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Coronavirus : est-on trop alarmistes face à la potentielle reprise de l’épidémie ?

Article rédigé par franceinfo - Julien Nguyen Dang
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Des piétons, dont certains portent un masque de protection contre le coronavirus, arpentent une rue commerçante à Bordeaux, le 20 juillet 2020. (PHILIPPE LOPEZ / AFP)

Le professeur urgentiste Yonathan Freund tente de relativiser l'"alarmisme" des autorités quant à une possible reprise de l'épidémie de coronavirus. Franceinfo a passé au crible l'argumentaire du médecin.

Plusieurs indicateurs montrent un regain de la pandémie de coronavirus dans certains départements. Pour contrer cette lente mais réelle reprise, le gouvernement a d'ailleurs imposé le port du masque dans les espaces publics clos. Le président du Conseil scientifique, Jean-François Delfraissy, a même jugé probable une "seconde vague" à l'automne, mardi 21 juillet. Des voix dissonantes s'élèvent toutefois au sein de la communauté médicale. Yonathan Freund, professeur urgentiste à l'hôpital parisien de la Pitié-Salpêtrière, "optimiste contagieux", à en croire un portrait que lui a consacré Libération, souhaite s'opposer à "l'alarmisme" ambiant, alimenté selon lui par les autorités sanitaires.

Sur Twitter, le médecin tient cette position depuis le mois de mai, "au départ uniquement pour des amis", explique-t-il à franceinfo. Son opinion tranchée sur la situation sanitaire a rencontré un certain écho, comme ce fil de discussion du 17 juillet contre "le délire alarmiste" au sujet du Covid-19 : "Il y a une part d'incertitude dans cette maladie. Tout le monde est d'accord là-dessus, avance Yonathan Freund sur le réseau social. Mais pourquoi la prendre systématiquement sur le pire scénario possible ?" Franceinfo a passé au crible les arguments du médecin urgentiste.

Le taux de reproduction du virus n'a "aucun sens" actuellement

• Ce qu'a écrit Yonathan Freund. L'urgentiste s'est intéressé aux cas récents d'augmentation du taux (ou facteur) de reproduction du virus – le fameux R0 –, c'est-à-dire le nombre moyen de personnes infectées par chaque malade, notamment en Bretagne, où cet indicateur a fortement augmenté la semaine passée. "Il y a juste eu des clusters et des dépistages systématiques. Donc des cas. R (on l'a déjà dit) n'a aucun sens quand l'épidémie est au point mort, outre des clusters", analyse-t-il.

• Pourquoi c'est plutôt vrai. Dans son point épidémiologique du 15 juillet (en PDF), Santé publique France signale en effet que le taux de reproduction du virus est à prendre avec des pincettes : "Cet indicateur peut-être instable, notamment lorsque l'incidence est faible car [elle] est influencée par les actions locales de dépistage", écrit l'agence sanitaire.

Les valeurs de R ne doivent donc pas être interprétées de façon isolée, mais doivent être mises en perspective avec les autres données épidémiologiques disponibles et l'analyse fine de la situation locale.

Santé publique France

Point épidémiologique du 15 juillet 2020

En Bretagne, la découverte de quatre foyers épidémiques a ainsi fait bondir mi-juillet le taux de reproduction du virus à 2,62. Cette hausse s'explique surtout par l'accroissement du nombre de dépistages, pas par une réelle intensification de la circulation du coronavirus. "Quand l'épidémie est à son plancher et qu'il y a une circulation à bas bruit, R n'a pas de sens", affirme Yonathan Freund à franceinfo. Il s'étonne de voir cet indicateur encore cité par "certains experts" dès qu'il dépasse le seuil de 1.

Il faut de plus rappeler que ce taux demeure complexe à estimer. Santé publique France (en PDF) écrivait le 17 juillet que "le taux de reproduction n'est pas calculable de façon fiable en raison d'un nombre de cas insuffisant sur les sept derniers jours." Il ne permet pas non plus de distinguer les cas locaux des cas importés, notamment dans le contexte insulaire de La Réunion, d'où la nécessité de surveiller d'autres indicateurs comme le taux d'incidence ou la tension hospitalière sur la capacité en réanimation.

"Il n'y a aucune reprise là où l'épidémie a frappé violemment"

• Ce qu'a écrit Yonathan Freund. "Nous sommes nombreux à être d'accord, avance le médecin urgentiste. Dans les régions fortement touchées, l'immunité est importante. Probablement suffisante – l'immunité n'est pas uniquement visible sur la sérologie. Il n'y a aucune reprise nulle part dans le monde là où l'épidémie a frappé violemment. Aucune."

• Pourquoi cela reste une hypothèse. Interrogé par franceinfo, le médecin explique qu'il évoque principalement "l'Ile-de-France et le Grand Est", les deux régions françaises les plus touchées, au plus fort de la pandémie. Dans son point épidémiologique du 17 juillet (en PDF), Santé publique France affirme bien avoir classé "tous les départements de l'Ile-de-France" en "niveau de vulnérabilité limitée". Dans le Grand Est, le taux de reproduction du virus est par ailleurs inférieur à 1, ce qui tend à confirmer l'analyse de Yonathan Freund.

