Cet article date de plus de quatre ans.

Coronavirus : pourquoi la hausse du taux de reproduction du virus dans certaines régions est un indicateur à prendre avec précaution

Mentionné par les autorités et les observateurs, le taux appelé "R zéro" est scruté avec vigilance. Mais cette donnée, qui peut être biaisée, est issue d'un calcul aussi complexe qu'incertain. Sans compter qu'elle n'est pas la seule à être analysée. Explications.

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5 min
Une femme subit un test PCR à Laval (Mayenne), le 17 juillet 2020. (JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP)

"C'est une situation qui appelle plus de vigilance." Le Premier ministre Jean Castex a estimé, vendredi 17 juillet, sur France 2, que la situation en France n'était pas "grave" mais qu'elle nécessitait une attention importante. Le chef du gouvernement a lancé cet avertissement alors que le taux de reproduction du nouveau coronavirus, le fameux R0, était en hausse dans plusieurs régions, notamment en Bretagne, en Ile-de-France, en Provence-Alpes-Côte-d'Azur et dans les Pays de la Loire.

Egalement appelé taux de reproduction, ou encore R effectif, il est calculé à l'échelle régionale. Il correspond au nombre moyen de personnes infectées par un malade. Un R0 à 2,2, par exemple, signifie que 10 malades vont infecter en moyenne 22 personnes. Lorsque que le R0 passe en dessous de 1, l'épidémie recule. Un R0 est orange lorsqu'il oscille entre 1 et 1,5 et vire au rouge au-delà de 1,5. Mais Franceinfo vous explique pourquoi cet indicateur important est à prendre avec précaution.

>> Retrouvez les dernières informations sur la pandémie de Covid-19 dans notre direct

Parce qu'il peut être biaisé par la présence de foyers épidémiques

Le taux de reproduction en Bretagne est de 2,62, en hausse par rapport aux dernières semaines. Toutefois, la situation dans la région "n'est à ce jour pas alarmante", assure Santé publique France. Si le R0 est l'"un des paramètres importants pour évaluer la dynamique de la transmission du virus", il peut aussi "être influencé artificiellement", remarque l'Agence. 

La survenue d'un cluster dans une entreprise peut conduire à des actions de dépistage et un afflux de patients dans un service d'urgence ou dans un laboratoire.

Santé publique France

à l'AFP

Cette hausse du nombre de tests fait alors "augmenter ponctuellement" le taux, "sans pour autant qu'il y ait une réelle intensification de la circulation du virus", explique Santé publique France.

Ce scénario est observé en Bretagne, où quatre foyers ont été identifiés dans le Finistère et un dans les Côtes-d'Armor. Cela a "induit un plus grand nombre de dépistages et donc" une augmentation du taux de reproduction, explique l'agence. Ce que confirme la directrice de cabinet de l'ARS Bretagne.

Depuis le 4 mai, nous avions fait environ 80 000 tests, et sur cette période du 6 au 16 juillet nous en avons fait 20 000, soit un quart. Forcément cela va se traduire par une augmentation significative des cas confirmés.

Anne Briac Bili, directrice de cabinet de l'ARS Bretagne

à franceinfo

Pascal Crepey, épidémiologiste à l'Ecole des Hautes études en santé publique de Rennes (EHESP), estime également auprès de France 3 Bretagne qu'il ne faut pas s'inquiéter outre mesure. Le taux de reproduction change régulièrement et ce chiffre de 2,62 est "une estimation très ponctuelle, qui va certainement évoluer dans les jours à venir avec, peut-être, l'augmentation du nombre de tests".

Parce qu'il reste (très) difficile à calculer

Au-delà de sa grande variabilité au cours du temps, le R0 est une estimation issue de calculs aux données incertaines. Cet indicateur est produit "grâce à des modèles mathématiques complexes, qui tentent de reproduire les comportements humains de façon plus ou moins simplifiée", expliquaient Les Décodeurs du quotidien Le Monde, en juin dernier.

En clair, les chercheurs et épidémiologistes doivent renseigner plusieurs éléments comme la fréquence des contacts humains, la durée de la contagion ou encore la part de malades asymptomatiques. Mais "bon nombre des paramètres ne sont que des suppositions ; les vraies valeurs sont souvent inconnues ou difficiles, voire impossibles, à mesurer directement", a écrit, en janvier 2019, dans la revue scientifique Emerging Infectious Diseases (en anglais) Paul Delamater, géographe spécialiste des questions de santé publique à l'université de Caroline du Nord.

A ce sujet, la professeure Astrid Vabret, cheffe de service de virologie au CHU de Caen, parlait même, en janvier, d'un "indicateur grossier".

Parce qu'il n'est pas toujours pertinent

Selon les données publiées par Santé publique France, vendredi, le R0 s'élève à 2,26 à La Réunion. Mais la préfecture estime qu'il est "non significatif", rapporte Réunion La 1ère. "Le R0 ne se calcule en effet pas à partir de cas importés, et le nombre de cas autochtones actuellement détectés à La Réunion ne permet pas d'avoir une donnée fiable sur ce sujet au vu de la petite taille de l'échantillon. Cet indicateur, dans son calcul actuel, n'est donc pas significatif dans notre contexte insulaire", a expliqué la préfecture.

"Notre R0 ne peut pas se calculer comme celui de la métropole. On est sur une situation d'importation, et non pas sur une situation de circulation", a estimé le docteur François Chieze, directeur de la veille et sécurité sanitaire à l'ARS océan Indien. Sur 612 cas recensés sur l'île depuis le 11 mars, "434 sont des cas importés et concernent donc des personnes ayant contracté la maladie en dehors du territoire", a-t-il précisé.

Parce qu'il n'est pas le seul indicateur à suivre

Outre le R0, les autorités surveillent trois indicateurs pour suivre l'épidémie, comme l'explique le ministère de la Santé.

Le taux d'incidence. Il correspond au nombre de personnes infectées sur une semaine et sur une population de 100 000 habitants. Le ministère de la Santé a arrêté trois niveaux : le seuil de vigilance est atteint si plus de 10 personnes sont infectées pour 100 000 habitants. Au-dessus de 50 personnes infectées pour 100 000 habitants, le seuil d'alerte est atteint.

Le taux de positivité des tests virologiques. Il est calculé à partir des résultats des tests PCR et donne une idée du nombre de personnes testées positives sur une semaine. Il est calculé à l'échelle départementale. A partir de 5% de taux de positivité, l'indicateur passe du vert à l'orange. A partir de 10%, il passe au rouge. "Plus le taux est bas, plus nous testons des personnes qui ne sont pas malades", avait expliqué le ministre de la Santé, Olivier Véran, en mai. Il s'agit, selon lui, d'un paramètre important car il permet de "détecter précocement des signes de reprise de l'épidémie" dans des territoires.

La tension hospitalière sur la capacité en réanimation. Cet indicateur, calculé à l'échelle régionale, donne le taux d'occupation des lits en réanimation par des malades du Covid-19. L'indicateur est vert entre 0% et 40%, orange entre 40% et 60% et rouge au-delà.

Ces indicateurs ont été mentionnés, par exemple, jeudi matin, lors de la conférence de presse de Jean-Jacques Coiplet, le directeur général de l'ARS Pays-de-la-Loire sur la dégradation de la situation sanitaire en Mayenne.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.