Elections européennes 2024 : Raphaël Glucksmann, le candidat qui émerge à gauche pour perturber le duel Bardella-Hayer

Article rédigé par Thibaud Le Meneec
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7 min
Raphaël Glucksmann, tête de liste socialiste, lors d'un meeting à Tournefeuille (Haute-Garonne), le 25 mars 2024. (FREDERIC SCHEIBER / HANS LUCAS / AFP)
En hausse dans les sondages, la tête de liste socialiste s'évertue à défendre un positionnement pro-européen, hostile à la Russie. Mais il doit composer avec les attaques de plus en plus frontales de ses adversaires, à gauche et au centre.

Pour la première fois depuis 2014, le Parti socialiste (PS) pourrait dépasser les 10% lors d'une élection nationale. Hors sénatoriales et scrutins locaux, le parti à la rose enchaîne depuis une décennie les déconvenues électorales en son nom propre. Alors, lorsque les sondages en vue des élections européennes du 9 juin ont commencé à frémir pour Raphaël Glucksmann, en janvier, les socialistes ont entraperçu l'éclaircie.

Depuis quelques semaines, celui qui était déjà la tête de liste du PS et de son petit parti, Place publique, en 2019, profite d'une bonne dynamique dans les enquêtes d'opinion. En meeting à Nantes (Loire-Atlantique), samedi 13 avril, l'essayiste bénéficie d'intentions de vote à deux chiffres : 11,5% d'après l'institut Ipsos le 11 mars ; 13% selon Harris Interactive le 20 mars ; ou encore 12% avec Elabe le 8 avril.

"Ces bons sondages ne nous étonnent pas, c'est la preuve que la cohérence politique que nous portons et les propositions que nous faisons répondent à une attente", se félicite Pierre Jouvet, porte-parole du candidat et membre de la liste. "On est dans un duel, mais on va peut-être passer à un trio avec Raphaël Glucksmann, si ça continue comme ça. Il peut arriver devant Renaissance", estime pour sa part un cadre du Rassemblement national (RN), alors que la campagne de la macroniste Valérie Hayer stagne sous les 20% d'intentions de vote. Elle se situe très loin du RN de Jordan Bardella, plusieurs fois mesuré à plus de 30% dans ces sondages.

Soutenu par des déçus de Macron et Mélenchon

Comment expliquer que le candidat de la gauche sociale-démocrate soit parvenu à prendre de l'avance sur ses concurrentes insoumise et écologiste, Manon Aubry et Marie Toussaint, souvent créditées de moins de 9% d'intentions de vote ? Dans une publication récente, la Fondation Jean-Jaurès, classée à gauche, s'est penchée sur les soutiens de la tête de liste socialiste. "Une partie de l'électorat d'Emmanuel Macron passe chez Raphaël Glucksmann parce qu'elle est déçue par les politiques menées au niveau national (sur les retraites, sur l'écologie, sur l'immigration et sur le féminisme), analyse le politologue Antoine Bristielle dans cette note. Une partie de l'électorat de Jean-Luc Mélenchon passe chez Raphaël Glucksmann parce qu'elle est déçue des prises de positions de LFI sur les sujets internationaux, et en particulier sur l'Ukraine et sur le Hamas."

Face à Jordan Bardella, le candidat socialiste pourrait donc bénéficier d'une forme de "vote utile" au détriment du centre et de la gauche radicale. Pour contrer cette percée, ses concurrents le ciblent de plus en plus, avec des angles d'attaque propres à chaque liste. Les Ecologistes-EELV insistent sur les votes des socialistes au Parlement européen, qui seraient en contradiction avec ce qu'ils défendent lors de cette campagne. "Au Parlement européen, les socialistes votent pour la PAC, pour les accords de libre-échange et pour les méga-camions", a ainsi dénoncé Marie Toussaint sur France 2, lundi soir, ce que contestent les socialistes.

A titre d'exemple, le groupe d'eurodéputés socialistes a massivement voté pour l'accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande, en novembre 2023, mais pas Raphaël Glucksmann et ses collègues socialistes français, qui ont voté contre

Les tacles des écologistes et de LFI

Dans le même temps, certains écologistes reconnaissent au candidat soutenu par le PS un positionnement "clair" : "Raphaël Glucksmann parle notamment d'un sujet : les droits humains. C'est un peu le sujet de ces élections, on est en pleine guerre, il y a des ingérences... Il dit : 'Poutine est méchant, il faut aider les Ukrainiens'", résume une cadre des Ecologistes, qui n'oublie toutefois pas de le tacler. 

