Gabriel Attal, l'"arme anti-Bardella" des macronistes pour contrer le RN aux élections européennes

Article rédigé par Margaux Duguet, Clément Parrot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
La majorité présidentielle espère que la nomination de Gabriel Attal à Matignon va permettre d'enrayer la progression de Jordan Bardella et du RN, largement en tête dans les sondages pour les élections européennes. (PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO.FR)
Le nouveau Premier ministre présente des traits communs avec le patron du Rassemblement national. Au sein de la majorité présidentielle, on veut croire qu'il permettra à son camp de rebondir dans l'opinion en vue du scrutin du 9 juin.

"Avant le Nouvel An, c'était la 'Bardella mania' sur le terrain. Maintenant, c'est la 'Attal mania'", s'enthousiasme le député Renaissance de l'Essonne Robin Reda. "A nous de garder l'avantage", ajoute cet élu qui entretient des relations amicales avec Gabriel Attal. La nomination du jeune ministre de l'Education nationale à Matignon, mardi 9 janvier, a suscité un vent d'espoir bienvenu en macronie, à cinq mois des élections européennes. Le camp présidentiel commençait à ressentir des bouffées de panique à la lecture de sondages catastrophiques. Une étude Ifop-Fiducial publiée mi-décembre donnait par exemple le Rassemblement national (RN) de Jordan Bardella à 30% des intentions de vote et la liste de la majorité à 18%. Ce qui a particulièrement inquiété les soutiens d'Emmanuel Macron. 

"Et pourtant, on a un coup à jouer sur les européennes. C'est le dernier combat du président de la République !", s'agaçait un proche du chef de l'Etat à quelques jours des fêtes de fin d'année. Comme d'autres, ce dernier plaidait pour remercier Elisabeth Borne et ouvrir une nouvelle séquence dans la perspective de cette échéance électorale. C'est désormais chose faite avec la désignation de Gabriel Attal. "Ça va nous faire du bien ! Le président est malin, il impose un duel avec Jordan Bardella, en organisant un combat entre ces deux jeunes", observe un conseiller ministériel. Le président du RN est, comme en 2019, la tête de liste de son camp pour ce scrutin prévu le 9 juin. Il y a cinq ans, le camp de Marine Le Pen l'avait emporté d'un petit point devant les partisans d'Emmanuel Macron (23% contre 22%). 

"Il fallait une rupture, on s'enkystait"

La majorité ne sait pas encore qui portera ses couleurs comme tête de liste pour contrer Jordan Bardella. Le président du parti Renaissance et président du groupe présidentiel au Parlement européen, Stéphane Séjourné, est régulièrement cité. "Ce n'est pas lui faire injure de dire que ce n'est pas la personnalité la plus identifiée par les Français", observe toutefois le politologue Bruno Cautrès. "Il est trop light", évacue même un proche d'Emmanuel Macron. Pour mener la bataille face au jeune leader du parti d'extrême droite, il fallait donc quelqu'un de sa trempe. Et Gabriel Attal est la personne idoine, à en croire les soutiens d'Emmanuel Macron.

Sa nomination à Matignon "est une façon de lui confier indirectement la conduite des européennes", assure le président de l'UDI, Hervé Marseille, qui connaît bien le chef du gouvernement. "Gabriel Attal, c'est évidemment une arme anti-Bardella, mais c'est une arme anti-RN tout court", assure le député Renaissance des Haut-de-Seine, Pierre Cazeneuve.

"C'est un Premier ministre très politique, très bon en meeting, qui a une très forte popularité et qui sait incarner."

Pierre Cazeneuve, député Renaissance

à franceinfo

"Il fallait une rupture pour créer une dynamique, on s'enkystait. Ça va remobiliser tout le monde, les militants sont déjà à fond", poursuit le parlementaire. Outre la forte popularité du nouveau locataire de Matignon, les partisans du nouveau Premier ministre se réjouissent de son positionnement politique et de son bilan. "Il a posé plusieurs fils rouges qui peuvent être redoutables face à Bardella, assure le député Robin Reda, qui cite "la défense des classes moyennes, l'autorité et la protection des frontières en faisant la réforme des douanes." "La meilleure façon de battre le RN est de trouver des solutions concrètes aux problèmes des Français (...) Gabriel Attal l'a bien compris", abonde son collègue Benjamin Haddad.

"Un respect mutuel et une conscience générationnelle"

Les deux jeunes fauves de la politique se connaissent bien, notamment pour s'être affrontés six fois lors de débats télévisés entre septembre 2019 et juin 2022. "On est d'accord sur quasiment rien sur le fond, mais ça n'empêche pas de se respecter en tant que personne", avait par exemple lancé Gabriel Attal à son adversaire politique lors d'un débat de l'entre-deux-tours de la présidentielle sur C8. "Je pense qu'il y a un respect mutuel, (...) une conscience générationnelle", lui accorde Jordan Bardella. "Ils se sont croisés régulièrement, mais il n'y a pas de proximité, ils ne s'envoient pas des textos le soir", précise l'entourage de Jordan Bardella, qui tente par ailleurs de battre en brèche l'idée d'une trajectoire identique. "Il y a un miroir dans les parcours médiatiques, mais les parcours politiques sont très différents."

