Elections européennes 2024 : entre Jordan Bardella et Gabriel Attal, un débat aux enjeux bien différents

La tête de liste du RN et le Premier ministre s’affrontent jeudi soir sur France 2 dans le cadre de la campagne des européennes. Un rendez-vous télévisé important pour les deux camps à deux semaines du scrutin.
Article rédigé par Margaux Duguet, Thibaud Le Meneec
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6 min
Le président du Rassemblement national, Jordan Bardella (à gauche), et le Premier ministre, Gabriel Attal (à droite). Les deux responsables politiques débattront jeudi 23 mai 2024 sur France 2. (JOEL SAGET / AFP)

Ils se sont déjà retrouvés à cinq reprises sur les plateaux de télévision. Mais l'enjeu du sixième débat entre Jordan Bardella et Gabriel Attal, jeudi 23 mai à partir de 20h15 sur France 2, est singulier. D'abord, parce que l'échange intervient en pleine campagne des européennes, à un peu plus de deux semaines du scrutin, fixé le 9 juin en France.

Surtout, les deux débatteurs ont changé de stature depuis leur dernier duel, au printemps 2022. Le président du Rassemblement national (RN) et tête de liste du parti d'extrême droite a été désigné comme premier-ministrable par Marine Le Pen, quand Gabriel Attal est lui effectivement devenu Premier ministre en début d'année. "C'est un combat très important, car il symbolise le renouvellement des générations des deux camps", assure le politologue Bruno Cautrès.

Jordan Bardella réclamait depuis plusieurs mois un débat avec le chef du gouvernement. D'abord réticent, préférant débattre avec Marine Le Pen, Gabriel Attal a fait connaître, fin avril, son souhait d'organiser une "confrontation démocratique" avec le dirigeant du RN.

De quoi susciter quelques doutes en interne. "Je suis en désaccord avec le fait que le Premier ministre débatte avec Jordan Bardella, qui n'est que tête de liste", juge une députée Renaissance. "Je comprends qu'il ait accepté, mais je me demande si cela n'installe pas [Jordan] Bardella dans une position qu'il n'a pas encore", appuie le député Horizon François Jolivet. "Ce n'est pas faux de dire qu'il s'abaisse à débattre avec [Jordan] Bardella, mais la tête de liste RN est un phénomène médiatique, crédité de 32% et puis [Gabriel] Attal a été présenté comme l'arme anti-Bardella", nuance un membre de l'équipe de campagne de Renaissance.

Un débat à double tranchant pour Gabriel Attal

Car il y a péril en la demeure macronienne. Le camp présidentiel est distancé d'une quinzaine de points par le RN dans tous les sondages et est dangereusement rattrapé par la tête de liste socialiste, Raphaël Glucksmann, au point qu'un croisement des courbes est désormais envisagé. "Les sondages s'aggravent, il n'y a pas de dynamique", soupire une source au sein de la campagne de Renaissance.

"Pourquoi ne pas utiliser nos atouts avec un Premier ministre très populaire, bon débatteur et qui a envie de se confronter à [Jordan] Bardella pour lui claquer le beignet ? Ça peut être mobilisateur pour notre camp."

Une source de l'équipe de campagne de Renaissance

à franceinfo

C'est l'enjeu principal de ce débat pour la majorité : remobiliser l'électorat d'Emmanuel Macron qui, pour le moment, fait cruellement défaut à Valérie Hayer, la tête de liste Renaissance. Au risque d'invisibiliser un peu plus la candidate, éclipsée par ce duel très médiatique ? "C'est un faux débat, veut croire Antoine Armand, député Renaissance. Valérie fait une campagne sérieuse et solide, elle enchaîne des gros plateaux." D'autres notent cependant que la tête de liste "ne décolle pas" malgré ses prestations médiatiques. "Valérie Hayer, ça ne marche pas", tranche une source de l'équipe de campagne. 

Le duel télévisé avec Jordan Bardella doit aussi permettre au chef du gouvernement d'asseoir sa stature de leader politique, notamment dans la perspective de l'élection présidentielle de 2027. "L'enjeu est aussi de montrer son rôle de chef de file de la majorité (…) tout en démontrant qu'il arrive à terrasser la bête de communication qu'est Jordan Bardella", relève Bruno Cautrès.

Il "faut montrer que le RN n'a fait preuve d'aucune compétence, d'aucun sérieux au niveau européen", assure Antoine Armand. L'équipe du Premier ministre a ainsi décortiqué les prises de position de Jordan Bardella pour débusquer "les faiblesses" et pointer "les contre-vérités et mensonges, même sur l'immigration", du président du RN, relate un conseiller de l'exécutif. 