"Sur les autres sujets que l'Ukraine et les droits humains, c'est vide, il envoie les autres parler !"

Une cadre des Ecologistes-EELV

à franceinfo

La France insoumise n'est pas tendre non plus avec le candidat social-démocrate. "C'est stupéfiant, il va faire un meeting à Toulouse et on ne sait pas ce qu'il pense de l'A69 entre Castres et Toulouse", raille un cadre de LFI, qui estime que la popularité de l'eurodéputé décline. Comme le rapporte France Bleu, le candidat "a rappelé l'opposition de Place publique à ce projet d'autoroute, assumant ses divergences avec Carole Delga [la présidente socialiste de la Région Occitanie] sur ce point".

Le mouvement de gauche radicale dénonce également la position de la liste socialiste sur le conflit israélo-palestinien. Raphaël Glucksmann a refusé, notamment sur le plateau de "Quotidien", mi-mars, de parler de "génocide" en cours à Gaza. Il préfère évoquer un "carnage", une distinction sémantique souvent pointée par les troupes insoumises. "Sur Gaza, il s’est fait attraper", veut croire le même cadre de LFI, qui voit un lien avec une légère baisse de popularité sur les réseaux sociaux.

Renaissance a changé de stratégie

Pour tenter d'installer un duel entre ces deux visions de la gauche, la tête de liste LFI, Manon Aubry, lui a adressé une lettre ouverte, début avril, sur le modèle de l'échange épistolaire entamé en janvier entre Raphaël Glucksmann et François Ruffin. Cette lettre n'a, à ce jour, pas reçu de réponse du camp socialiste.

De son côté, le camp présidentiel a opéré un changement de stratégie. Au début de la campagne, Valérie Hayer a cru bon d'insister sur la proximité politique, au Parlement européen, entre la majorité et le candidat du PS. "Avec Raphaël Glucksmann, on vote à 90% de la même façon (...) Il devrait être avec nous et il le sait", avait déclaré la tête de liste Renaissance au Figaro, fin février. "Parler des votes en commun avec lui, c'est dangereux. Il aurait fallu le faire il y a six mois", balayait alors un député macroniste, qui craignait de voir l'aile gauche de la majorité filer vers le PS.

Depuis, Renaissance préfère concentrer ses attaques sur les supposées contradictions de l'essayiste. "On ne peut pas voter pour Jean-Luc Mélenchon aux législatives et défendre l'Ukraine ensuite", appuie un stratège de la campagne macroniste.

Les élus de Renaissance pointent aussi sa position tiraillée dans un parti divisé entre le camp d'Olivier Faure, défenseur d'une union de la gauche, et ceux de Nicolas Mayer-Rossignol et Hélène Geoffroy, réticents, voire hostiles, à la Nupes et ses futurs avatars. "Les socialistes peuvent avoir des grandes divisions et se rassembler dans des moments d'importance", balaie son porte-parole, Pierre Jouvet. Reste que chaque courant du PS voit dans la progression de Raphaël Glucksmann le signe que c'est bien sa ligne qui doit s'imposer au sein du parti après le scrutin.

Eviter l'essoufflement

En attendant le verdict des urnes, son équipe se refuse à faire des "coups" médiatiques, à l'image des ralliements de l'ex-filloniste Malika Sorel au RN ou de la juriste propalestinienne Rima Hassan chez LFI. Raphaël Glucksmann va continuer à occuper le terrain avec, "chaque semaine, des mises en valeur particulières du programme", se projette Pierre Jouvet, alors que la liste socialiste, déjà connue, n'a pas de surprise à offrir.

Son équipe de campagne se veut très prudente sur la tournure que vont prendre les deux prochains mois, car "toutes les élections se cristallisent à la fin", rappelle le porte-parole. "C'est dans les trois dernières semaines que l'élection se fait", estimait également fin mars Pieyre-Alexandre Anglade, directeur de campagne de Valérie Hayer, lors d'une conférence de presse.

Chaque camp est bien conscient qu'une dynamique électorale peut être éphémère, fragile et très vite s'épuiser, à cause d'un débat raté ou d'un thème moins porteur. Après avoir dépassé les 10% dans les sondages en 2019, la tête de liste LR, François-Xavier Bellamy, avait finalement recueilli seulement 8,48% des suffrages lors du précédent scrutin européen. S'il peut espérer doubler son score d'il y a cinq ans (6,19%), Raphaël Glucksmann va, lui, devoir tenir la distance pour éviter que le soufflé ne retombe.

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