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Référendums, conventions citoyennes… La France a-t-elle un problème avec la démocratie participative ?

Les dispositifs destinés à favoriser la participation des citoyens à la vie du pays et de leurs communes se multiplient. Plusieurs spécialistes estiment cependant qu'ils ne remplissent pas vraiment leur rôle, au point même de creuser le fossé entre les Français et leurs dirigeants.
Article rédigé par Thibaud Le Meneec
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9min
Emmanuel Macron, une manifestante en faveur du RIP, des policiers de la Brav-M et la convention citoyenne sur la fin de vie. (MONTAGE PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)

L'annonce a-t-elle capté l'attention des Français, dans les dernières minutes d'une allocution destinée à sortir de la crise des retraites ? "Je proposerai (…) des grandes pistes pour que le fonctionnement de nos institutions gagne en efficacité et en participation citoyenne comme nous venons de le faire avec la convention citoyenne sur la fin de vie", a déclaré Emmanuel Macron, lundi 17 avril. Le chef de l'Etat n'en est pas à son coup d'essai dans ce domaine : depuis 2017 et son accession à l'Elysée, il a lancé plusieurs exercices de démocratie participative, autrement dit l'"ensemble des procédés qui permettent d'associer les citoyens aux décisions publiques", résume auprès de franceinfo Marie-Anne Cohendet, professeure de droit constitutionnel. 

Figurent notamment dans cette liste le "grand débat national" et les conventions citoyennes, deux initiatives lancées en 2019 après le mouvement des "gilets jaunes". Quatre ans et une autre crise plus tard, le président de la République promet de nouveau de faire appel aux citoyens. Récemment, les opposants à la réforme des retraites ont pourtant bien tenté de faire entendre leur voix dans les institutions en lançant un référendum d'initiative partagée (RIP) pour bloquer le texte, mais le Conseil constitutionnel a rejeté cette demande le 14 avril. La pétition demandant la suppression de la Brav-M a connu le même sort, bien qu'ayant recueilli plus de 260 000 signatures. Quant à la convention citoyenne sur la fin de vie, ses membres craignent que l'exécutif ne reprenne pas leurs propositions au moment d'imaginer la loi. Faut-il voir dans ces trois constats récents une forme de crise de la démocratie participative ?

Des conventions citoyennes "peu concluantes"

"Il y a un curieux paradoxe entre l'appétence des citoyens pour la participation et la difficulté, pour les institutions, à arrimer ces dispositifs à leur mode de fonctionnement", analyse Marine Fleury. Un risque, pour cette maîtresse de conférences en droit public, "car cela peut renforcer l'impression d'un assourdissement des institutions à ce que la société aurait à dire et décrédibiliser ces dispositifs, qui présentent pourtant de nombreux intérêts".

L'intérêt, lui, est d'abord perceptible pour le pouvoir en place, qui voit avec ces procédés un moyen de "gagner du temps ou de reprendre la main", pointe Marine Fleury. "Le 'grand débat national' et la convention citoyenne sur le climat ne peuvent pas s'analyser en dehors de ce contexte de crise et de la nécessité, pour l'exécutif, d'afficher une réponse aux critiques qui lui étaient adressées", prolonge le politologue Loïc Blondiaux.

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Mais qu'ont réellement apporté ces expériences d'assemblées délibératives d'un nouveau genre ? "Elles n'ont pas vraiment été concluantes, car pas menées jusqu'à leur terme", déplore l'historien Jean Garrigues, alors que les 149 propositions des citoyens en faveur de la transition écologique avaient été largement ignorées ou édulcorées par le gouvernement. "Le dispositif a démontré la potentialité démocratique de cette forme de délibération", souligne quant à lui Loïc Blondiaux, plus critique sur l'issue de cette assemblée.

"La convention citoyenne sur le climat a aussi engendré des frustrations, parce que ce type d'innovations ne pouvait rien changer à la pratique du pouvoir, qui se radicalise vers un tournant autoritaire."

Loïc Blondiaux, politologue à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

à franceinfo

Le gouvernement n'a pas encore tranché en faveur d'une troisième convention citoyenne. Mais en coulisses, certains membres du camp présidentiel militent pour faire de l'immigration le troisième sujet abordé par une telle assemblée de citoyens tirés au sort.

La peur française du référendum

Il est un autre dispositif, dont Emmanuel Macron pourrait se servir dans les mois ou années à venir. "Le référendum est un outil et j'aurai à m'en saisir pour des sujets que je choisirai", a promis Emmanuel Macron aux journaux du groupe Ebra, le 19 avril. "Je ne vais pas lancer aujourd'hui un référendum, mais ce serait tout à fait sain dans les prochaines années de le faire, dans le cadre de l'article 11 de la Constitution. Je n'exclus pas à un moment de le faire", a-t-il redit dimanche au Parisien (article réservé aux abonnés). Ce serait une première depuis 2005 et le référendum sur le Traité établissant une Constitution pour l'Europe. A l'époque, la victoire du "non" n'avait pas empêché la signature du traité de Lisbonne, en 2007. La démocratie directe, qui s'exerce en particulier par le référendum, représente pourtant "la forme ultime de la démocratie participative", insiste la juriste Marie-Anne Cohendet. Il a l'avantage "d'articuler directement le vote et la décision", abonde Bertrand Mathieu, membre du Club des juristes. Alors comment expliquer cette peur des gouvernants d'y avoir recours ?