Interpellé sur Twitter à propos de Barcelone et de la Catalogne, où les cas recensés augmentent de nouveau* et où les autorités demandent de nouveau aux habitants de rester chez eux, le médecin se défend : "Il n'y a que quelques centaines de cas diagnostiqués, mais pas beaucoup de malades", affirme-t-il à franceinfo. Cinquante-huit personnes étaient hospitalisées, mardi 21 juillet, dans un état grave dans la région catalane, note El Periódico*, contre 44 neuf jours plus tôt, selon Catalunya Press*, ce qui semble corroborer les propos du médecin. "Mais il est bien d'être vigilant en Catalogne", admet-il.

Concernant l'immunité acquise par une partie de la population, qui pourrait "peut-être" expliquer ce qui s'apparente pour le moment à une faible reprise, Yonathan Freund précise que, "pour le coup, c'est juste une hypothèse". Il existe "beaucoup de faux négatifs" parmi les tests sérologiques, qui ne montreraient donc pas le niveau de l'"immunité réelle". Des propos en partie soutenus par des travaux* réalisés à l'université Johns-Hopkins (Etats-Unis), qui ont permis d'estimer le taux de faux négatifs selon le temps écoulé entre l'infection et le test. Le jour de l'apparition des symptômes, le taux médian de faux négatifs serait de 38% parmi les tests RT-PCR.

Reste la question essentielle de la proportion de la population nécessaire pour atteindre l'immunité collective. Sur ce point, les avis des chercheurs divergent, certains la plaçant entre 40% et 60%, d'autres autour de 10% à 20%.

Laisser circuler le virus tout en le contrôlant, la "bonne solution"

• Ce qu'a écrit Yonathan Freund. Questionnant le but recherché par les autorités sanitaires, avec le renforcement des mesures de lutte contre le virus, le médecin urgentiste écrit : "Il faut se poser la question : veut-on totalement arrêter la circulation du virus ? Je pense que c'est illusoire. Ou alors j'espère que vous avez du temps devant vous. La solution de le laisser circuler tout en le contrôlant est probablement la bonne."

• Pourquoi cette opinion est critiquée. En toile de fond, le cas de la Suède, où les écoles, les restaurants et entreprises sont restées ouverts, alors que ses voisins scandinaves ont imposé le confinement. Une stratégie pensée sur le long terme pour atteindre l'immunité collective en laissant une large part de la population contracter le virus.

L'exemple suédois a suscité de vives critiques. Ce pays de 10 millions d'habitants dénombrait 5 639 morts du Covid-19, mardi 21 juillet, bien plus que ses voisins confinés d'Europe du Nord (255 morts en Norvège et 328 morts en Finlande, peuplés chacun par un peu plus de cinq millions d'habitants). La Suède occupe la 7e place en nombre de morts par millions d'habitants (558), entre la France (462) et l'Italie (580). L'objectif de l'immunité collective a également du plomb dans l'aile, puisqu'une étude suédoise* a montré que seulement 6,1% de la population aurait développé des anticorps contre le virus, bien loin des niveaux jugés nécessaires.

"C'est une question de philosophie et d'idéologie", analyse Yonathan Freund auprès de franceinfo. Grâce à cette stratégie, "il est possible que la Suède soit arrivée à une immunité suffisante", suppose-t-il. "Peut-être que l'immunité collective n'a pas encore été atteinte mais lorsque [le virus] circulera, il n'y aura pas de flambée. Si une bonne partie de la population est immunisée, ça ralentit considérablement la vitesse de propagation du virus."

"Si vous êtes malade puis immunisé, vous protégerez à vie les personnes vulnérables"

• Ce qu'a écrit Yonathan Freund. "Certains disent : 'Pour protéger les personnes vulnérables, protégez-vous'. C'est peut-être faux, suggère le professeur urgentiste. Pour protéger les personnes vulnérables, protégez-les, mais si vous êtes malades puis immunisés, vous les protégerez à vie."

• Pourquoi cela reste une hypothèse. Pour le moment, aucun cas de deuxième contamination n'a été identifié, comme le rappelle la BBC*. L'incertitude subsiste quant à la durée de l'immunité des personnes ayant contracté le Covid-19. Selon une étude menée par le King's College de Londres sur 90 patients, le taux d'anticorps neutralisants pour lutter contre le virus aurait tendance à diminuer fortement à partir du 23e jour suivant l'apparition des symptômes, en moyenne. Plus de deux mois après (65 jours), seuls 16,7% des patients seraient porteurs d'anticorps efficaces contre le virus, selon les résultats préliminaires de l'étude*.

Comme l'écrit le journaliste scientifique Marc Gozlan sur le blog du Monde Réalités Biomédicales, l'immunité cellulaire présente des résultats encourageants, notamment grâce à l'action de lymphocytes T, issus de la réponse immunitaire. Marc Gozlan rappelle que des patients disposent encore, 17 ans après, de lymphocytes capables de lutter contre le Sras (syndrome respiratoire aigu sévère) de 2003, cousin du coronavirus responsable de la pandémie actuelle. "Là, je ne m'avance pas", conclut Yonathan Freund auprès de franceinfo. Mais il assène tout de même : "Si jamais la maladie n'est pas immunisante, alors tout est foutu pour les dix prochaines années et on connaîtra à vie la distanciation."

* Les liens suivis d'un astérisque renvoient vers des sites en anglais ou en espagnol

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