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"Il a complètement disparu de la circulation" : à quoi ressemble la nouvelle vie de François Fillon ?

Depuis son échec à la présidentielle, l'ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy cultive sa discrétion et sa passion pour les sports mécaniques. Alors que s'ouvre, ce lundi, son procès pour des soupçons d'emplois fictifs, franceinfo retrace ses deux dernières années. 

Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
François Fillon lors d'une course automobile, au Mans (Sarthe), le 7 juillet 2018. (JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP)

"Ce n'est pas un personnage qui réagit du tac au tac, c'est quelqu'un qui mûrit sa réponse." Devant les caméras de "Complément d'enquête", en mars 2018, Bernard Larvol, l'ancien conseiller com' de François Fillon dans la Sarthe, fait cette prédiction : "Pour le connaître, je pense que la déchirure est profonde, que la blessure est encore ouverte et qu'il ne manquera pas un jour de rétablir sa vérité." Deux ans plus tard, ce jour est visiblement arrivé. Lundi 24 février, François Fillon XXX son procès en correctionnelle dans l'affaire des emplois fictifs dont aurait bénéficié son épouse Penelope Fillon. A MAJ

Faire le deuil de quarante ans de vie politique

"Il m'a dit : 'J'ai décidé d'y aller, je n'ai pas parlé depuis trois ans'", confie le banquier Arnaud de Montlaur, son ami depuis une quinzaine d'années. "Il y va pour s'expliquer." S'expliquer devant les Français, François Fillon l'avait lui-même promis. "Le moment venu, la vérité de cette élection sera écrite", avait-il glissé au soir du premier tour de l'élection présidentielle. Après être sorti vainqueur de la primaire de la droite, l'ancien Premier ministre venait d'échouer au pied du podium, derrière Marine Le Pen et Emmanuel Macron.

On a gagné l'ingagnable et on a perdu l'imperdable.

Arnaud de Montlaur

à franceinfo

C'est le visage tiré, que François Fillon dit, le jour de la défaite, "assumer ses responsabilités". "Les obstacles mis sur ma route étaient trop nombreux, trop cruels", estime-t-il.

Le coup est rude. Après quarante ans de vie politique, l'homme manque d'accrocher à son palmarès la plus belle des médailles : président de la République. 

Les tout débuts étaient lourds émotionnellement, il y a eu le contrecoup.

Arnaud de Montlaur

à franceinfo

François Fillon ne sombre pas pour autant, selon son ami. "Il m'a impressionné quand même, on a eu par ricochet 1% de ce qu'il a vécu et déjà c'était dur", se souvient l'homme d'affaires. Pas de déprime mais aucun étalage de ses états d'âme non plus. Le Sarthois est un taiseux. Des regrets ? "Il n'en parle pas tellement, et puis ce n'est pas le rôle des copains d'appuyer là où ça fait mal", élude le banquier.

Muet dans son fief

Si François Fillon peut compter sur le soutien de ses proches mais aussi de sa famille, il coupe néanmoins avec sa famille politique. Même l'un de ses plus proches soutiens, le sénateur Bruno Retailleau, ne le voit plus les premières semaines qui suivent la défaite. "Il est parti dans sa belle-famille au pays de Galles, il a coupé", relate le président du groupe LR au Sénat. La droite en lambeaux ne pleure pas son départ. François Fillon, jadis héros de son camp, est devenu un pestiféré. "Pour moi, c'était un homme hyper honnête, formidable, je l'ai beaucoup aidé et tout à coup quand on a appris tout ça, on s'est dit : 'Ce n'est pas possible'", murmure l'ancien député Bernard Debré.

Même localement, dans son fief de Sablé-sur-Sarthe (Sarthe), François Fillon est "totalement absent", selon un conseiller municipal d'opposition. Lui qui a occupé à peu près tous les postes de la circonscription et qui possède un grand manoir à Solesmes (Sarthe) se fait extrêmement discret. Certes, il participe à quelques rares occasions à des réunions publiques, comme les 40 ans de la communauté de communes ou aux hommages à son ancien mentor Joël Le Theule, mais sans jamais prendre la parole.

