Anne Méaux, la papesse de la com' chargée de sauver le soldat Fillon
Alors que François Fillon est embourbé dans l'affaire Penelope, franceinfo s'intéresse au rôle et à la carrière de sa communicante, Anne Méaux, figure du milieu de la communication et des médias.
"Sa directrice de communication s'est occupée d'Areva et de Ben Ali, et vous avez vu comment ils ont fini !" Sur BFMTV, vendredi 3 février, Rachida Dati a décidé de lâcher les coups. Et de dire tout haut ce que beaucoup, dans l'entourage de François Fillon, pensent tout bas : au-delà de ce qui lui est reproché sur le fond depuis dix jours dans l'affaire de l'emploi supposé fictif de son épouse Penelope, l'ancien Premier ministre patauge dans une communication franchement laborieuse, pour ne pas dire désastreuse. Au cœur de ces critiques, un nom bien connu du Paris influent, et qui figure au cœur de l'organigramme de campagne de François Fillon : celui d'Anne Méaux, véritable reine de la com'.
"Elle a sa boîte à faire tourner, et on ne la voit jamais lors des déplacements, s'agace un membre de l'équipe de campagne, interrogé par franceinfo. Elle dit peut-être des choses très intéressantes à Fillon, mais cela ne redescend pas dans l’équipe." Une situation inconfortable, au moment où le maintien de la candidature de François Fillon est remise en cause jusque dans son propre camp.
On ne sait pas où on va. On n'a aucun élément de langage, aucune réflexion sur l’image, sur la communication en général.
Un membre de l'équipe de campagne de François Fillonà franceinfo
A Paris, Anne Méaux, 62 ans, est pourtant considérée comme la "papesse" de la communication. Mais celle qui a fondé en 1988 la société Image 7 tient aujourd'hui à nuancer son rôle au milieu de l'affaire Penelope Fillon. "Nous ne sommes pas dans une histoire de com', mais dans une histoire politique, relativise-t-elle à franceinfo. Même pour la primaire, j'ai toujours dit que ce n'était pas la com' qui l'avait fait gagner." Reste que, depuis le début de la tempête médiatique, celle qui a passé sa vie à conseiller gens de pouvoir et hommes d'affaires est omniprésente autour du candidat. "Je fais mon possible pour que François Fillon traverse cette épreuve", dit-elle. L'occasion pour franceinfo de dresser son portrait.
Des réseaux d'extrême droite au giscardisme
Bac en poche à 16 ans, diplôme de Sciences Po Paris à 19 ans : la jeune Anne Méaux est une élève brillante et précoce. Fille d'un médecin "anar de droite" et d'une professeure de latin, elle a la chance de grandir dans un milieu privilégié sur le plan intellectuel, comme elle le confie à Challenges en 2010 : "L'argent n'était pas une valeur, c'était plutôt le savoir et la culture."
C'est aussi à cette époque qu'Anne Méaux fait ses premiers pas vers la politique. Alors qu'elle étudie à Sciences Po, la jeune étudiante décide de s'engager au début des années 1970 auprès du GUD (Groupe union défense), un syndicat étudiant d'extrême droite, connu pour son usage de la violence, dissous en 1981. Selon elle, tout aurait commencé par une altercation avec des "gauchistes". "J'ai été interdite de fac. C'était très violent. Les mecs de la Ligue [communiste] m'avaient chopée avec des couteaux. Les gens du GUD étaient venus à mon secours, j'avais trouvé ça chevaleresque", raconte-t-elle en 2011 dans un livre, Les gourous de la com' (éd. la Découverte, 2012).
Au fond, j'étais totalement grande gueule et je me suis rebellée.
Anne Méauxdans "Les gourous de la com'"
Après le GUD, la jeune Anne Méaux, farouchement anti-communiste, "profondément anti-marxiste", rejoint les troupes du Parti des forces nouvelles (PFN), un autre groupuscule nationaliste. De ce flirt de quelques années avec l'extrême droite, Anne Méaux dit, toujours dans Les gourous de la com', en avoir "gardé des copains qui ne ressemblent en rien à des caricatures de nazis, ou à des connards du Front nat'".
Elle se lie notamment d'amitié avec des personnages comme Gérard Longuet, Alain Madelin ou Hervé Novelli, trois futurs responsables politiques de premier plan de la droite républicaine. "On était surtout contre le communisme, dit aujourd'hui Gérard Longuet, joint par franceinfo. Je me souviens de l'avoir croisée dans un cortège en 1972, on manifestait alors pour la liberté du Vietnam."
