Covid-19 : comment la valse des protocoles sanitaires à l'école et les vacances de Jean-Michel Blanquer à Ibiza ont plombé la rentrée du gouvernement
Les enseignants ont appelé à une nouvelle journée de grève, jeudi 20 janvier, contre le "chaos engendré par gestion de la crise sanitaire".
Les portes de nombreux lycées, collèges et écoles resteront de nouveau fermées, jeudi 20 janvier, et ce ne sera pas seulement lié à des contaminations au Covid-19. Plusieurs syndicats appellent à une grève pour protester contre le "chaos engendré par gestion de la crise sanitaire", une semaine après une première mobilisation très suivie.
>> Suivez les dernières informations sur la crise sanitaire dans notre direct
Les syndicats FSU, CGT Educ'action, FO et SUD Education, ainsi que la FCPE, première organisation de parents d'élèves, et les mouvements lycéens FIDL, MNL et La Voix lycéenne appellent à "poursuivre la mobilisation" afin d'obtenir des investissements massifs dans l'éducation. Les enseignants et autres personnels de l'Education nationale sont exaspérés par la valse des protocoles sanitaires liés au Covid-19 et le "chaos engendré par la gestion de la crise". Après avoir appris, lundi 17 janvier, que Jean-Michel Blanquer se trouvait à Ibiza à la veille de la rentrée scolaire de janvier tandis qu'ils attendaient une mise à jour du protocole sanitaire, des syndicats critiquent en outre le "mépris" de leur ministre. Franceinfo raconte, en cinq actes, la rentrée scolaire ratée du gouvernement.
Acte 1 : en décembre, des classes fermées, mais pas de report de la reprise
La situation épidémique dans l'Education nationale fait déjà débat avant les vacances de fin d'année. Les cas positifs commençant à se multiplier, la fermeture des classes au premier cas positif, dans le primaire, est abandonnée le 29 novembre. Le nouveau protocole demande, déjà, un test négatif pour revenir en classe, opération réitérée en cas de deuxième cas détecté. Au troisième cas, la classe ferme.
"Au départ, les parents étaient ravis, mais très vite ils ont été exaspérés, car ils se retrouvent à tester plusieurs fois leurs enfants et, souvent, la classe finit bel et bien par fermer", explique la secrétaire générale du Snuipp-FSU, Guislaine David, le 17 décembre. Selon Olivier Flipo, du syndicat SE-Unsa, "les parents ne comprennent pas que ça ferme alors qu'à la télé on leur a dit que les classes ne ferment plus". A la veille des vacances, on compte 3 150 classes fermées malgré ce protocole.
Les syndicats et les associations de parents réclament l'installation de capteurs de CO2 dans les locaux scolaires et le remplacement des enseignants malades. Mais un autre débat est sur la table : un décalage de la rentrée, prévue le 3 janvier. Si Jean-Michel Blanquer répond, le 16 décembre, qu'"aucune hypothèse n'est écartée", celle de repousser la rentrée est finalement exclue par Jean Castex le 27 décembre, au nom de la fidélité à la "ligne" gouvernementale de tout faire pour laisser les écoles ouvertes. "Nous amplifierons à la rentrée notre politique de surveillance et de dépistage dans les établissements scolaires", promet le Premier ministre.
Le lendemain, Jean-Michel Blanquer promet un protocole renforcé à la rentrée, mais provoque un premier couac. "Pour revenir à l'école, il ne faudra pas seulement avoir présenté une fois un test, mais au moins deux, à plusieurs jours d'intervalle", annonce-t-il sur France Inter, précisant que le délai entre les deux tests est discuté "avec les autorités scientifiques". Mais quelques heures plus tard, son ministère dément l'annonce auprès de l'AFP, évoquant une simple "hypothèse de travail".
Acte 2 : un protocole de rentrée annoncé tardivement
Annoncé sans fixer d'échéance, le nouveau protocole de l'Education nationale s'est fait attendre. Il est finalement annoncé par Jean-Michel Blanquer dimanche 2 janvier, dans une interview publiée à 20h21 sur le site du Parisien, pour une application quelques heures plus tard. Un court délai "pour être au plus près de la réalité sanitaire", justifie-t-il le lendemain sur LCI. Mais le timing fait réagir. "Je n'écoute plus les médias pour me préserver, j'ai donc découvert le nouveau protocole lundi matin. Tant que je n'ai rien sur ma messagerie, je considère que rien ne change", raconte à franceinfo une directrice d'école élémentaire témoignant de son épuisement, le 8 janvier.
Le choix de faire ces annonces dans une interview à un média payant fait également couler beaucoup d'encre. Le 5 janvier, une lectrice interpelle Emmanuel Macron à ce sujet, toujours dans Le Parisien : "Je suis enseignante et je regrette de découvrir souvent les annonces de nouveaux protocoles dans les médias plutôt que d’abord par notre hiérarchie." "Vous avez raison. Je vous donne le point", répond le président de la République, semblant ainsi désavouer Jean-Michel Blanquer.
Sur le fond, le protocole en vigueur à partir du 3 janvier complexifie un peu la donne : pour revenir en classe après un cas positif, les élèves doivent toujours présenter un résultat négatif de test PCR ou antigénique, mais aussi réaliser des autotests deux et quatre jours plus tard. Et ce à chaque nouveau cas. Plus question de fermer les classes, même si trois élèves ou plus sont touchés.