L'exercice reste à double tranchant pour Gabriel Attal, qui a eu peu de temps pour se préparer en raison de l'actualité très chargée, notamment en Nouvelle-Calédonie. "Le danger évident, c'est d'avoir fait de ce débat l'événement majeur de la campagne et qu'il ne conduise pas à une amélioration de la liste de Valérie Hayer", explique Mathieu Gallard, directeur d'études à l'institut Ipsos. "Cela affaiblirait nettement" le Premier ministre, estime encore ce spécialiste.

"Même si Gabriel Attal réussit une performance éblouissante dans ce débat, si la liste de Valérie Hayer est troisième, ce sera un échec terrible pour la majorité. On ne mesure pas les conséquences sur l'image de Gabriel Attal", embraye Bruno Cautrès. "Quel que soit le résultat, on ne pourra pas nous reprocher de ne pas avoir mouillé la chemise et de ne pas avoir fait campagne", rétorque un conseiller de l'exécutif.

Pour Jordan Bardella, des "faiblesses" à combler 

La situation est tout autre du côté de Jordan Bardella, auréolé de bons scores dans les enquêtes d'opinion. "On ne se laisse pas déstabiliser par ces chiffres, même s'ils nous font plaisir", tempère la députée RN Edwige Diaz. On a tous été éprouvés par les élections régionales de 2021, avec des sondages qui nous donnaient gagnants dans plusieurs régions." Au soir du second tour, le parti d'extrême droite n'en avait gagné aucune.

Trois ans plus tard, c'est donc avec prudence que Jordan Bardella s'avance pour croiser une nouvelle fois le fer avec le Premier ministre. Au menu de cette nouvelle joute figurent des sujets variés de la campagne européenne, comme la guerre en Ukraine, l'écologie ou l'immigration. Le parti d'extrême droite veut aussi en profiter pour aborder des sujets plus nationaux. Ce sera "tout d'abord la confrontation de notre projet et de leur bilan, aussi bien au niveau européen que national", explique Renaud Labaye, cadre du RN. Les deux niveaux "sont imbriqués", estime-t-il, en raison du "choix d'Emmanuel Macron" de demander à son Premier ministre de s'investir dans la campagne des européennes.

Pour Jordan Bardella, "l'idée est de continuer à résorber deux faiblesses du RN", analyse Mathieu Gallard. La tête de liste devra ainsi "montrer qu'il est compétent sur le fond, alors que le bilan du parti et son bilan à Strasbourg sont critiqués, et montrer qu'il n'est pas europhobe, mais eurosceptique". D'après le sondeur, "cela lui permettrait de maintenir son socle électoral mobilisé, tout en pouvant potentiellement attirer quelques électeurs de Reconquête ou des Républicains", deux formations plus à la peine dans les sondages.

"Le risque de la phrase à l'emporte-pièce"

Il existe un autre enjeu de taille pour Jordan Bardella dans ce débat : prouver qu'il peut, à 28 ans, tenir la dragée haute à celui qui est actuellement installé à Matignon. Si son parti arrivait à s'imposer en 2027, le tandem formé avec Marine Le Pen ferait de lui un successeur de Gabriel Attal. "Aujourd'hui, il s'agit pour lui de montrer qu'il traite d'égal à égal avec le parti présidentiel et avec le Premier ministre", souligne Bruno Cautrès. Au point de se tailler un costume de candidat RN pour 2027 ?

"On ne sait pas où en sera Marine Le Pen dans deux ans, mais il paraît très difficile pour Jordan Bardella de lui prendre le leadership avant 2027. En revanche, s'il est au-dessus de 30%, cela aura une portée politique gigantesque."

Bruno Cautrès, politologue

à franceinfo

Les spécialistes relativisent en tout cas les possibles effets d'un tel débat sur les enquêtes d'opinion. "En dehors des primaires, qui sont des campagnes dans lesquelles les candidats sont proches idéologiquement et où la forme à davantage d'importance, ces débats jouent franchement très peu", assure Mathieu Gallard. "Il n'y a pas de débat miracle, mais ça va être un moment de télévision important entre deux projets radicalement différents", souligne un conseiller de l'exécutif. Gare tout de même à la sortie de route à ce moment de la campagne, particulièrement pour Jordan Bardella. "Quand on est aussi haut, il ne faut ni décevoir, ni commettre des erreurs de fin de parcours. Il y a le risque de la phrase à l'emporte-pièce, de la déclaration sur laquelle tout le monde va se fixer dans les prochains jours", conclut le politologue Bruno Cautrès.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.