François Fillon vient fleurir la tombe de son ancien mentor Joël Le Theule, à Sablé-sur-Sarthe (Sarthe), le 15 décembre 2019. (JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP)

"Il est hyper discret, il se faufile, ses apparitions ne sont jamais annoncées", rapporte Erwann Bodilis, le correspondant local pour Les Nouvelles de Sablé.

Il a complètement disparu de la circulation, il n'est plus rien en termes de vie publique. Localement, François Fillon n'existe plus.

Erwann Bodilis

à franceinfo

"Il vient le week-end régulièrement, on entend qu'il fait du vélo mais on le voit beaucoup moins à Sablé, alors que sa femme est plus visible", raconte une observatrice de la vie locale. Penelope Fillon, contrairement à François Fillon, a encore un mandat d'élue puisqu'elle est conseillère municipale à Solesmes. 

"Senior advisor" pour un fonds d'investissement

Tous ses proches le martèlent à longueur de temps : la politique, c'est terminé. "Il n'a pas du tout envie de revenir", assure Bruno Retailleau. Que faire alors quand on a consacré sa vie à la chose publique ? C'est par l'intermédiaire d'Anne Méaux, papesse de la com' qui l'a conseillé durant la campagne et qui s'occupe des grands patrons du CAC 40 comme Carlos Ghosn, que François Fillon atterrit chez Tikehau Capital, en septembre 2017. Ce fonds d'investissement, coté en bourse, gère plus de 24 milliards d'euros d'actifs. L'ancien Premier ministre est recruté en tant que "senior advisor". Après les requins de la politique, place aux loups de la finance.

François Fillon fait désormais partie de la quarantaine d'associés du fond d'investissement Tikehau.  (CAPTURE ECRAN / TIKEHAU CAPITAL)

"Il intervient auprès des équipes pour les conseiller, leur donner des contacts, il a des réseaux à l'international, c'est un job à temps plein", explique une source proche du dossier. "Fillon, c'est quelqu'un qui peut apporter beaucoup de choses de par son expérience, il a été confronté à des situations sensibles comme la crise de 2008. Il a une forte expertise sur les sujets économiques", justifie cette même source lorsqu'on l'interroge sur l'intérêt de recruter un tel profil.

Pourtant, les débuts ne sont pas si faciles, à en croire L'Express. "Lors d'une réunion où Fillon est présenté aux autres dirigeants, les remarques fusent. Acerbes. 'Qu'est-ce que vous venez faire là ?', lui lance un cadre, sceptique", rapporte l'hebdomadaire. Depuis, François Fillon semble avoir trouvé sa place. "J'ai été agréablement surpris de son humilité, la finance n'est pas son domaine de prédilection mais il s'est beaucoup impliqué pour se mettre au niveau", assure un financier.

Il n'est pas venu en mode retraite dorée, il travaille pour apporter sa pierre à l'édifice.

Un financier

à franceinfo

Si François Fillon est amené à voyager aux quatre coins du monde pour son nouveau job, il reçoit aussi, à quelques rares occasions, certains anciens collègues. "On s'est vu une fois chez Tikehau pour réfléchir à des pistes pour financer les équipements publics des collectivités locales", raconte le député Gilles Carrez.

Auto, vélo, moto

La page avec la politique n'est pourtant pas complètement tournée avec ce nouveau job chez Tikehau. Trois mois après ses débuts dans la finance, François Fillon revient devant un micro en passant le flambeau de son micro-parti, Force républicaine, à Bruno Retailleau. D'une voix tremblotante, devant ses anciens soutiens, il déclare : "Il faut savoir prendre du recul, c'est ce que je fais en redevenant un citoyen, un citoyen qui n'oublie rien, qui ne renie rien mais surtout un citoyen qui aime son pays et qui du fond du cœur vous dit merci."

François Fillon fait ses adieux
François Fillon fait ses adieux François Fillon fait ses adieux (FORCE REPUBLICAINE / FRANCEINFO)

Bruno Retailleau se souvient que "ce n'était pas facile pour lui". 