En 1974, comme d'autres militants des réseaux d'extrême droite, l'étudiante rejoint la campagne de Valéry Giscard d'Estaing. Elle n'a pas encore le droit de vote – à l'époque, il est fixé à 21 ans, elle n'en a que 19 –, mais Anne Méaux joue déjà les petites mains. Son travail est récompensé en 1976 : à 22 ans, elle hérite d'un poste dans la cellule communication de l'Elysée. Elle décortique la presse pour le président Giscard : "Je faisais le grouillot, mais cela a été un apprentissage formidable du pouvoir", glisse-t-elle à franceinfo. A l'époque conseiller en communication de VGE, Bernard Rideau décrit en 2010 une jeune collaboratrice "très courageuse et intelligente, qui était déjà une championne de la relation et du réseau, mais moins douée pour la stratégie politique".
De cette expérience, Anne Méaux, elle, retient notamment un épisode : celui de l'affaire des diamants de Bokassa. "Le scandale montait, tout le monde en parlait dans les couloirs, mais personne n'osait dire à Giscard que l'affaire prenait de l'ampleur, qu'il fallait qu'il parle et qu'il se défende", raconte-t-elle à Challenges.
J'ai compris que l'intelligence sans le courage ne servait à rien.
Anne MéauxChallenges
Les précieux clients du CAC 40
Après la défaite de 1981, Anne Méaux s'occupe d'abord de la communication du groupe UDF à l’Assemblée nationale, avant d'intégrer en 1986 le cabinet du ministre de l’Industrie de l'époque, Alain Madelin. Cette dernière ligne sur son CV l'éloigne finalement de la politique : "Je n'avais plus envie de suivre l'équipe en place, j'ai fait un choix." A 34 ans, elle décide de se mettre à son compte, et fonde alors Image 7 avec six autres complices. Elle use de son réseau – de politiques, de journalistes… – pour approcher des industriels, et collaborer avec eux. Elle joue pour cela la carte de la proximité. "Les gens viennent la voir pour sa franchise. Si un patron n'a pas été bon pendant une interview, elle lui dit", décrit un proche. "Elle est honnête avec ses clients, elle n'hésite pas à dire les choses même quand les vérités sont désagréables à entendre", abonde son ami Gérard Longuet.
Peu à peu, Image 7 compte parmi ses clients de nombreux grands patrons. Et Anne Méaux intervient dans les dossiers les plus sensibles. En 2003, elle conseille le géant français de l'aluminium, Pechiney, face au rachat par le Canadien Alcan. En 2006, elle est au côté de l'homme d'affaires indien Lakshmi Mittal lors du rachat polémique d'Arcelor. En 2008, c'est encore elle qui intervient en urgence auprès de Daniel Bouton, le PDG de la Société générale, confronté à l'affaire Kerviel. Selon Le Monde, le patron est victime d'une sévère déprime au moment d'intervenir lors du journal de 20 heures de France 2. Le pompier Méaux intervient, et regonfle le moral du dirigeant qui file sur le plateau.
Image 7 devient alors incontournable dans le milieu de la communication, en particulier dans la communication de crise des industriels. L'agence compte désormais 70 salariés. Et compte parmi ses 140 clients réguliers de nombreux patrons du CAC 40, comme Paul Hermelin (Capgemini), François Pinault (Kering), Sébastien Bazin (Accor), Olivier Brandicourt (Sanofi) ou encore Fabrice Brégier (Airbus). Combien déboursent-ils pour s'attacher les services d'Image 7 ? Selon plusieurs sources, il faut compter environ 10 000 euros hors taxes en moyenne par mois pour un contrat avec Image 7. Mais pour les plus gros clients, la facture peut aller bien au-delà... En 2015, la société a généré un chiffre d'affaires de plus de 19 millions d'euros.
Dans les archives d'Anne Méaux se trouvent aussi des dossiers moins glorieux, comme le fait d'avoir veillé à l'image de la Tunisie sous le règne du président Ben Ali. En 2011, Le Canard enchaîné l'accuse notamment d'y avoir organisé les vacances de certains journalistes de renom. Le client, ce n'était pas Ben Ali, mais "l'ATCE, l'organisme de promotion du tourisme de la Tunisie", rétorque aujourd'hui son associé à Image 7, Grégoire Lucas. "Et il est toujours plus facile de juger les choses depuis la France..."