"Sous la Ve République, le référendum a mauvaise presse car Charles de Gaulle s'en est servi pour accroître son pouvoir personnel. Depuis, tout le monde s'en méfie."

Marie-Anne Cohendet, professeure de droit constitutionnel

à franceinfo

La même prudence s'observe encore aujourd'hui. "On comprend la réticence des politiques, car les Français répondent très rarement à la question qui leur est posée", assure Bertrand Mathieu. "La question se déporte souvent sur celui qui la pose", complète la sénatrice Françoise Gatel, autrice d'un rapport sur la démocratie en 2022. Cela s'explique, défend Marie-Anne Cohendet, par le fait que "le président décide que telle question est discutée par tel groupe et ce qu'il en advient".

Une démocratie participative aussi en crise au niveau local ?

Le référendum d'initiative partagée (RIP), prévu par la révision constitutionnelle de 2008, n'a pas vraiment réglé le problème. Aucun texte n'est encore parvenu à remplir toutes les conditions nécessaires à l'organisation d'un scrutin. "Le RIP ne peut quasiment pas fonctionner", tranche Bertrand Mathieu, rejoint par Jean Garrigues : "Ce dispositif est fait pour ne pas être utilisé. Il y a tellement de garde-fous, de conditions, d'inquiétudes institutionnelles qu'il faut passer par des trous de souris juridiques."

Ces déceptions au niveau national contrastent avec une profusion d'expériences au niveau local, des budgets participatifs aux conseils de quartiers en passant par les consultations diverses. "Ce n'est pas à cet échelon que la crise de la démocratie est la plus forte", juge Bertrand Mathieu. "Il y a à boire et à manger en matière de démocratie participative locale, qui va aussi mal que la démocratie nationale, rétorque Guillaume Gourgues, maître de conférences en science politique. Les conseils régionaux ont par exemple un usage stratégiste de la participation, fustige le spécialiste de la démocratie participative, avec une utilisation très descendante, encadrée, en sens unique, pour prendre en compte ce qu'ils ont envie, et besoin, de prendre en compte". "Cela pose des problèmes, car le but de ces dispositifs n'est pas de relégitimer des individus mais des institutions", soutient Marine Fleury.

Apprendre la démocratie participative dès la maternelle

Une vision intéressée des exécutifs locaux et nationaux, des dispositifs peu utilisés, comme ce fut le cas lors de la récente consultation sur les trottinettes en libre-service à Paris… Les Français et leurs gouvernants ont-ils une culture politique incompatible avec la démocratie participative ? "Depuis plusieurs années, il y a une plus grande acculturation à ces démarches. Les Français connaissent un peu mieux ces dispositifs et leur accordent une certaine légitimité", tempère Loïc Blondiaux. "On peut aussi espérer qu'on arrive à changer notre culture démocratique, poursuit Marie-Anne Cohendet. Qu'on apprenne aux citoyens à s'écouter dès le plus jeune âge, à l'école maternelle !"

En attendant, d'autres formes de démocratie, proches de la démocratie participative, peuvent éclore, comme la "démocratie implicative" défendue au niveau local par Françoise Gatel dans son rapport sénatorial. "L'idée est d'amener nos concitoyens à la chose publique à partir de leurs centres d'intérêt." "Les rapports sur la participation s'enchaînent, preuve que c'est devenu un enjeu au sein de l'Etat, salue Guillaume Gourgues, plutôt pessimiste par ailleurs.

"Ces rapports rentrent dans une sophistication sans fin, sans débattre des questions de fond : quel partage du pouvoir s'opère réellement avec les citoyens ?"

Guillaume Gourgues, spécialiste de la démocratie participative

à franceinfo

Le risque, alertent plusieurs auteurs, est d'arriver à un résultat contre-productif en empilant référendums consultatifs, conventions citoyennes et autres initiatives. "Il ne faudrait pas multiplier ce genre de scénarios dans lesquels un dispositif produit dans des conditions démocratiques impeccables, avec une délibération approfondie, ne débouche finalement sur rien. On va contribuer très fortement à disqualifier ce type d'instruments", met en garde Loïc Blondiaux. "Il ne suffit pas de produire sans cesse des dispositifs participatifs pour que la qualité de la démocratie soit meilleure", prévient de son côté Guillaume Gourgues, en prenant l'exemple de la Russie et de la Chine, deux pays avec un régime illibéral qui met en place un dangereux "autoritarisme participatif" : "Là-bas, le renforcement des tendances autoritaires et le recours à la participation ne sont pas antinomiques."

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