-de-France, où le trafic routier a diminué de près de 80%, l’agence de surveillance de qualité de l’air AirParif a de son côté enregistré "une amélioration de la qualité de l’air de l’ordre de 20 à 30%". À noter que depuis la mise en place d'une ZTL en 2012 à Nantes, le trafic a été divisé par trois sur la zone, passant de 15 000 véhicules par jour à 5 000. 

L’Italie, précurseure 

Le concept de ZTL n'est pourtant pas récent. L’Italie a commencé à les développer dès les années 1970. Son premier objectif a été de protéger de la pollution le patrimoine de ses villes d’art. Ont ainsi été mises en place des ZTL à Ferrare, Florence, Sienne. Un déploiement massif s’en est suivi après 1995 avec l’installation de portes électroniques pour contrôler les accès et des contrôles par caméras se sont ajoutés dans les années 2000. Dès 1989, les ZTL ont été inscrites dans la loi puis dans le Code de la route, puis complétées. Deux ans après leur mise en place en mai 2004, on comptait en moyenne 100 à 150 franchissements non autorisés par jour à Turin, ce qui équivalait à des recettes de l’ordre de 4 millions d’euros par an. Avec le passage de 9 à 37 portiques, ces recettes sont montées à quelque 20 millions d’euros. Le dispositif a même évolué vers un péage urbain à Milan. La ZTL relève des pouvoirs du maire mais est assez similaire dans les différentes villes italiennes. Elle est généralement en fonctionnement toute l’année, parfois uniquement sur certaines plages horaires. 

En 2019, l’Italie comptait à elle seule 228 ZTL sur les 238 recensées par l’Ademe (Agence de la transition écologique) dans huit pays : Italie, Belgique (1), Autriche (1), Espagne (3), Lettonie (1), République tchèque (1), Slovénie (1) et seulement deux en France. Et combien au terme du prochain quinquennat ?

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