Si les deux ambitieux baignent dans la politique depuis tout petit, leur ascension n'est pas passée par les mêmes chemins. "Commencer dans une famille de Seine-Saint-Denis, ce n'est pas la même chose que commencer à l'école alsacienne [établissement scolaire privé du très chic 6e arrondissement de Paris]. Et être conseiller municipal de Vanves, ce n'est pas pareil que de mener une liste aux européennes", raille Philippe Olivier, proche conseiller de Marine Le Pen. "Gabriel Attal, il prend les dossiers en main, il est beaucoup plus doué que Bardella qui passe son temps à demander la démission de tout le monde", rétorque un proche du chef de l'Etat. 

Après un passage par Sciences Po Paris et une expérience de conseiller au ministère de la Santé avec la socialiste Marisol Touraine, le nouveau chef du gouvernement a rapidement gravi tous les échelons ministériels. D'abord porte-parole du parti présidentiel, il entre au gouvernement en 2018, à seulement 28 ans, en tant que secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Education nationale et de la Jeunesse. Il est ensuite porte-parole du gouvernement entre 2020 et 2022, puis ministre délégué chargé des Comptes publics en 2022, avant de prendre la tête de l'Education nationale en juillet 2023. 

"C'est plutôt un chat qui ronronne"

Jordan Bardella a lui conquis la machine du Rassemblement national : secrétaire départemental du FN en Seine-Saint-Denis à 18 ans, porte-parole du parti et conseiller régional d'Ile-de-France, il devient à 23 ans seulement la tête de liste du RN aux européennes de 2019. Trois ans plus tard, il succède à Marine Le Pen à la présidence du parti. Sur ces cinq dernières années, les deux hommes se sont ainsi imposés comme deux étoiles montantes de leur camp respectif.

L'état-major du RN reconnaît au nouveau chef de gouvernement des qualités "oratoires" et le dynamisme de la jeunesse, mais assure que cela ne sera pas suffisant pour contrer Jordan Bardella. "C'est un type sympathique, agréable humainement, qui s'exprime bien. Mais ça ne fait pas tout. Je ne vois pas en lui une bête politique, un grand fauve, mais plutôt un Macron bis", confie Philippe Olivier. "Quand il était ministre, Gabriel Attal était très bien pour répondre lors des séances de questions au gouvernement, admet le député RN Jean-Philippe Tanguy. Mais je pense que le côté 'golden boy' va vite se dégonfler."

"Ce n'est pas parce que quelqu'un est bon au 100 mètres qu'il sera bon au marathon. Je lui ai vu des qualités comme ministre, ça ne veut pas dire qu'il sera un bon Premier ministre."

Jean-Philippe Tanguy, député RN

à franceinfo

Avec la promotion du ministre de l'Education, l'opposition d'extrême droite dénonce un nouveau coup de com' macroniste, tout en considérant la nomination de Gabriel Attal comme une nouvelle victoire idéologique du parti d'extrême droite. "Il y a eu un alignement sur nos sujets de fond avec la loi immigration et désormais sur la forme, en positionnant un jeune, populaire dans les sondages pour essayer de nous contrer", juge Sébastien Chenu, vice-président RN de l'Assemblée. Officiellement, il n'y a donc aucune crainte dans le camp Bardella-Le Pen en vue des européennes. "Quand j'entends dire qu'on a peur d'Attal, je rigole. Je ne suis pas du tout impressionné. Il n'a pas un tigre dans le moteur, c'est plutôt un chat qui ronronne. Il est gentillet", tacle encore Philippe Olivier.

Attal face à l'exercice du pouvoir

Les proches de Marine Le Pen sont persuadés que l'état de grâce du nouveau Premier ministre sera bref, en raison des difficultés rencontrées face à l'exercice du pouvoir. "En tant que chef du gouvernement, il faut aussi être capable de déplaire. Et Gabriel Attal n'a aucune capacité à déplaire. Il va forcément devoir annoncer des mauvaises nouvelles d'ici aux européennes. Six mois, c'est long", estime Jean-Philippe Tanguy, en rappelant l'état des finances publiques et le besoin réaffirmé de trouver des économies pour le gouvernement.

"Je reconnais à Gabriel Attal de nombreuses qualités, mais absolument pas celles d’attirer les électeurs du Rassemblement national. C'est plutôt Glucksmann qui devrait s'en soucier", estime aussi Sébastien Chenu. Raphaël Glucksmann, pressenti pour mener la liste socialiste aux européennes, est actuellement crédité de 9 à 10% d'intentions de vote dans les sondages. "Il progressait et pouvait incarner les progressistes contre les populistes de la liste Bardella. Il y avait donc un risque de voir le flambeau du camp progressiste aller à Glucksmann", analyse également Matthieu Gallard, directeur d’études chez Ipsos. "Gabriel Attal est plus à même de porter ce flambeau du camp progressiste, même s'il n'est pas très distinguable d'Emmanuel Macron."

La ligne et les idées portées par le nouveau chef du gouvernement restent encore assez floues. En privé, les troupes macronistes reconnaissent que le plus dur reste à faire pour convaincre les Français. Nommer Gabriel Attal, "cela ne suffira pas, bien entendu, souffle un député. Mais cela démontre qu'un beau combat politique peut s'ouvrir." Avec en point de mire un scrutin qui ne sera sans doute que le premier round électoral entre deux jeunes têtes d'affiche amenées à s'affronter pendant de longues années.

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