Autre dossier sensible : en 2010, Jacques Servier, le patron du groupe pharmaceutique du même nom, fait appel à ses services pour l'aider à gérer la crise du Mediator, un médicament coupe-faim commercialisé pendant trente ans, et soupçonné d'avoir causé la mort de plus de 2 000 personnes. La communicante finit cependant par lâcher Servier au bout de deux mois. "Il n'écoutait rien et allait même contre la stratégie", explique Grégoire Lucas.
Une amitié pour Julie Gayet
L'influence d'Anne Méaux ne se limite pas aux industriels. Reconnue dans le Tout-Paris, elle dispose d'un répertoire varié, où le nom d'un patron du CAC 40 peut côtoyer celui d'un patron de presse ou d'un artiste. Comme l'actrice et compagne de François Hollande, Julie Gayet, par exemple. "Julie n'est pas une cliente, mais il y a de l'affection entre nous", sourit la communicante.
Il est arrivé que Julie me demande des conseils –je lui ai par exemple recommandé d'être discrète–, mais elle sait très bien que je ne suis pas de gauche.
Anne Méauxà franceinfo
La défense de Julie Gayet cache peut-être aussi un brin de militantisme. Anne Méaux explique qu'elle se bat au quotidien pour promouvoir la place des femmes dans le monde professionel. En 2005, elle fonde l’association Force femmes, qui aide les femmes de plus de 45 ans en difficulté professionnelle, et elle crée en 2008 le site web Terrafemina.com. "Je suis féministe au sens où je suis persuadée que la femme est l'égale de l'homme et qu'on a toujours à se battre", explique la conseillère de François Fillon. Un féminisme qui se retrouve aussi au sein d'Image 7, dont les consultants sont à 70% des consultantes.
"Elle ne défend pas Julie Gayet parce que c’est la compagne du président, reprend Gérard Longuet, mais parce qu'il s'agit d'une femme attaquée. Sur le terrain politique, elle ne défend que les gens auxquels elle croit."
La politique, justement, Anne Méaux ne s'en est jamais éloignée véritablement. En 1995, elle décline un poste de ministre en charge du Commerce extérieur dans le gouvernement Juppé. En 2001, elle refuse d'être tête de liste aux municipales à Paris dans le 8e arrondissement. Sans jamais franchir le pas, donc, Anne Méaux continue malgré tout – comme elle l'a toujours fait – d'entretenir ses réseaux. A droite, officiellement ou officieusement, des ministres et des élus de premier rang n'hésitent pas à faire appel à ses services. Notamment lorsqu'ils sont en difficulté, comme Eric Woerth, empêtré en 2010 dans l'affaire Bettencourt, ou Rachida Dati, confrontée en 2009 aux interrogations qui se font jour dans la presse sur l'identité du père de sa fille, Zohra.
"Xena la guerrière" ou "Cruella"
Depuis la primaire de la droite, la voilà donc au côté de François Fillon. S'attendait-elle à être confrontée au tourbillon de l'affaire Penelope ? Toujours est-il qu'en coulisses, elle doit, elle aussi, faire face aux critiques. Dans Le Parisien, un porte-parole du candidat dit son agacement : "Anne et François travaillent dans une confiance absolue et en vase clos. Résultat, ils décident unilatéralement, et ne nous répercutent pas forcément tout."
Un tempérament qui ne surprend pas ceux qui la connaissent. Une ancienne salariée, interrogée par franceinfo, se souvient de son "fonctionnement matriarcal". Dans son agence, qu'elle considère comme son bébé, Anne Méaux s'occupe souvent de tout.
Elle a une grande gueule, elle parle fort. Personnellement, je l’appelais 'Xena la guerrière'.
Une ancienne collaboratrice d'Anne Méauxà franceinfo
Un surnom qui rappelle celui de "Cruella", donné par l'un de ses concurrents, comme le rapportent Aurore Gorius et Michaël Moreau dans Les gourous de la com'.
"C'est une femme de conviction. Elle a du caractère, mais elle n'est jamais insultante ou humiliante", relativise son associé Grégoire Lucas. Dans le combat qui s'annonce pour sauver la candidature de François Fillon, Anne Méaux risque de devoir se servir de ce caractère. "Elle est très présente depuis qu’on est entrés en zone de turbulences, et François Fillon lui accorde toute sa confiance, indique à franceinfo une conseillère du candidat. Elle est pour l’offensive maximale." Mais la bataille s'annonce ardue, même pour cette spécialiste des situations difficiles. "La com' de crise en politique n’a rien à voir avec le reste", glisse à franceinfo Gaspard Gantzer, conseiller en communication à l'Elysée d'un certain François Hollande.
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