Il a pris sur lui pour transmettre le flambeau, il y avait beaucoup d'émotion. C'est quelqu'un de très pudique, on sent une souffrance notamment vis-à-vis de sa famille.

Bruno Retailleau

à franceinfo

Pour décompresser, François Fillon se réfugie dans sa passion : la course automobile. S'il connaît par cœur la Formule 1, il découvre, avec son ami Arnaud de Montlaur, les virées en moto. "On est allés un peu partout, dans les Pyrénées, en Auvergne... Il est assez nature et l'accueil des gens est plutôt bon", raconte-t-il.

François Fillon en virée motorisée avec son ami Arnaud de Montlaur.  (CAPTURE ECRAN / COMPLEMENT D'ENQUETE)

En décembre 2017, François Fillon s'investit cette fois professionnellement dans le monde de l'automobile. Il devient le président de la commission des constructeurs de la Fédération internationale de l'automobile (FIA) sur proposition du président Jean Todt, qu'il connaît bien. "C'est la commission chargée de dialoguer avec les présidents des constructeurs pour parler de l'avenir du sport automobile", indique la FIA. "Il fait une dizaine de réunions par an, c'est une fonction bénévole où il n'a ni bureau, ni secrétariat", insiste-t-on. Quel intérêt de recruter l'ancien chef du gouvernement ? Mêmes raisons que chez Tikehau : "Il apporte son expérience internationale d'ancien responsable mais aussi sa passion et sa connaissance du sport automobile", souligne la FIA.

Tourner la page et publier un livre

C'est d'ailleurs sur ce sujet de l'automobile que François Fillon reprend d'abord publiquement la parole, comme en juin 2018, au Grand Prix de France de F1, rapporte Nice-Matin. Il faut attendre une année supplémentaire pour voir l'ex-Premier ministre s'exprimer sur des sujets politiques. C'est à la télé suisse, et non française, que François Fillon donne sa première vraie interview, le 10 octobre 2019. Détendu, blagueur, il se permet même de chambrer Emmanuel Macron sur les retraites. 

Je vais être un peu prétentieux mais quand j'ai fait la réforme des retraites, j'ai mis 2 millions et demi de personnes dans la rue. Macron, c'est un petit joueur à côté !

François Fillon

à la RTS

Au journaliste, Darius Rochebin, qui lui demande s'il éprouve "regrets, remords et rancune", François Fillon répond : "J'éprouve les trois, forcément. Je tourne la page. Il y a des comportements humains qu'on ne peut pas pardonner."

"Il était devant un public suisse, qui n'était ni bien ni mal disposé à son égard, raconte Darius Rochebin. Le point de départ, c'était l'automobile, puis on est passé à l'écologie et à un autre sujet et moi j'ai poussé évidemment." Et le journaliste de poursuivre : "Dès qu'il a parlé de Macron, dès qu'il a eu ses petites phrases, il était presque en privé." François Fillon confie à cette occasion avoir "choisi une autre vie qui [le] satisfait pleinement".

Deux mois plus tard, il se livre une nouvelle fois, lors d'une conférence au Sénat sur les Chrétiens d'Orient, problématique qu'il suit depuis des années – il a même créé sa propre association d'aide à cette population. "J'ai tout donné. J'aurais, pour vous, voulu faire mieux et plus encore… Maintenant, il ne faut pas ruminer le passé, mais être utile autrement", répète-t-il une fois de plus. Pourtant, après l'émission de France 2 et son procès, François Fillon a choisi de replonger encore dans son passé.

Le 16 avril, Tudgual Denis, directeur adjoint de la rédaction de Valeurs actuelles, publiera un recueil des confidences de François Fillon mais aussi, et c'est une première, de Penelope Fillon et de leurs enfants. "C'était une envie commune, il avait envie de parler", confie le journaliste. Pas question cependant d'avoir le moindre avant-goût sur le contenu de l'ouvrage. Une chose est sûre : on n'a pas fini d'entendre parler de François Fillon. 

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