Acte 3 : une ruée sur les tests et un premier ajustement
Dans la foulée des fêtes de fin d'année, la rentrée scolaire voit le nombre de contaminations et de tests pratiqués battre des records, passant la barre des 2 millions de tests par jour en France. Les images de files d'attente de plusieurs heures devant les pharmacies et les laboratoires se multiplient, et ce sont principalement des parents et leurs enfants qui les peuplent. "Les scolaires, c'est trop", prévient Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France. Certains parents ne parviennent pas à mettre la main sur les autotests gratuits censés être fournis par les pharmacies. Et malgré les nouvelles règles, 9 200 classes sont recensées comme fermées trois jours après la reprise, notamment en raison des contaminations d'enseignants, un record depuis le printemps 2021.
Dans la soirée du 6 janvier, le ministère de l'Education nationale procède donc à un premier ajustement du protocole appliqué depuis quatre jours : si un nouveau cas positif est signalé dans une classe déjà touchée, les élèves n'ont pas à redémarrer le cycle de trois tests. Une réduction de la pression sur les lieux de dépistage et sur les parents, au prix de moins d'efficacité contre les contaminations. "Cette précision du ministère n'est pas du tout logique, car il va y avoir encore plus de trous dans la raquette", s'inquiète alors Guislaine David, la secrétaire générale du Snuipp-FSU.
Acte 4 : une troisième version du protocole qui n'empêche pas une grève
La pression sur le gouvernement continue de grimper dans les jours qui suivent. Principal syndicat dans le primaire, le Snuipp-FSU appelle à une grève nationale le 13 janvier pour protester contre la gestion sanitaire : "L'école et ses personnels ne peuvent plus tenir avec des protocoles irréalisables et changeant de jour en jour", écrit le syndicat dans un communiqué le 7 janvier, au lendemain du dernier ajustement.
Le 10, au sortir du week-end, le gouvernement revoit à nouveau sa copie. Et c'est le Premier ministre, Jean Castex, qui se charge de l'annoncer dans une interview de dernière minute au journal de 20 heures de France 2. Les élèves devront toujours réaliser trois tests, mais tous pourront être des autotests, annonce-t-il. Les parents n'auront à produire qu'une unique attestation sur l'honneur pour que leur enfant soit admis en classe. Et si le cas positif est découvert dans le courant de la journée, les parents pourront attendre la fin de cette journée pour récupérer leur enfant.
Les réactions ne sont pas pour autant positives. Le Snuipp-FSU estime que le nouveau protocole va "forcément décupler la contamination dans les écoles", du fait de la moindre efficacité des autotests, et fausser le décompte des contaminations. Ce protocole ouvre également la porte à de fausses déclarations des parents. Et pose la question de la disponibilité des tests : sur France 2, Jean Castex promet que les pharmacies en recevront 11 millions dans la semaine, pour les donner gratuitement aux parents concernés.
La forme de cette annonce expose également le ministre de l'Education aux critiques. "Après une semaine de cacophonie et de pénurie, Jean-Michel Blanquer est désavoué en direct par son Premier ministre. La France a-t-elle encore un ministre de l’Education nationale ?" fait mine de s'interroger le président du groupe Les Républicains de l’Assemblée nationale, Damien Abad. A gauche, des députés PS et LFI appellent même à la démission du ministre. Signe que l'ambiance est fébrile au sein même du gouvernement, Le Parisien affirme qu'une discussion tendue a opposé Jean-Michel Blanquer à Olivier Véran, mercredi, avant le Conseil des ministres. Selon les sources (anonymes) du journal, le ministre de l'Education nationale a reproché à son homologue de la Santé son manque de soutien face aux critiques.
La grève est maintenue, et s'annonce particulièrement suivie. Le Snuipp-FSU estime que 75% des enseignants du primaire seront absents et la moitié des établissements fermés. Fait rare, les syndicats grévistes ont même reçu le soutien de la principale association de parents d'élèves, la FCPE, qui a appelé à ne pas envoyer les élèves en classe. Contrairement aux syndicats enseignants, elle ne réclame pas le retour des fermetures de classes, mais partage la revendication de généraliser les capteurs de CO2 et les masques FFP2. Et appelle aussi à "dire stop à ce protocole sanitaire".
Acte 5 : Mediapart révèle que Jean-Michel Blanquer était en vacances à Ibiza lors de l'annonce du protocole de rentrée
Un nouveau rebondissement qui fragilise le ministre de l'Education nationale. L'entretien de Jean-Michel Blanquer au journal Le Parisien, pour annoncer un nouveau protocole sanitaire dans les écoles à la veille de la rentrée scolaire, "pour être au plus près de la réalité sanitaire", a été réalisé alors que le ministre était en vacances à Ibiza, aux Baléares, en Espagne, a appris franceinfo auprès du ministère, lundi 17 janvier, confirmant une information de Mediapart.
"Ce n'est pas parce qu'il n'était pas là qu'il n'était pas au travail, qu'il n'était pas connecté et loin de ce qu'il se passait", assure le cabinet du ministre. Mais en pleine crise du Covid-19 et à la veille d'une rentrée qui s'annonçait compliquée, "le symbole est terrible" pour les syndicats d'enseignants. "Cette révélation alimente la fracture et le sentiment de mépris que peuvent avoir beaucoup de personnels dans l'Education nationale", estime Sophie Vénétitay, secrétaire générale du syndicat SNES-FSU. D'autant qu'un nouvel appel à la grève a été lancé quelques jours plus tôt pour une deuxième mobilisation jeudi 20 janvier dans les écoles, collèges et lycées face au chaos "chaos engendré par gestion de la crise sanitaire".
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.