Cet article date de plus d'un an.

Le vrai du faux. Le référendum d'initiative partagée voulu par la gauche peut-il bloquer la réforme des retraites ?

Quelque 252 parlementaires ont déposé une proposition de loi demandant un référendum d'initiative partagée vendredi 17 mars. Elle doit être transmise au Conseil constitutionnel ce lundi. Mais quelles sont ses chances de réussir ?

Article rédigé par franceinfo - Armêl Balogog
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 2 min
Un manifestant porte une pancarte "64 ans c'est non Macron", à Paris, le 7 mars 2023. (JAN SCHMIDT-WHITLEY/LE PICTORIUM / MAXPPP)

"Aujourd'hui, la suite, c'est le RIP, le référendum que nous allons défendre", clamait le député communiste Fabien Roussel jeudi 16 mars à l'Assemblée nationale, juste après l'utilisation de l'article 49.3 de la Constitution par la Première ministre pour faire adopter la réforme des retraites. Dès le lendemain, 252 parlementaires signaient et déposaient sur le bureau de la présidente de l'Assemblée une proposition de loi pour demander un référendum d'initiative partagée. Son but : demander aux Français s'ils veulent, oui ou non, limiter l'âge légal de départ à la retraite à 62 ans, alors que la réforme du gouvernement veut le repousser à 64 ans.

"Nous avons encore l'espoir de l'emporter, de faire respecter le monde du travail et de créer les conditions que cette réforme ne soit jamais mise en application, en rendant le pouvoir au peuple", continuait le secrétaire national du PCF.

Mais la procédure pour obtenir ce référendum est très longue et très complexe. La proposition de loi doit franchir toute une série d'étapes définies par les articles 11 et 61 de la Constitution ainsi que la loi organique 2013-1114 du 6 décembre 2013, chacune avec ses propres conditions à remplir.

Plusieurs conditions à remplir

Première condition : la demande doit être jugée recevable par la présidente de l'Assemblée nationale. L'article 40 de la Constitution interdit aux parlementaires de faire une proposition de loi ou un amendement qui ait pour conséquence "une diminution des ressources publiques" ou "la création ou l'aggravation d'une charge publique". La proposition de loi souhaitant seulement le maintien de l'âge légal de départ à la retraite à 62 ans, elle n'alourdirait pas la charge publique a priori, mais la maintiendrait en l'état, elle devrait donc être jugée recevable.

Ensuite, le texte doit être transmis au Conseil constitutionnel avant que la réforme des retraites ne soit promulguée. C'est sur ce point qu'il s'agit d'un contre-la-montre. Les 252 parlementaires se sont vite réunis et la demande a pu être déposée sur le bureau de la présidente de l'Assemblée, Yaël Braun-Pivet, dès vendredi. Le député communiste Stéphane Peu a assuré à franceinfo que la présidente s'était engagée à évaluer sa recevabilité dès le matin du lundi 20 mars et la transmettre dans la foulée au Conseil constitutionnel. Selon les informations de France Inter, elle a en effet respecté ce délai.

Une fois reçue, le Conseil constitutionnel aura un mois pour vérifier à son tour que plusieurs conditions sont remplies. D'abord, le nombre de signataires. La proposition de loi doit avoir recueilli le soutien d'au moins 20% des parlementaires – députés et sénateurs confondus – soit au moins 185 personnes. Le compte est bon pour le texte de la Nupes puisqu'il a 252 signataires. Les Sages vont aussi vérifier que le texte concerne bien un des sujets définis par l'article 11 de la Constitution, à savoir "l'organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent, ou tendant à autoriser la ratification d'un traité qui, sans être contraire à la Constitution, aurait des incidences sur le fonctionnement des institutions".

Le long et difficile recueil des soutiens

Si le Conseil constitutionnel valide la proposition de loi, une campagne de soutien doit être lancée. Le ministère de l'Intérieur met en place une plateforme sur laquelle les électeurs peuvent dire qu'ils soutiennent l'organisation de ce référendum. En neuf mois, iI faut qu'au moins 10% des électeurs, soit 4,7 millions de personnes environ, apportent leur soutien. En théorie, avec une grande majorité des Français opposés à la réforme des retraites, récolter ces soutiens ne devrait pas être un problème, mais des constitutionnalistes, contactés par franceinfo, sont sceptiques. Le procédé est lourd : il faut s'inscrire sur la plateforme, se munir de sa carte d'électeur, de sa carte d'identité, il y a parfois des bugs, pas de mail de confirmation... Il est aussi possible de se rendre dans certaines mairies et administrations pour apporter son soutien.

Le dispositif a été testé une seule fois depuis sa création en 2015, contre la privatisation d'Aéroports de Paris. La proposition de loi demandant un référendum n'avait recueilli que 1,1 million de soutiens. Le Conseil constitutionnel observait à l'époque que, si on ne pouvait pas dire que les difficultés de la plateforme avaient pu être des "obstacles qui auraient empêché certains électeurs de soutenir la proposition de loi", il était néanmoins "possible que ces difficultés aient contribué à altérer la confiance de certains électeurs dans cette procédure et les aient dissuadés d'y participer".

Les parlementaires peuvent empêcher le référendum

Et même si la proposition de loi récolte suffisamment de soutiens, cela ne signifie pas que le référendum aura forcément lieu. Les députés et les sénateurs pourront l'empêcher. Il leur suffira de mettre à l'ordre du jour de leur chambre la proposition de loi initiale, pour limiter l'âge légal de départ à la retraite à 62 ans, de l'examiner un peu sans forcément organiser de vote ni l'adopter. Ils auront six mois pour le faire et ce serait évidemment une décision éminemment politique. C'est seulement si les parlementaires ne s'emparent pas du sujet qu'il y aura un référendum, soit dans quasiment un an et demi.

Sur Twitter, le conseiller politique de gauche à l'Assemblée François Malaussena a exprimé sa désillusion face à ce procédé : "Le RIP porte très mal son nom parce qu'en réalité, ce n'est pas un référendum et la probabilité qu'il y ait réellement un référendum est infime…" Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l'Université Paris II Panthéon-Assas, a résumé la situation en quelques mots au Figaro : "Le référendum d'initiative partagée est conçu pour ne jamais être utilisé."

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.